Rigante de Trois-Ruisseaux est un autre village, un autre havre cimmerien pour conter une légende, celle de Connavar, le guerrier maudit. Verbe puissant, rugissant sur un monde alors encore jeune et blottit au coeur des legendes, L’épée de l’orage est un conte guerrier déjanté qu’aurait pu évoquer leconte de lisle en poème. Reprenant les anciens poncifs quelque peu éhontés de la fantasy barbare, Gemmell y insuffle un sang nouveau, mêlé de boue et de pluie.
Ce pays est un peu l’Ecosse des premiers temps, l’Ecosse sauvage où va naître un être exceptionnel, Connavar. Il nait le jour d’orage où son père tombe et inscrira de ses mains un destin sauvage et maudit. Ses exploits guerriers vont se succéder, Gemmell étant passé maître dans la mise en scène et le déroulement des batailles et rixes tel un cameraman talentueux. On a presque l’impression de suivre une super production de fantasy comme il ne s’en fait plus (Ah ! John Milius) .
Son histoire se bâtit comme une légende, un opera rituel qui, de l’ours térrassé au roi vaincu, édifie définitivement l’histoire d’un héros national à la manière d’un certain William Wallace. Et quand une armée redoutable et sauvage menace de détruire son peuple, Connavar ira vaillamment contrer l’invasion, l’arme au point. Une arme qui se révèlera être une épée magique et maudite qui achèvera de l’inscrire dans la légende du guerrier maudit, un Roi Arthur raté, pathétique mais fascinant. Amis comme ennemis tomberont et participeront au tableau d’un monde sauvage où même le magique peut être traître. On rejoint par là le bon vieux pessimisme joyeux de Conan et le fatalisme existentiel propre à Elric obligé de poursuivre sa quête malgré et avec cette épée maudite, enfermé qu’il est dans son rapport maître/esclave vis à vis de l’arme semeuse de mort.
Festins de guerriers, flammes sauvages des brasiers, puissants guerriers, joutes guerrières, Gemmell fait le tour des us et coutumes de toutes les peuplades barbares du monde de la fantasy, y ajoutant des références fortes au celtisme ancien et aux croyances animistes. En parfait retranscripteur des legendes anciennes, Gemmell s’impose comme un monument incontournable en fantasy, un écrivain que ses détracteurs ne comprendront peut-être jamais. Sens de l’épique, sens du tragique, véritable stratège militaire dans les scènes grandioses des batailles, Gemmell s’est fait le dépositaire des temps glorieux où chaque personnage était porteur d’une légende. Ainsi, L’Erudit de Roc est une autre illustration de la légende du vieux de la montagne et les créatures magiques qui peuplent les forêts noires des réactivations des archétypes anciens comme les méconnus Wendigo, Wendols et autres Croque-mitaines des vieilles légendes. L’auteur les réactualise en leur rendant un fond mythique, ce qui, de fait, permet les pires prodiges et aberrations magiques.
Le prodige narratif opère et le lecteur chute dans des puits sans fonds, pactise avec les anciennnes déités de la terre, fraternise avec ce fond commun culturel qui fait les grandes gestes, sans pour autant sombrer dans des allusions idéologiques douteuses. Et c’est là à mon sens le grand talent de l’auteur, cette liberté de la prose uniquement au service de la grande aventure. Le verbe de Gemmell est fort comme un vieux whisky et enivrant comme le baiser d’une vierge. Hommage à Howard et Moorcock, L’Epée de l’orage est un hymne sauvage à la liberté et à la fantasy. Elle a valeur cathartique. Sombre sauvagerie, elle ravira et calmera les plus sauvages d’entre vous par la satiété qu’elle dispense. Et pour ceux que le réel incommode, elle fera traverser les eons pour rejoindre la grande histoire magnifiée par les mythes premiers et le culte de l’acier dans lequel se reflète la lumière spectrale de la lune des premiers jours d’un monde baigné de magie. Du grand Gemmell aux personnages inoubliables taillés dans la pierre noire de l’onyx. Chef d’oeuvre !
Névant n’en fini pas de nous régaler de ses traductions. Merci Alain, merci Stéphane, pour cette patience et ce courage éclairé qui font les grands du genre...