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"Quantum Rose"
Catherine Asaro

Editeur :
Mnémos
 

"Quantum Rose"
Catherine Asaro



10/10

Les femmes écrivains ont cela en plus par rapport à leurs homologues de l’autre sexe c’est de savoir toujours marier avec réussite les grandes gestes de l’espace lointain, des intrigues intimistes et des réflexions profondes sur l’amour, la politique et autres considérations écologiques et ethniques. Catherine Asaro, qu’on pourrait qualifier de Vance féminin au même titre que la grande Mary Gentle, nous donne avec "Quantum Rose" une remarquable histoire dans un genre aussi ardu que celui de la Science-Fantasy. Dans une galaxie très éloignée existe une planète du nom d’Argali. Régie par un système féodal féroce, elle a pour impératrice la belle Kamoj Quanta Argali. Or, le peuple de cette dernière connaît une famine terrible. Seul son mariage avec le rustre roi Jax Pont-de-fer d’une région voisine, pourra apporter une aide conséquente en vivres et moyens de subsistance. Or, comme dans tout bon conte qui se respecte, un étranger surgit un jour dans ce monde. Il est doté d’une étrange science, ressortant presque du magique. Il enlèvera la belle au tyran et rejouera l’éternelle guerre de Troie en un monde qui s’écroulera sur lui-même sous l’effet du seul amour capable d’embraser les esprit comme les maisons des villages et villes, les pays et les royaumes.........

Le monde d’Asaro a cela d’exceptionnel qu’il est immédiatement accessible. Pas de digression excessive à la Herbert, ni de clauses politico-militaro-industrielle comme dans les "Fondations" d’Asimov ou autres pamphlet façon Brunner ou Spinrad, et pourtant il a des portées bien plus profonde que ce que son contexte fantasy voudrait infirmer. Non, dès le début du récit nous nous trouvons immergé dans un monde qui pourrait relever du "Darkover" de Bradley, si ce n’était la mise en présence avec une société pseudo féodale avec son propre système de castes, ses lois, un cadre plutôt fortement teinté des couleurs du space opera à la manière de Carolyn Cherryh. Bref, la plume de l’auteur possède une aisance assez affirmée pour nous peindre un monde aux couleurs subtiles et "intersidérales", une intrigue forte mettant en scène des personnages terriblement fidèles à eux-même et à leurs engagements. La cruauté des rapports est nuancée par un sentimentalisme qui triomphe par touches subtile sans jamais sombrer dans la mièverie, piège classique du genre. La science est passée dans ce monde bariolé aux teintes colorées, et son souvenir et sa résurgence sont souvent liés à un sentiment du magique. La prose d’Asaro est fine et écoule doucement son flot de conflits, haines, visions socio-culturelles et rapports amoureux avec la dextérité d’un grand artiste joueur de viole. La haine naissante entre Vyrl, l’étranger prodigue et Jax le tyran a cette intensité des drames à la façon d’un Shakespeare ou encore ressort de certains moments des drames scéniques de Racine, car ils sont écrits par un auteur qui à aucun moment ne se moque de ses lecteurs. Face aux traditions et aux codes d’honneurs misogynes et manichéens, Vyrl (Lion des étoiles) semble issu d’un autre monde, une société relevant de quelque chose de passé et en même temps d’éternel, d’immuable. Il est consternant de savoir que les littératures dites de l’imaginaires regorgent de cas flagrants de "littérature comparée" et de faire comme si il n’en était rien est un vrai scandale. Fixisme intellectuel typiquement français, propre à une culture qui a peur des artifices et des "brodages imaginaires", intellectualisme élitiste lassant à force de ne vouloir que le réel nu, dépouillé, presque dépressif. Car cela a beau s’agiter, être subversif, ces littératures sont des puits référentiels de cultures mêlée, jointes, convergeant toutes vers des systèmes de créations qui engendrent des mêmes considérations philosophiques, éthiques, religieuses que la littérature dite saine et normale parce que "à propos du monde vrai". Ainsi, à partir de la page 199 l’auteur procède à une sorte de réécriture du drame d’Antigone (Vyrl servant de pendant masculin à cette fille qui accuse le pouvoir), et qui, tout comme Jean Anouilh le fit de celui de Sophocle, va s’attaquer à ce système totalitaire masculin. Forte et belle, cette scène expose tout le panache qu’il y a à résister aux édits par le "non"courageux (le contrat de Pont de Fer) , mais également tout ce que peut avoir d’actuel les tyrannies, qu’elles soient à large échelle ou sur un plan moindre, dès lors qu’il y a empêchement à disposer librement de soi-même. Le libre arbitre, oui, le droit à aimer, où, quand, qui, autant de données propres à qualifier le "je veux" aux dépends du "tu dois", telle pourrait être cette question philosophique mais bien encrée dans le contexte particulier d’une science-fantasy où c’est le romanesque qui va servir à rétablir cet ordre que dans notre réalité nous accordons au fameux "ordre des choses". C’est que le romanesque dans les littératures de l’imaginaire ne peut se satisfaire simplement des édits non écrits et autres droits immuables, il a besoin de mouvements, d’intrigues, d’épreuves pour mettre en image ce droit à disposer de soi. Asaro y ajoute l’intelligence d’une narration qui ne cède pas complètement aux clivages faciles du manichéisme héroïque, pour lui préférer la providence qu’est le rachat de chacun, quel qu’il soit, cette possibilité de se sauver malgré soi, malgré les erreurs, malgré le mal au coeur des rapports humains. Vyrl souffre d’un mal étrange qui le fait monstre aveugle et violent, et c’est Kamoj qui lui apportera le remède, simple, beau et vrai : une présence qui rassure, une parole qui absout. Chaque personnage devient complémentaire et même ceux qui se sont le plus exprimés par le mal connaîtront leur droit à ce sauver eux-même. Et dans un décors ressortant des sérials plein de décors romantiques et poétiques à la star wars, Barsoom, Flash-Gordon et les vieux contes médiévaux, Asaro referme les rideaux sur un univers proprement enchanteur, non seulement pas son cadre, mais aussi et surtout par ses rapports humains, cette humanité qui parvient à vaincre par delà les souffrances, par-delà le mal qui s’attache si bien et peut se défaire aussi bien. Dans la tradition de Cherry, Vinge, McIntyre, Bradley, Moore, MC killips, Brackett, Lee, Catherine Asaro allume une nouvelle étoile dans le ciel des grandes femmes écrivains ou plutôt écrivaines. Ce livre est une merveille de justesse, de tendresse et de vérité, mais aussi une remarquable création d’un univers en tout point aboutit, tant au niveau esthétique, poétique, narratif, politique que sentimental, probablement le thème le plus dangereux à exploiter dans l’imaginaire, tant il peut porter à caution sur la validité d’une histoire.
Quand à la couverture magnifique du grand Formosa, que dire sinon qu’elle illustre parfaitement cet autre particularisme de cette histoire fortement teintée de vocables Incas et autres emprunts exotiques pour servir une grande histoire universelle qui touche bien droit au coeur. Le glossaire et la chronologie en fin d’ouvrage en renforce la véracité en lui accordant une texture historique et un réalisme qui pour être fantasque lui accorde le droit de se hisser au niveau des plus grands prosateurs du genre, si on pardonne à l’auteur son esthétique marquée et son romantisme faussement conjecturale. Un grand moment de lecture. Prix Nebula 2001, on aurait également envie de dire prix Hugo tellement cette histoire nous a fait voyager au coeur de nos sentiments, aussi peu sentimentaux nous revendiquons nous d’être dans notre contemporaine frustration à ne pas pouvoir aimer juste.....

Quantum Rose, Catherine Asaro, traduit de l’anglais (Etats-unis) par Sylvie Denis et Roland C. Wagner, couverture de Gil Formosa, Mnémos, 480 pages, 22,50 €.





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