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"Par le feu. Par la Vague"
Viviane Moore

Editeur :
Editions du Masque, Collection Labyrinthes
 

"Par le feu. Par la Vague"
Viviane Moore



La trilogie Celte
Par le feu
Par la vague
Viviane Moore
10/10

Viviane Moore est une habituée des romans policiers historiques, un peu à la manière d’ Elis Peters et son fameux Cadfael. Elle excelle dans l’art du policier à connotation fantastique (Fauve) . Aussi, le fait de la retrouver dans cette superbe trilogie Celte célébrant l’Irlande d’avant le christianisme et les premiers pas sur le sol par Saint Patrick, est l’occasion de découvrir combien elle compte parmi les meilleurs conteurs du genre fantasy, genre protéiforme s’il en fut et capable de se glisser dans toutes les collections sans nuire à sa postérité.

Le premier volume, Par le feu, nous ramène en 420, au commencement de l’ère chrétienne et ses timides conquêtes, dans une Irlande qui est une contrée sauvage et magique alors dans son enfance. Le récit s’ouvre sur une scène mêlant onirisme (l’apprenti Druide Eogan fait un songe ? ou bien un autre Druide, ou encore l’auteur elle-même ?) et réalisme (le sacrifice d’une jeune Druidesse) dans une scène horrible où on sacrifie une jeune femme à des marais dans lesquels semble demeurer un mal tapit au coeur des boues. Viviane Moore parvient admirablement à limiter les effets de cette scène par cette écriture superbe décrivant une nature magique et vierge, une nature où chaque pierre, chaque brin d’herbe est animé de la vie universelle, et se trouve revêtu d’une couleur particulière, un contraste qui en fait des êtres à part entière, ce qui atténue l’impact violent et la cruauté affichée.

Tout repère au monothéisme est évacué et c’est là que la plume de Moore est tout à fait originale, car nous sommes dans un monde où tout fait sens, où les animaux, les oiseaux sont porteurs de significations et de symboles. Echappant aux lieux communs si souvent célébrés par une fantasy par trop conventionnelle dans ses moyens et ses effets, Moore nous entraîne dans un monde totalement étranger au notre, à tel point qu’on a parfois l’impression en la lisant d’être un véritable voyageur découvrant un nouveau monde, un monde échappant à toutes nos normes et valeurs.

Ainsi, au court des feux de Belteine, Fergus le Rouge et Eogan le Sombre en proie à de multiples visions, participent avec le Gwydion, dont ils sont des élèves, à un banquet célébrant les Rois des cinq royaumes. Or, Eogan a été témoins lors de l’une de ses visions de la disparition des 5 royaumes, la fin de l’Elrin et l’oublie de Tara dans les ramures des bouleversements à venir. Les troupes du balafré font sécession et le songe d’Eogan semble suivre son déroulement. Les présages s’accumulent et le monde semble vaciller. Un jour, les mercenaires Fomoire (qui font penser aux Berserkers et autres Wendols des scandinaves) s’abattent sur Emain Macha et massacreront indifféremment hommes, femmes, enfants et vieillards, jusqu’au vieux sage. Il emporteront dans leur course sanglante l’un des talismans sacrés de la tribu de Danann.

De cet acte sacrilège et ce massacre va naître la quête de Fergus le poète et Eogan le visionnaire qui vont parcourir cette Irlande mythique encore habitée par les archétypes d’une époque tellement étrangère à la notre, une histoire qui aurait pu être assimilée à un lais, au dit d’une conteuse assise sur la mousse verte et fraîche d’une terre mythique bordant une rivière dont l’eau est plus claire que le cristal, une eau caressée par les chants anciens et les psalmodies tristes et gaies, les contes héroïques et les gestes grandioses du pays d’Eriu (l’Irlande) . Si toutes les routes menaient à Rome, les eaux de cette Irlande d’un autre temps mènent au fameux Sid, cet autre monde signifiant Paix. Force des personnages, magie ancienne et spiritualité païenne, violence et lyrisme, constituent le paradigme d’un système de pensée où le mythique et le poétique sont en accord intime, une symbiose parfaite à une époque où l’homme ne s’interrogeait pas encore sur son avenir ailleurs mais où il faisait corps avec le monde. A noter, la richesse d’une langue au service de l’histoire, ce qui renforce l’impact du récit qu’on croirait puisé à d’anciennes légendes, un peu à la manière du kalevala, le Kalevipoeg, les Niebulgens ou la saga de Hrolfr sans terre, ici, le référent direct semblant être Le Mabinogion.

Par la vague quand à lui est un second tome se situant dans une Ecosse mythique (Alba) et abordant le Pays de Galle (Cymru), baignant tout comme l’Irlande dans la même luminosité brumeuse, celle d’une autre ère, d’un autre mode d’existence. Eogan et fergus y poursuivent leur périple à la recherche du talisman. Mais la quête est souvent en fantasy prétexte à une recherche bien plus secrète, plus intérieur, et son obtention n’est pas sans douleur. Ainsi, après des rixes et combats dignes d’un récit à la Robert Howard, Eogan va en apprendre un peu plus sur ses origines. On suivra alors leurs combats héroiques contre les furieux Pictes tatoués de bleu, ainsi que contre les redoutables et cruels pirates irlandais chasseurs d’esclaves. Eogan apprendra pourquoi sa mère fut sacrifiée aux marais. Ces révélations vont les emmener vers l’autre terre de légende qui est Cymru (Le pays de Galle) où ils vont se retrouver face à face avec le vieux magicien Myrddin (l’ancêtre de Merlin non encore christianisé) ainsi que Art Ours, dont la bravoure à affronter les saxons fera de lui le futur Roi Arthur. La fin est une série de révélations, notamment la vérité sur l’identité du père d’Eogan, des événement contés par le mystérieux homme au loup. Une fin tout en nuances et au fort accent Shakespearien, dont le départ des héros de légende pour l’Armorique annonce un troisième et ultime volet des plus fascinant. On reste subjugué par cette trilogie au ton légendaire, on est emporté irrésistiblement par cette aventure sur trois contrées différentes sous l’égide des cieux Celtes. Les paragraphes courts se succèdent à des paragraphes plus longs sans déperdition de l’intrigue ou changement de rythme. Moore est une remarquable styliste de la fantasy et sa plume n’est pas sans rappeler Howard pour cette réécriture sauvage d’une histoire légendaire (Cormac Mac Art, Cormac Fitgeoffrey de Robert Howard) pleine de bruits et de fureur, mais elle peut être également assimilée à Gemmell pour cette facilité à donner de l’ampleur, de l’intérêt et du relief à une histoire. Il y a en outre ce plus chez Viviane Moore, ce qui la démarque justement de ces deux monolithes. Il y a cette magie de la prose qui lui fait présenter aux lecteurs une histoire où la nature, les personnages et les dialogues semblent participer à un véritable enchantement. Il y a une luminosité, un contraste qui paraît baigner tout son univers dans une étrange et belle lumière, celle des premiers jours du monde où les pierres parlent des gestes des héros et où les lacs, rivières et marais profonds demeurent les dépositaires éternels des grandes histoires d’amour nimbées de tristesse.

Entre féerie et horreur, violence et douceur des sentiments, le monde de Moore est un vrai plaidoyer au dépaysement. Ce monde Celte, comme l’évoque la fin du second tome, est un monde appelé à disparaître, un monde en proie à l’entropie fatale et inévitable. Alors l’auteur nous le fait ressentir à travers ces pages, elle nous l’offre comme un cadeau, comme le présent sacré pour un lecteur avide de ces histoires où les héros étaient en symbiose avec le monde, où l’enchantement était encore en présence du monde. Saint Patrick va bientôt débarquer pour imposer la nouvelle loi et la fin des anciens Dieux. Le paysage lentement s’estompe et les Dieux des anciens cultes vont se réfugier dans le coeur de la terre noire. Tout s’efface, tout disparaît, et les chants des muses se tairont bientôt. On pensera au livre de Poul Anderson "Le dernier chant des sirènes" pour cette histoire touchante qui transparaît sous l’aventure et qui parle du passage inévitable à la nouvelle ère.

L’autre prouesse de Viviane Moore est de s’être à ce point passionnée pour son histoire qu’elle en a réitéré jusqu’à la langue fascinante et ancienne, une langue qui parlait aux esprits et aux Dieux de ce Celtisme Panthéiste qui laissera dans les esprits la trace de l’ineffable. Enfin, cette histoire est aussi là pour nous montrer que quels que soient les religions, les mêmes prêtres sont toujours là pour commettre leurs infâmes rites, et que la femme avait comme toujours à en pâtir, soumise à l’anathème misogyne. Mais ne nous égarons pas. Le cycle de Moore n’est à aucun moment un roman féministe mais un hymne au Celtisme et à la grande aventure, comme quoi Gemmell a un équivalent féminin des plus talentueux. Le troisième volume, qui se déroulera en Armorique, s’intitulera Par le vent. Viviane Moore est une très belle femme née à Hong Kong et vivant à Chartres. Son aisance à transcrire dans notre langue cette geste Celtique est une réussite totale de la fantasy.

Emmanuel Collot

Par le Feu, Par la vague, Viviane Moore, 249 pages et 228 pages, 14,50 Euros et 15 Euros.





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