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  Sommaire - Dossiers -  La Compagnie des Glaces par Serge Perraud -  Biographie

"Biographie"


G.-J. Arnaud n’a pas commencé sa carrière de romancier dans la SF avec La Compagnie des glaces. En fait, lorsqu’il aborde ce genre, il a derrière lui un nombre déjà impressionnant de romans puisqu’on peut en recenser, tous pseudonymes confondus, 240 en 1980. En effet, depuis novembre 1952, date de publication de : Ne tirez pas sur l’inspecteur, son premier roman qui a séduit le jury du Prix du Quai des Orfèvres, il accumule les titres dans presque tous les genres de la littérature populaire.

Le monde glaciaire qu’il imagine en 1980 n’est pas le premier univers romanesque créé par G.-J. Arnaud. Il a, depuis ce mois de juillet 1928 date de sa naissance à Saint Gilles du Gard, vécu en imagination bien d’autres aventures, visité et exploré bien d’autres continents. Elève moyen, au strict rapport des normes de la réussite scolaire, sauf en français et en latin, il passe une enfance fort agitée à suivre les péripéties de ses héros personnels dans des royaumes lointains. Il prépare et obtient son baccalauréat à Saint-Gaudens, puis part à Toulouse étudier le droit. Sur les conseils d’un ami, il bifurque vers les sciences politiques. Il rencontre Madeleine qui deviendra pour toujours son épouse. Mais celle-ci, sa formation finie, doit rejoindre son poste d’enseignante dans la région lyonnaise. Lui, le natif du sud, qui n’a jamais dépassé vers le nord la latitude d’Orange, la suit jusque dans les brumes de la Saône.

DES DEBUTS PROMETTEURS

Là il dispose de quelques temps avant d’être appelé pour effectuer son Service Militaire. Il profite de cette liberté pour réaliser un « vieux rêve » : écrire un roman policier. Il retient, pour placer son intrigue, l’atmosphère confinée d’une petite ville du Mâconnais qu’il a visité tout récemment. Il crée pour l’occasion l’inspecteur Sigorgne, un jeune homme timide, fragile, le premier de la longue série des anti-héros qu’il affectionne tant pour ses polars.
Pendant qu’il est au camp de la Valbonne, pour reconstituer un régiment de dragons, sa femme dactylographie le manuscrit et l’envoie aux Éditions Hachette qui manage le Prix du Quai des Orfèvres.
Ce livre remporte le Prix. Mais l’auteur, pour être édité, doit prendre un pseudonyme, car comble de l’humour noir, un certain Henri Girard a acquis la gloire littéraire, depuis deux ans, sous le nom de Georges Arnaud avec Le Salaire de la peur. Contraint, il retient le nom de Saint Gilles en référence à son lieu de naissance et en hommage au commissaire Gilles, le personnage de Jacques Decrest, un des membres du jury qui a soutenu son roman.

LA TRAVERSEE DU DESERT

Revenu à la vie civile, il souhaite continuer à écrire et, pourquoi pas, vivre de sa plume. Toutefois, les Éditions Hachette, hors la collection L’Énigme où est intégré le livre qui obtient le Prix, ne publient pas de romans policiers inédits. Les principaux éditeurs ont déjà des équipes d’auteurs constituées, qui ne souhaitent pas laisser de la place aux nouveaux venus. Les collections se spécialisent et s’installent sur des créneaux particuliers. En matière policière la mode est au roman noir américain. Nombre d’auteurs doivent prendre des pseudonymes à consonance anglo-saxonne. Le roman d’espionnage a le vent en poupe et prend le pas sur les autres genres.
On lui renvoie ses manuscrits, prétextant que son livre ne correspond pas à l’esprit de la collection ou de la société d’édition. Des manuscrits ne reviennent pas car, entre-temps, l’éditeur a mis la clé sous la porte.
Georges Arnaud a du prendre un poste de « pion » dans un collège technique. Cette traversée du désert est très dure à vivre pour l’auteur. Il désespère d’être un jour édité. Hachette a bien fait paraître un second roman en 1954. Il a eu une nouvelle dans un numéro de Mystère Magazine, mais pour le reste...

REPUBLIER ?

L’un des textes qu’il envoie finit par retenir l’attention. Il s’agit de celle d’Edmond Nouveau le patron des Éditions de l’Arabesque, une jeune société. Mais la lettre d’accompagnement portant les coordonnées de l’auteur reste accrochée par un trombone à un autre manuscrit. Six mois passent avant que Georges reçoive un courrier l’informant que son livre est fort intéressant mais que la collection pour lequel il a été écrit s’est arrêtée. Toutefois, s’il acceptait de le retravailler pour en faire un roman d’espionnage... De plus, quelles sont ses références ? Qu’a-t-il déjà écrit ? Où a-t-il publié ?

Quand Edmond Nouveau apprend que l’auteur n’est autre que Saint-Gilles, qu’il a eut « Le Quai », il décide de créer immédiatement une nouvelle collection policière. Si Arnaud veut bien lui envoyer un manuscrit celui-ci fera le numéro 1 de Crime Parfait ? L’éditeur tient parole et le 15 mars 1957 parait Du sable pour linceul signé Saint-Gilles. (Toujours !)
L’Arabesque a besoin de titres dans tous les genres. Georges a la capacité de répondre à la demande et Nouveau ne se prive pas de cette possibilité. Ainsi, pour pouvoir continuer à publier des policiers de très bon niveau, il doit s’adonner à une production torrentueuse de livres d’espionnage et érotique. Il multiplie les pseudonymes car, certains mois, L’Arabesque, toutes collections confondues publie jusqu’à trois romans de Georges. Il crée Luc Ferran sous le nom de Gil Darcy pour concurrencer Coplan de Paul Kenny, qui « fait un tabac » dans le domaine de la littérature d’espionnage.






LE FLEUVE NOIR

Il entre au Fleuve Noir en 1959 par le biais de la collection Grands Romans. Composée de récits d’aventures exotiques, celle-ci exigeait une puissance créatrice certaine pour tenir le format requis du million de caractères et François Richard, son directeur, manquait d’auteurs. L’Enfer des humiliés permet à Georges Arnaud, de stabiliser sa situation et de retrouver après sept ans son patronyme en intercalant l’initiale de son second prénom. Il a 31 ans.

Il réalise ainsi l’un de ses objectifs le plus cher : pouvoir intégrer l’équipe de cette maison qui, en une dizaine d’années, s’est imposée comme l’éditeur numéro 1 de la littérature populaire dépassant en nombre de lecteurs et de ventes, à défaut de notoriété, d’autres collections d’éditeurs pourtant prestigieux comme Gallimard et sa Série Noire.

Il lutte pour placer Virus, en 1960, dans la collection Spécial-Police et doit convaincre pour faire éditer Forces contaminées en 1961, dans la prestigieuse collection Espionnage, une collection où les volumes des « vedettes » étaient tirés à 120-150 000 exemplaires.
Mais le pari est gagné et se succèdent alors, à un rythme soutenu la parution de livres signés G.-J. Arnaud. Ainsi, jusqu’à la fin des années 60 il se partagera entre les trois grandes collections déjà citées. Toutefois, à la demande de son ancien éditeur, il refait quelques Luc Ferran pour relancer la série qui s’essouffle et alimente, pour le plaisir, sous pseudonyme, d’autres collections chez Ferenczi.






UN CERTAIN REGARD...

Mais sous cette apparente quiétude la vie de l’auteur « n’est pas un long fleuve tranquille ». Georges Arnaud doit constamment faire valoir son point de vue, défendre sa volonté de ne pas se plier aux cadres trop restrictifs des collections. Il veut se démarquer de la production standard. Ainsi, pour les romans destinés à Spécial Police, il ne souhaite plus se contenter de faire : « ...des constructions astucieuses avec des implications psychologiques et des situations pittoresques. » mais : « introduire dans le genre un élément social, un élément critique et de nombreux aspects de la vie de tous les jours ».

Il commence cette évolution dans Tatouage, en 1965. Dans ce livre, il élabore son intrigue sur une grève dans un des quartiers populaires de Madrid et termine avec une chute à la fois policière et politique. Il continuera, ainsi, dans ses polars, à suivre l’évolution de la société, portera une vision critique sur les liens entre politique et affairisme, sur les dangers et les dérives menaçants le libre arbitre de l’homme, sur les secousses de notre civilisation...






LES ESPIONNAGES

Pour la collection Espionnage, il crée le Commander. Mais ce personnage récurrent l’ennuie par son coté rigide, conventionnel, calibré. Il cherche une possibilité de s’exprimer différemment. C’est ainsi qu’en 1971, il s’affranchi des règles du genre en imaginant La Mamma, une vieille femme qui lutte pour son propre compte avant de devenir l’adjoint du Commander. Peu à peu, elle fera jeu égal avec le héros avant de devenir, elle-même, l’héroïne principale de nombre de livres.

Très vite les romans d’espionnage de Georges Arnaud évoluent vers le reportage d’investigation. Il exécute, à son échelle, le même travail qu’une centrale de renseignements. Il constitue des dossiers complets étayés, sur des compilations d’articles de presse de toutes tendances politiques, des contacts dans divers milieux, par un travail d’enquête approfondi. Il analyse ces données et livre ses conclusions à travers les aventures du Commander et de La Mamma. Avec le recul et la diffusion plus large d’informations sur cette époque, on mesure mieux toute la rigueur de ces romans, la qualité des synthèses et la vision éclairée de l’auteur. Ainsi, dans ses « petits bouquins » il l’un des premier à remettre en cause la classe dirigeante engluée dans des affaires, (déjà !), les « magouilles » politiciennes, à dénoncer le développement des sectes, la responsabilité de la CIA dans les guérillas et son ingérence dans les affaires intérieures de nombreux pays, les dangers du nucléaire, le sort des Palestiniens au Moyen Orient... Par exemple, avec O combien de marins..., il traite du sort des équipages des premiers marins nucléaires, un secret d’état à l’époque.


L’ÉROTISME

Georges Arnaud a écrit également pour la littérature érotique, mais contrairement à d’autres auteurs, il n’a jamais ni caché, ni nié le fait. Avant de porter un jugement négatif, a priori, sur ces ouvrages, il faut les lire et admettre que, malgré le genre « mineur », Arnaud écrit avec le même sérieux, la même attention, le même talent. D’ailleurs, certains volumes, certaines séries mériteraient amplement de sortir de l’oubli comme les 15 « Marion » publiées entre 1974 et 1976, sous la signature d’Ugo Solenza. L’action de cette saga se situe dans l’Irlande du XVIIIè siècle, pendant la Grande Famine, un des moments les plus noirs de l’histoire du pays. Le récit des tribulations de la jeune héroïne à travers le pays est fondé sur une documentation historique conséquente, constituée avec le même souci de véracité que les dossiers pour l’espionnage. La reconstitution de la vie irlandaise, à travers différentes couches sociales, est riche et éclaire les luttes menées à la fois pour la libération de la femme et du pays. Certes, les nombreuses péripéties, car ces livres sont aussi des romans d’action, sont ponctués de parenthèses érotiques, mais dont la description n’est jamais ni vulgaire ni pornographique.










Il travaille pour presque toutes les collections du Fleuve Noir. À la demande de François Richard, pour la collection Angoisse en perte de vitesse, il écrira quatre textes dont la mythique Dalle aux maudits. Ce livre rédigé en 8 jours est un texte fantastique, terriblement angoissant et prémonitoire.

Il approche la science fiction en 1971 avec une trilogie dénommée : Les chroniques de la grande séparation. Il se sert de ses thèmes de prédilection comme l’isolement, la sauvegarde du libre arbitre, de la liberté de pensée et les conjuguent à la dimension de planètes. Cette série, passée un peu inaperçue, mérite d’être redécouverte pour la richesse de ses situations et parce qu’elle préfigure, en quelque sorte, La Compagnie des glaces.
La carrière de G.-J. Arnaud est devenue inséparable de celle du Fleuve Noir, à tel point que François Rivière fera l’événement dans Libération, en 1986, avec un article de fond justement intitulé : Le fleuve Arnaud.

Toutefois, entre 1979 et 1984, il continue une série érotique basée sur les découvertes sensuelles, sexuelles de Pascal, un adolescent qui, peu à peu, au fil des romans devient aussi retors, aussi manipulateur que le Julien Sorel du cher Stendhal.

LA NAISSANCE DE LA COMPAGNIE

Et puis lui vient l’idée, à partir d’expériences plus ou moins abouties sur les économies d’énergie, de faire des séries de quelque volumes démontrant le coté autoritaires voire dictatoriales que certains techniques peuvent prendre, leurs dictats dans la vie quotidienne et leur influence sur l’évolution de la société. « Je pensais prendre comme sujet, l’énergie nucléaire bien sûr, l’électricité, une autre fois les transports, etc. Je ne pouvais traiter ces sujets dans un cadre policier. Il me fallait les déporter vers l’avenir. L’anticipation s’y prêtait bien. Par goût, j’apprécie les terres sèches, les déserts. Je cherchais... C’est ma femme qui m’a dit : « Toi qui n’aime pas le froid, la glace et qui sait très bien décrire ce que tu déteste, pourquoi ne pas prendre un désert glacé ? ». Comme j’aime également beaucoup les trains et le monde ferroviaire, le sujet était né.
Mais au départ, je ne pensais faire qu’une série de 4 à 5 livres. Et puis, dès la fin du premier j’ai compris que je pouvais, que je devais aller plus loin ».
La Compagnie des Glaces était née, la formidable saga allait commencer.

Parallèlement à cette fresque, il continue d’écrire des polars. Il clôt les aventures du Commander en 1986 dans Cerveaux empoisonnés où il lance une charge justifiée contre les sectes et particulièrement la secte Moon. Il fera deux volumes, en 1985 et 86 pour la collection Gore. Ce genre littéraire qui privilégie la description de carnages, de tueries et autres dépeçages a eut une vogue dans la décennie 80. Mais l’absence de trame, la compilation de scènes sanguinaires qui finissaient par toutes se ressembler à eu raison de la collection. Toutefois G.-J. Arnaud a su ménager les règles du genre et son goût pour des intrigues ficelées.
Puis, en 1992, il interrompt toute relation avec le Fleuve Noir, après 33 ans de totale collaboration, suite à la légèreté frisant l’incompétence du directeur de l’époque. Avant de partir, parce qu’il a toujours eu un grand respect pour ses lecteurs, il termine la Compagnie des glaces au numéro 62, sur une conclusion parfaitement cohérente, bien que de nombreux développements soient déjà imaginés.

UNE SOIF INEXTINGUIBLE DE NOUVEAUTES

À partir de 1987-88, il aborde des genres nouveaux comme une trilogie de souvenirs publiées chez Calman-Lévy dans laquelle il renoue avec ses racines à travers les vies croisées de ses arrières grands-parents, puis grands parents avant d’évoquer avec beaucoup d’humour sa prime enfance. Les Moulins à nuages, le premier tome est récompensé par le Prix R.T.L grand public. Ce livre lui vaut d’être invité par Bernard Pivot dans son émission Apostrophes, alors qu’il a, à son actif, plus de 330 romans et quelques nouvelles.

Il commence Les Compagnons de la Galère, une attachante tétralogie sur Toulon, dont l’histoire s’est construite et se confond avec celle de son bagne et de la marine, hélas en rade aujourd’hui.

Il se plonge dans le Paris des années 1830 avec les aventures des jumeaux Hyacinthe et Narcisse Roquebère, deux avoués qui se livrent à des enquêtes dans un univers balzacien. Le thème et le contexte offrent de grandes potentialités de développements mais la série reste également inachevée à ce jour.

En 1995, il accepte de revenir au Fleuve Noir, suite à un bienheureux changement d’équipe, pour une série de romans d’aventures dans une collection nouvelle Aventures et Mystères. Il crée pour l’occasion Ugo Cardone, capitaine du Vésuvia, un vieux cargo rouillé. Dans les années 30, ce personnage aux airs de Corto Maltese, se livre à mille trafics, en marge de la légalité dans une Europe chancelante.

Il propose alors de reprendre La Compagnie des glaces sous la forme de spin off, des volumes permettant d’éclairer certains faits et événements pour les expliquer ou les approfondir, sous le titre générique des Chroniques Glaciaires.

Il entre au Éditions du Masque en 2001, à la demande de Serge Brussolo, pour des polars qui ancrent leurs intrigues dans le passé des Corbières. La même année, il commence La Nouvelle Époque de la Compagnie, avec le pari de publier un volume de 288 pages tous les deux mois.

Pour le lecteur d’aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de suivre les publications de G.-J. Arnaud. D’une part, parce que celui-ci est sollicité par de nombreux éditeurs et parce que d’autre part, il n’existe plus une seule société d’édition capable de publier tout son travail. Il est toujours aussi actif, toujours dévoré par le besoin d’écrire, de faire partager ses vastes univers romanesques, les aventures imaginaires qu’il partage avec ses personnages, s’identifiant à eux. C’est cette implication qui rend son œuvre si attachante, si riche, jalonnée de tant de romans de haute qualité et de tant de chefs d’œuvre.

Serge Perraud


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