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Sommaire - Interviews -  Joann Sfar, réalisateur du film Le Chat du rabbin


"Joann Sfar, réalisateur du film Le Chat du rabbin " de Damien Dhondt


Issu d’une union ashkénaze/ sépharade, petit-fils de l’aide de camp d’André Malraux dans la brigade Alsace-Lorraine, Joann Sfar a étudié la philosophie et les beaux-arts. Auteur de BD et romancier, collaborateur à Charlie-Hebdo et dans l’édition, il s’est lancé dans le cinéma avec "Gainsbourg, vie héroïque". Puis est venue l’adaptation en film d’animation de sa bande-dessinée "Le Chat du Rabbin" où un félin doué de parole en profite aussitôt pour contester les enseignements de la Thorah. Bien entendu ceci ne l’empêche pas de réclamer sa Bar Mitzvah ! Aux objections de son maître le rabbin Sfar qui précise qu’il faut avoir treize ans, le chat réplique aussitôt qu’il est âgé de sept ans, ce qui en "années chat" fait 7 fois 7, donc 49. Il est donc largement temps de procéder à la cérémonie. Que voulez-vous répondre à cela ?

Comment s’est déroulée la génèse du film d’animation "Le Chat du Rabbin" ?

J’ai reçu de nombreuses propositions d’adaptation successives du chat en film ou en dessin-animé. Je n’ai pas accepté car je n’avais pas compris pourquoi la bande-dessinée avait marché. Donc je ne savais pas remettre ce titre en jeu. J’étais un peu anxieux et puis je me suis rappelé que Robert Crumb a fait vingt ans de dépression nerveuse quand il a laissé Ralph Bakshi faire son "Fritz the Cat". Pourtant c’est un excellent dessin-animé. Mais un dessin-animé est beaucoup plus vu qu’un livre et quel que soit le succès du livre on a peur. J’ai été rassuré le jour où j’ai vu les comédiens _ François Morel, Maurice Benichou, Hafsia Herzi _ dès qu’on a pu les filmer. Car avant l’animation il y a eu un mois de tournage en costume avec des caméras, des perches et tout ça. Je me suis rappelé les pièces de Molière en CM2 et je me suis dit que le Chat ressemblait un peu à Scapin. Si on enlève le folklore on se retrouve dans une histoire assez proche de Molière avec un papa, une fille à marier et un petit diable qui va leur compliquer la vie. Donc dès qu’on a eu les comédiens je ne pensais plus à mon livre et c’est devenu une entreprise.

Est-ce difficile de metttre en dessin le réel ?

On s’est documenté comme je l’avais fait pour les bande-dessinées. Ma grand-mère me parlait toujours d’Oran, de Sétif de Ben Abbès comme si j’y avais été. Or moi je n’y ai jamais été et quand il a fallu faire une bande-dessinée là-dessus avec beaucoup de naïveté j’ai utilisé tous les clichés de l’imaginerie coloniale orientaliste pour y mettre les souvenirs de ma grand-mère. Et on a essayé de retrouver cette candeur là pour Algérie. On s’est à la fois énormément documenté _ ce qui fait que quand Fellag a vu les images il a dit "mais je reconnais le marché d’Oran" _ et en même temps on a colorié, on a construit pour que ce soit le plus faux possible. Il y a une chose qui me trouble beaucoup c’est que quand il est question du Maghreb les gens essaient toujours d’être le plus réaliste ou le plus naturaliste possible. Or la plupart des enfants qu’ils soient musulmans ou juifs et qui ont des racines maghrébines ne vont que trois semaines par an au Maghreb. Ce Maghreb est imaginaire. La nostalgie chez moi ce n’est pas une nostalgie de l’Algérie. C’est une nostalgie de l’Algérie que me racontait ma grand-mère.
Je n’essaie pas de dire "c’était mieux dans ces années-là". J’essaie de dire que c’était le même bordel il y a 70 ans que maintenant. Donc on va essayer de construire quelque chose sans rêver aux lendemains qui chantent. Retrouver cette population là, c’est parler d’aujourd’hui. Parler d’enseignement religieux dans cette époque là, c’est parler de gens qui ne savent pas qui ils sont. Ce rabbin à qui on apprend soudainement qu’il n’est pas le rabbin officiel de sa communauté parcequ’il ne sait pas écrire le français réagit : "Mais enfin, j’apprends la Thorah à des Juifs qui parlent arabe. Pourquoi j’ai besoin de savoir écrire le français". C’est une chose que j’ai beaucoup raconté depuis que je me rends en milieu scolaire avec la BD "Le Chat du rabbin". Juifs et Musulmans venus d’Afrique du Nord ont tous des racines berbères. D’ailleurs s’il y a deux Sfar _ un Juif et un Arabe _ dans "Le Chat du rabbin" c’est parceque mes ancêtres se nommaient Safar. Ils ont arabisé leur nom pour travailler avec les Arabes.

Quelle est la difficulté pour passer de la BD à l’écran ?

J’ai beaucoup de lecteurs dans cette BD et je savais que si j’adoucissais mon propos ils ne me l’auraient jamais pardonné. Je me demandais si j’aurais le courage de garder la scène avec Tintin ou bien l’épisode où la dispute se finit à coups de sabre. Il a fallu garder tout cela. J’avais peur des ayant-droits d’Hergé. Mais j’avais beaucoup plus peur de mes propres lecteurs. De plus il a fallu rendre cela intelligible pour les gens qui n’ont jamais entendu parler de cette bande-dessinée. Là j’ai suivi le conseil que m’adonné Marjane Satrapi " tu mets tous tes bouquins de côté et tu vois de quoi tu te souviens". Ensuite j’ai appris qu’un animateur réalise une seconde et demi d’animation par jour. Or moi je suis un peu impatient. Je disais tout le temps : "plus vite, plus vite". Je crois qu’ils avaient tous envie de me tuer.

Comment s’est passée la collaboration entre dessinateurs et animateurs ?

J’ai voulu que chacun fasse ce qu’il fait le mieux. Certains ont un style comique, d’autres plus réaliste. J’ai choisi de garder ces différences de style et aussi de provoquer la rencontre qui a été un vrai choc entre les dessinateurs de bande-dessinée et les dessinateurs d’animation. Ils ne vont pas structurer un personnage de la même manière. Pour des questions de réalisme il fallait mettre en évidence muscles et tendons. On s’est même procuré un squelettte de chat. Il y avait aussi des différences d’âge. Des jeunes de 22 ans donnaient des leçons d’anatomie à des animateurs qui ont la soixantaine. Cela peut provoquer des disputes. Cette rencontre était assez explosive et très amusante. Je fais partie des gens qui considèrent que les dessins relèvent des sciences humaines. Cela s’étudie. Cela s’apprend. Cela discute. Manifestement la bande-dessinée et l’animation sont deux sciences assez différentes et on a appris beaucoup.

Pourquoi ne pas avoir réalisé un film "live" ?

C’est l’histoire d’un chat qui parle. Si on avait du faire parler un chat dans un vrai film cela aurait donné comme dans "Stuart Litttle". On verrait que le chat qui parle c’est pour de faux. Le principe c’est qu’un chat qui parle doit s’exprimer avec le même naturel que les autres comédiens.

Comment est venu le choix de la 3D ?

En milieu de production on s’est aperçu que c’était possible. Pour dire autrement on a appris que la production était prête à payer pour qu’on le fasse. Cette toute nouvelle technique m’a intéressé.

Comment définir les personnages ?

Je raconte à peu près toujours la même chose. J’ai ma petite famille de personnages et j’aime bien qu’ils soient le plus caricaturaux possibles comme le Chat et l’Africaine, comme des masques. De mon point de vue si on veut s’identifier à un personnage il faut qu’il soit le plus simple possible.

Comment ont été choisi les acteurs ?

Ce sont des gens aux voix très différentes. Pour François Morel je l’ai rencontré à une lecture du Petit Prince. Lorsque le Chat déclare qu’il aime sa maîtresse il prend une voix ultra-ambiguë. En même temps il faut que les enfants puissent regarder.

On se doutait bien qu’un reporter belge devait avoir un certain accent. Cependant les spectateurs pourront être assez surpris.

J’ai demandé à François Damiens qu’il invente un Tintin qui fasse marrer les Belges. Il a alors improvisé une chasse à l’éléphant. C’était tellement réussi que toute l’équipe était morte de rire. Hélas on ne pourra jamais la diffuser. J’ai consulté des avocats pour éviter certains problèmes. Ils m’ont expliqué que le dialogue devait rester à la virgule prêt ce que j’avais écrit dans la BD.
Des amis ivoriens adorent "Tintin au Congo". Cet album leur rappelle comment les Blancs peuvent être bêtes.
Nos héros utilisent une des autochenilles Citroën qui a fait la Croisière Noire en 1925 à l’époque du grand moment du combat entre Renault et Citroën. C’était la grande période du colonialisme en Afrique. C’est aussi un film sur le racisme et le rabbin est aussi con que les autres.
En France la haine entre communautés est récente. Dans ma jeunesse je faisais partie du service de sécurité de la synagogue de Nice et avec mes potes arabes on passait notre dimanche à casser du skinhead.
Pour le film on a utilisé une musique hybride avec des musiciens qui venaient du même village que Zidane ( ce qui indique que ce lieu génère beaucoup de talent ) et l’ "Amsterdam Klezmer Band" qui interprète de la musique d’Europe de l’Est. Cette expérience où les deux musiques s’affrontent a abouti à une fusion..

(Voir chronique de ce film dans la rubrique cinéma de ce site)

BIBLIOGRAPHIE

BD
  "Noyé le poisson", "Le Borgne gauchet", "Le Petit monde du golem", "Pascin", "Les Carnets" (L’Association)
  "Sardine de l’espace" (Bayard Presse & Dargaud)
  "Les Aventures d’Ossour Hyrsidous" (Cornélius)
  "Paris-Londres", "Merlin", "La Ville des mauvais rêves", "Le Minuscule mousquetaire", "Le Chat du rabbin", "Socrate le demi-chien", "La Vallée des merveilles", "Brassens ou la liberté" (Dargaud)
  "L’Homme-Arbre" (Denoël Graphic)
  "Petrus Barbygère", "Les Potamoks", "Troll", "Professeur bell", "Petit Vampire", "Grand vampire", "Le Bestiaire amoureux" (Delcourt)
  "La Fille du professeur", "Les Olives noires" (Dupuis)
  "Klezmer", "L’Ancien temps", "Chagall en Russie", "Brassens chansons illustrées", "Le Petit-prince" (Gallimard)
  "Critixman" (Les Rêveurs de Runes)
  "Sasmira" (Vents d’Ouest)

ROMAN
  "La Petite bibliothèque philosophique de Joann Sfar", "Orang-outan", "Monsieur crocodile a beaucoup faim", "L’Atroce Abécédaire", "La Sorcière et la Petite-fille" (Bréal)




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