On dit que les consuls deviennent tous un peu bizarres ; et les commerçants, qui peuvent vivre trente-cinq ans en Chine sans apprendre assez de chinois pour demander leur chemin dans la rue, disent que c’est parce que les consuls sont obligés d’apprendre cette langue.
Somerset Maugham nous conte les malheurs d’un consul mêlé, du fait de sa fonction, aux vicissitudes conjugales d’un couple mixte.
Car la Chine intrigue et fascine. Voyageurs ou sédentaires les Européens se sont intéressés à la Chine en décrivant les amours, la poésie, la civilisation, ce qui permet bien souvent de faire le parallèle avec la société occidentale.
Ce recueil nous procure des extraits d’oeuvres européennes ou asiatiques.
Marguerite Yourcenar (2) nous conte le dernier amour du prince Genghi, tandis qu’un anonyme chinois évoque le destin de Prunus l’une des 40000 concubines impériales au VIII° siècle (3).
Auguste Villiers de l’Isle-Adam (4) nous décrit l’audace et la maîtrise de la psychologie au service de l’amour...et de l’intérêt financier. Parallèlement Paul Morand (5) relate les aventures d’un jeune naïf français mêlé malgré lui à la politique intérieure chinoise en raison de son attachement à une singulière fille de l’Orient. Curieusement ceci renvoie à une histoire d’espionnage bien réelle qui surviendra 50 ans plus tard.
De son côté Paul-Jean Toulet s’avisa avec talent que la civilisation chinoise ne pouvait pas s’affranchir du vaudeville (6). Néanmoins il nous présente également une autre de ces facettes avec son poème "Princes de la Chine" (7).
La démarche de Victor Segalen (8) est plus originale puisqu’il réalisa des poèmes en prose en s’inspirant des inscriptions sur les stèles funéraires chinoises.
La poésie chinoise est également présente avec le poème "Pensées en voyage" de Bao Zhao (9).
Paradoxalement ce recueil contient également les réflexions d’Henri Michaux (10) qui affirme qu’un poème chinois ne peut être traduit.
Il évoque également la complexité de l’âme chinoise, ce qui explique que les rues chinoises doivent être des labyrinthes.
Parallèlement Paul Claudel (11) établit le lien des principes chinois avec l’architecture. En effet les rues sont étroites du fait de l’absence de chevaux (en raison du principe de ne pas employer un animal à la tache qui peut faire vivre un homme).
La distinction est nette entre Europe et Asie. Ainsi Octave Mirabeau (12) établit la différence significative entre les massacres brutaux typiquement européens et l’art que constitue le supplice chinois, tandis que Rudyard Kipling (13) nous décrit la fumerie d’opium qui n’affecte guère les Chinois, mais qui met à mal Indiens et Européens.
La Chine antique est relatée par Confucius (14) qui traite du mode de gouvernement, alors que Bai Ju-Yi dans "le vieux manchot de Xingfeng" (9) nous relate la sagesse d’un manchot qui s’est mutilé dans sa jeunesse pour échapper à la conscription.
Mais la Chine doit évoluer et Lu Xun dans "Tempêtes dans une tasse de thé" relate la rumeur de changement de gouvernement qui sert de prétexte à l’affirmation de la haine au sein même d’une famille, alors que dans "La Lumière blanche" le malheur résulte de la recherche de la notoriété ( avec une possibilité de fantastique).
La Chine a finalement changé grâce à la révolution et André Malraux (15) nous décrit brillamment La Longue Marche en lui procurant le statut d’épopée.
Territoire lointain la Chine a représenté longtemps un univers méconnu. Voltaire (16) profite de cette situation pour faire la critique de ceux qui critiquent la Chine sans y avoir été. Certes, lui-même n’a jamais voyagé aussi loin. Mais il connaît très bien les Européens ! Aussi il suggère aux descendants des Celtes de laisser les Chinois jouir en paix de leur beau pays et de leur antiquité. Par contre lorsqu’il relate l’entretien entre un philosophe et un prince chinois, sa démarche est quelque peu suspecte puisque sont mentionnés les princes de Décon et de Vis-Brunck (anagrammes des princes de Condé et de Brunsvick).
De même les écrits de Marco Polo (17) ont été longtemps considérés avec suspicion. On remarquera que l’extrait présent mentionne des descriptions plausibles comme les pierres noires qui brûlent dans le feu. Inconnu des contemporains européens de Marco Polo le charbon était donc pour eux la preuve d’une imposture. Mais le fait que soit mentionné le Prêtre Jean ne les étonna guère.
Par contre il n’existe aucun doute possible en ce qui concerne la véracité des écrits de Roger Nimier (18) qui relate avec panache la conquête de la Chine par d’Artagnan !
(1) dans cet extrait de Madame la Colonelle
(2) "Nouvelles orientales"
(3) Biographie des regrets éternels
(4) L’amour suprême
(5) East India and Company
(6) Comme une fantaisie
(7) Contre rimes
(8) Stèles
(9) Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique
(10) Un barbare en Asie
(11) Connaissance de l’Est
(12) Le Jardin des supplices
(13) L’homme qui voulut être roi
(14) Les Entretiens
(15) Antimémoires
(16) Dictionnaire philosophique
(17) Le livre de Marco Polo
(18) Les Indes galantes
Damien Dhondt
Bai Ju-Yi, Bao Zhao, Paul Claudel, Confucius, Rudyard Kipling, Lu Xun, André Malraux, Sommerset Maugham, Henri Michaux, Octave Mirbeau, Paul Morand, Roger Nimier, Marco Polo, Victor Segalem, Paul-Jean Toulet, Auguste Villers de l’Isle-Adam, Voltaire, Marguerite Yourcenar _ Textes réunis par Jerome Leroy _ Traduction : Jean-Claude Almaric, Maurice Coyaud, Louis Fabulet, Robert d’Humières_ Histoires de Chine _ Edition Les Belles Lettres, collection Sortilèges _ juin 2000 _ Inédit, moyen format, 290 pages _ 20,59 euros