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Sommaire - Interviews -  Jean-Pierre Mourey


"Jean-Pierre Mourey" de Damien Dhondt


Quelle est votre formation ?
J’ai fait des études d’art : un cycle d’art plastique à Strasbourg et ensuite la section de Bande-dessinée d’Angoulème.
Je vis à Angoulème. "L’invention de Morel" était mon premier album. Je travaille actuellement sur un nouveau projet d’adaptation en bande-dessinée du roman "Le Cavalier suédois" (1) de Léo Perutz, un autrichien viennois qui a écrit ce roman en 1936. Il s’agit d’un projet très long, très complexe et assez ardu à adapter.

L’adaptation de "L’invention de Morel" résulte t’elle d’un choix personnel ?
C’est une démarche personnelle. Ce roman (2), très beau et très ingénieux, est remarquable dans sa structure, comme dans son sujet. Il a immédiatement séduit Benoît Peteers des éditions Casterman. Il a suivi tout le processus artistique de la réalisation de ce projet qui a demandé trois ans de travail.

La BD se démarque-t-elle du roman ?
Globalement non, c’est une adaptation fidèle au récit dans sa globalité, de toute la trame romanesque du roman. Mais j’ai quand même modifié des séquences pour l’adapter à la bande-dessinée proprement dite.

Y a t’il des ellipses ? Certains personnages semblent plus affirmés que d’autres.
Oui, il y a beaucoup de textes que je n’ai pas gardé, dont beaucoup de monologues intérieurs du personnage. Après le but c’est de faire cela à l’image. J’ai gardé l’essentiel de l’aspect psychologique, ce qui me semblait être la quintessence et j’ai laissé de côté le reste pour faire avancer l’histoire. On n’est pas du tout dans le même langage, ni avec le même rythme de lecture avec la bande-dessinée qu’avec l’écrit.

On observe une variation dans les teintes.
Il est très important de ne pas dévoiler le suspens du roman qui repose un peu sur le principe du roman policier avec une énigme et des mystères tout au long du récit, puis un dénouement. On découvre à la fin le fin mot de l’histoire. La grande originalité de ce roman c’est d’inviter le lecteur à le relire, de créer une sorte de lecture impliquant un mouvement perpétuel d’éternel retour. C’est un roman sur le thème du temps et donc ces variations chromatiques sur les bichromies permettent de structurer le temps, toute la temporalité du récit et permet aussi de varier les ambiances chromatiques.
Cela permet d’obtenir une variété d’ambiance, ce qui permettra au lecteur de ne pas s’ennuyer au cours du récit et cela structure le récit graphique.

De quand date cette histoire ?
Ce roman publié en 1940 est à peu près contemporain des premières nouvelles de Borges. Le récit se passe sur une île du Pacifique. Tous les éléments narratifs (soleil, lune marée) ont un sens, une fonction qui à la fin prendra un sens. Ceci expliquera la succession d’énigmes et de mystères auquel on assiste au fil du récit dans la première partie de l’histoire.
Le roman repose sur le principe du roman policier. Bioy Casares était passionné de littérature policière, mais aussi de littérature fantastique. Cependant la résolution de l’énigme du roman est proche de la science-fiction. Avant l’explication, Casares présente une série d’évènements qui peuvent relever du fantastique, du symbole, de l’hallucination, mais qui en fait se résolvent à la fin de l’histoire par une explication très rationnelle proche de la SF.
L’explication finale est d’ordre scientifique. L’invention de Morel est un grand roman scientifique. Il se situe un peu dans la tradition des romans de H.G. Wells qui a eu une grande influence sur Casares. Une autre influence de Casares, c’est Edgar Allan Poe.

Il existe beaucoup d’indices. Outre le cycle des lunes, les marées, on trouve même une citation de Cicéron.
C’est un élément tiré de "La nature des dieux" de Cicéron, une citation où il évoque Publius l’Africain.

Personnellement l’atmosphère m’a fait songer au mythe de la Caverne de Platon.
Il y a des références à de nombreuses traditions culturelles. Cela va des pré-socratiques jusqu’aux poètes symboliques dans le sens du fantastique. Casares recycle toutes ces références dans un récit fantastique très inspiré de Wells avec un clin d’oeil à Poe avec les aventures d’Arthur Gordon Pym ( la toute première partie dans la cale du bateau). Ici le personnage survit dans les marécages délétères de l’Île. Cela permet de faire une sorte de parallèle, des clins d’oeils.
On peut également évoquer les thèmes plus métaphysiques du roman. On trouve une grande importance attachée à la notion de perception, ce que perçoit le personnage principal sur l’illusion de la représentation. Il existe tout un jeu, toute une élaboration narrative autour du thème de l’illusion de la représentation et de tout ce qui tourne autour de ces thèmes là.
Le défi de l’adaptation en BD c’est de retranscrire, mais dans le langage de la bande dessinée. Cela permet le questionnement de la représentation de l’illusion, de ce qu’on voit, de ce qu’on croit interpréter, mais qui va avoir une interprétation différente par la suite dans la résolution de l’énigme.
L’élément principal qui est au coeur du récit est une machine qui a une fonction très particulière. Cela mobilise des effets de répétition d’image, de temps cyclique. J’ai basé essentiellement la construction de mon récit sur la symétrie entrecroisée avec d’autres éléments. Le principal pour moi était que les choses ne soient pas visibles à la première lecture. Il existe une nécessité de relecture au niveau de la construction du récit. Une postface explique plus précisément cette démarche.

Il s’agit d’une ambiance post-révolution industrielle, bien au-delà de Jules Verne.
C’est le thème de la machine qui est au coeur du récit, thème rebaptisé par Deleuze "les machines désirantes" dans "l’Anti-Oedipe". On pourrait associer l’invention de Morel à ces types de machines évoquées par l’artiste Marcel Duchamp "les machines célibataires". On pense également à la machine de la colonie pénitentiaire de Kafka et surtout à Raymond Roussel dans "Locus Solus" qui a présenté le personnage Faustine et je ne sais pas si c’est volontaire ou non si on retrouve ce prénom dans "L’invention de Morel". Par contre il est établit que la Faustine de "L’invention de Morel" fait référence au personnage du poète Paul Jean Toulet dans "Les Contrerimes".
Moi j’adapte le roman. Mais toute la substance est de Casares. J’apporte un travail sur la BD, le médium.

(1) collection 10/18
(2) Adolfo Bioy Casares : "L’invention de Morel" 10/18




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