8/10
Après Physiognomy (World Fantasy Award) où Cley s’en allait quêter le voleur d’une pomme rendant immortel, et suite à Memoranda, un second volet dans lequel Cley voyage dans l’esprit du despote de retour à Wenau (décevant) , nous retrouvons notre héros mélancolique et névrosé sur les terres de L’Au-delà. Le récit est double car Ford tout en nous narrant la suite des péripéties de ce Cley surajoute la geste de Misrix parti à la recherche de ce dernier qui est à présent devenu une légende.
L’histoire se dédouble et on a la joie de découvrir les errances de deux personnages entre démoniaque et humanité, Cley entamant une quête proche de celle d’un naturaliste, Misrix en conflit avec sa nature et ses sentiments humains s’improvisant gardien des ruines d’une ville détruite par Cley. On traverse avec Cley des territoires qui auraient pu être ceux du grand Ouest américain, celui d’avant les grandes conquêtes et pétris de légendes. Rien n’est tranché, tout est mélange de couleurs, d’impréssions et de sentiments, et Cley est un autre personnage affrontant un hiver terrible un peu à la façon des personnages de jack London.
Avec Ford le paradis n’est pas pavé que de merveilles et l’enfer pas forcément ce no-man’s-land cher aux définitions traditionnelles. Les jours s’allongent à l’infini, et les saisons sont autant de paysages entre aridité, pastels et emprunts à Cézanne et au Douanier Rousseau. Jérome Bosch est loin. Quand aux démons ailés que Cley massacre allègrement appuyé par Wood son Rintintin de service, ils meurent eux aussi. On frôlait l’odyssée à la Barker (cf Imajicaa) s’il n’y avait eu cet anecdotique qui ramène la narration à une justesse de l’évocation qui donne à l’histoire une patine ancienne et un ton intimiste.
Du Steampunk Kafkaïen du premier volume on passe à un onirisme lovecraftien sans l’indicible requis. Reste une interrogation sur le manichéisme et le sens de la quête de Cley dont Misrix en préambule demande au lecteur lui-même d’évaluer le paradoxe, un paradoxe constitué par les personnages et cette histoire. Comme si le titre du premier volume trouvait dans ce récit son explication et en même temps la relativité de son objet.
Emmanuel Collot
L’Au-delà, Jeffrey Ford, traduit de l’américain par Jacques Guiod, J’ai lu, 254 pages, 5,50 Euros