Élise est devenue, au cours des années, un pilier de l’unité hospitalière en charge des comateux. Elle n’a pas son pareil pour détecter les signes précurseurs d’un possible réveil. Dans les derniers mois, elle a obtenu des résultats spectaculaires.
Elle s’occupe actuellement de Salah Tounsi, une journaliste de quarante-cinq ans. Celle-ci était une battante. Elle a été l’une des dernières occidentales en Afghanistan pendant la chute des talibans. C’est en revenant à Kaboul qu’elle a été prise dans un attentat où elle perd un bras et plonge dans le coma.
Pierre Delcroix a été un chercheur apprécié de l’INRA avant d’être sacrifié aux lois du capitalisme. Depuis, il travaille chez un vieux paysan qui cultive les fleurs. Mais il est revenu au chevet de sa mère devenue infirme.
Stanislas Opalikha était contremaître sur les chantiers. Un accident d’échafaudage a mis fin à ses activités. C’est grâce aux bons soins d’Aline qu’il est revenu à la conscience. Quelque temps plus tard, il se rappelle qu’il était l’Embaumeur, un tueur multirécidiviste qui enfermait ses victimes dans d’étroits cachots pour se repaître de leur agonie.
Les parcours de ces quatre principaux interprètes du drame, vont se frôler, se télescoper.
Élise souffre d’absence de sommeil, comme Pierre, d’ailleurs, depuis qu’il est revenu chez sa mère. Si la première s’en réjouit, car elle peut consacrer plus de temps à ses « endormis », le second s’en désole et prend des accès de fureur.
Mais Élise n’aurait pas dû réveiller Stanislas. Comme elle a l’air d’un ange, elle est toute désignée pour être la nouvelle victime de l’Embaumeur. Mais qui est réellement Élise ? Salah, qu’elle a guidée vers un réveil grâce au lourd médaillon en or qu’elle porte au cou, n’aura de cesse de la chercher. C’est ainsi qu’elle sera amenée à découvrir une étrange crypte où depuis des siècles s’entassent les ossements de ceux qui viennent y mourir.
Jérôme Camut et Nathalie Hug abordent, dans leurs thrillers, des sujets peu courants qui portent tous sur la complexité de la nature humaine, sur la prépondérance de l’esprit sur le corps. Dans leur remarquable trilogie « Les Voies de l’ombre », (Éditions Télémaque et Livre de Poche) une partie de leur intrigue repose sur les techniques d’asservissement, de contrainte psychique par l’avilissement, de transformation d’un être pensant en une machine, en un robot obéissant au doigt et à l’œil.
Pour « Les Éveillés », c’est avec le fonctionnement du cerveau qu’ils structurent leur intrigue en se basant, entre autres, sur des travaux du professeur Jouvet publiés dans « Le sommeil et le rêve ». Ils utilisent ces données scientifiques pour construire des personnages qui souffrent d’insomnie totale, avec les conséquences sur leur perception de la réalité, sur leur comportement. Mais rassurez-vous Jérôme Camut et Nathalie Hug, font œuvre de vulgarisation et font preuve d’une grande pédagogie, mettant le mécanisme du sommeil et les rêves au niveau des non initiés.
Autour de ces personnages singuliers, fruits d’une génétique incontrôlable, ils animent un serial killer de la pire espèce et lancent sur sa trace une galerie d’acteurs secondaires tous plus attachants les uns que les autres.
Les auteurs démontrent une fois encore, leur connaissance peu commune de la nature humaine et du fonctionnement psychique de l’homme.
Jérôme Camut apprécie les polygones symboliques. Après l’heptagone de « Malhorne », c’est le triangle qui triomphe dans ce livre. Il a aussi le goût pour les maximes qui font mouche. Il nous avait touchés, dans le premier tome de « Malhorne » avec le singulier : « Contente-toi de peu et amuse-toi de tout ». Il récidive avec : « Si ta vie n’a pas de sens, fais que ta mort en ait un ».
Ils évoquent mille choses dans leur livre, des grandes légendes de Lorraine à l’histoire de cette province, des énigmes de la génétique à la reprogrammation du cerveau par les songes. Ils portent sur nos comportements un regard amusé, ironique, disséquant nos pratiques, pointant nos contradictions et nos errements. Ils savent dresser des personnages aux profils passionnants, des plus attirants aux plus répugnants. Dans « Les Éveillés », après Élise, c’est la figure de Salah qui émerge, magnifique portait de femme confrontée brutalement au handicap.
Ce roman choc comporte tous les éléments d’un thriller passionnant et ceux d’un conte initiatique entre songe et réalité. Mais quelle réalité ?
« Les Éveillés » est un roman remarquable qui prouve que ces jeunes auteurs, (jeunes dans le sens de l’âge et non dans celui de l’écriture) ont déjà la maturité de vieux conteurs, l’art de l’intrigue de vieux routiers du roman populaire, le souffle et la puissance de grands romanciers du XIXe siècle.
Serge Perraud
Les Éveillés, Jérôme Camut et Nathalie Hug, calmann-lévy, mars 2008, 418 pages, 18,90 €