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Sommaire - Interviews -  Jérôme Camut


"Jérôme Camut" de Par Sandrine Brugot Maillard


Jérôme Camut est un jeune auteur de SF atypique comme on aime en rencontrer. C’est chose faite pour vous, lecteurs de SF Mag, afin de vous faire connaître cet écrivain plein de talent. Né en 1968, il a grandi à Angoulême qu’il a ensuite quitté pour suivre les cours d’une école de réalisation audiovisuelle à Paris. Il est aujourd’hui régisseur pour la télévision, intermittent du spectacle, comme on dit : il travaille sur des tournages, d’émissions ou de fictions (série ou téléfilms).

Son premier roman Le trait d’union des mondes, premier volet d’une trilogie intitulée Malhorne, est parue une première fois en 2002 dans l’éphémère collection « Serpentaire » au Serpent à Plumes. Pour publier le second volet, il a dû se mettre en quête d’un nouvel éditeur. Il a trouvé l’oreille compréhensive et intéressée de Stéphane Marsan chez Bragelonne qui non seulement a accepté de publier les second et troisième épisodes de sa trilogie, mais en plus réédite le premier qui est sorti en février le second est prévu pour cet été). Gageons que ce roman, nominé à Nantes en 2002 pour le Grand prix de l’Imaginaire, va enfin rencontrer son public. Son auteur, espèce d’ours dépassionné, comme il se décrit lui-même, est sorti de sa tanière pour répondre à nos questions... quelle chance !

Depuis quand écrivez-vous ? Avez-vous écrit autre chose que de la SF ?

Difficile de répondre à cette question. J’ai écrit tout petit une fiction, mais je ne peux pas dire pour autant que j’écrive depuis cet âge. Je l’ai fait de loin en loin, à l’instinct, si je peux dire une chose pareille. Peut-être quand j’en avais besoin.

La première fois où je me suis attaqué à un projet d’envergure, j’avais vingt ans. J’ai alors écrit un roman assez autobiographique, une sorte d’épreuve personnelle pour le passage dans le monde adulte. Une sorte de rituel. J’ai posé sur le papier tout ce que j’avais sur le cœur. Ça a donné un manuscrit de deux cents pages qui ne quittera jamais l’ombre et la poussière de mon bureau.

Et puis plus rien jusqu’à Malhorne, que j’ai entamé en décembre 1997. Si, en y repensant, quelques nouvelles que je n’ai jamais essayé de faire publier.

Mon travail m’a aussi amené à écrire. Pour des sociétés de production audiovisuelle, j’ai commis quelques concepts d’émissions, des commentaires de documentaires, des contenus d’émissions, etc. Actuellement, j’écris un scénario de film avec un réalisateur français : travailler une histoire à deux est très enrichissant.

Quelles sont vos influences et vos goûts littéraires actuels ?

Mes goûts sont très éclectiques. Je suis loin de lire essentiellement de la SF. Je dois même avouer que j’ai fini par lire un premier roman de K. Dick en août dernier.
A vrai dire, j’aime ce que je juge bon. Ça veut tout dire et rien en même temps. J’aime une histoire qui m’emporte, me fait rêver ou/et réfléchir. Mais j’aime en même temps qu’une écriture ait une identité, qu’elle ait l’odeur de son auteur. La conjugaison de ces désirs, je ne la trouve pas si souvent. Mais puisqu’il vous faut des noms, je suppose, je vais vous en donner, en vrac, à vous de vous y retrouver : Patrick Suskind (Le parfum), Henri Vincenot (Le pape des escargots, Les étoiles de Compostelle), Stéphane Zweig (Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, Le joueur d’échecs), Albert Cohen (Mangeclous, Solal, Les Valeureux, Belle du seigneur), Marguerite Yourcenar.

En SF et fantastique, je citerais Dan Simmons (Hypérion, L’échiquier du mal), Stephen King, et bien sûr, JRR Tolkien. Petit, j’étais fasciné par L’île du docteur Moreau de Wells. Je connais très mal les actuels auteurs français de SF. Je garde un très bon souvenir de mes lectures de Barjavel, mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un jeune auteur... Mais le plus grand livre de SF reste pour moi la Bible, qui est toujours posée sur mon bureau. C’est à la fois un grand space opéra et le plus grand livre de Fantasy qui soit. En tout cas c’est une inépuisable matière à phantasmes dont le plus beau passage est l’Apocalypse. Vous voyez, je mélange les genres. Je ne saurais pas dire ce que je préfère. Je ne suis spécialisé en rien et je préfère voir le monde ainsi.

Je pense que mon influence principale, c’est mon père, un homme très cultivé et entièrement autodidacte. Quant à mes influences littéraires, il y a tellement de petits bouts des autres dans mon univers personnels que je ne sais plus les voir comme ayant un jour appartenu à quelqu’un d’autre que moi.

D’emblée une trilogie pour un premier roman, c’est audacieux et étonnant, non ?

J’ai entamé Malhorne en faisant un grand plan de l’histoire, du début du tome 1 à la fin du 3, sans savoir qu’il s’agirait d’une trilogie. Je me suis alors lancé dans l’écriture et après 700 pages à l’époque, j’ai voulu m’assurer que cela intéresserait quelqu’un. J’ai alors trouvé une fin possible pour un premier tome et j’ai cherché un éditeur, ce qui a pris un an. Jamais je n’avais imaginé que cette histoire se développerait sur plus de 1500 pages. La fin du tome 3 (pas encore écrit) sera une explication du prologue du premier tome. Le but est de chercher une explication à la question « pourquoi l’homme est-il l’espèce dominante sur Terre ? ».

Je pense en effet que la SF est le seul genre littéraire vraiment novateur dans le domaine des idées. Aujourd’hui, alors que la philosophie a déserté le siècle, l’écrivain de SF peut émettre de nouvelles idées, il peut réfléchir sur l’homme et sur la société. J’aimerais faire du tome 3 de Malhorne une sorte d’utopie de l’humanité : qu’en serait-il du monde si nous n’étions pas là ?

La SF vous attire définitivement alors ?

Non, je viens de terminer un thriller. J’ai aussi une autre histoire en tête, SF celle-là. En un seul volume je pense, mais je n’en suis pas certain. Je n’ai pas envie de me cantonner dans un genre. Mais si je trouve mon public en SF, je continuerai dans cette voie.

Quel effet vous ont fait les (parfois mauvaises) critiques qu’il a reçues ? Vous aident-elles pour la suite de la trilogie ?

Comme vous y allez ! D’abord, il n’y a pas eu tant de critiques que ça, hélas. Je me souviens d’une très mauvaise ou le journaliste parlait d’un tissu d’incohérences très mal écrit. J’ai senti mon sang se retirer de mon visage en lisant ça (sur le Net, un journal virtuel, dont j’ai oublié le titre) et il n’aurait pas fallu que le journaliste se trouve à portée de ma main. Et puis j’ai réfléchi, j’ai mis cet article en relation avec les autres et je me suis dis que le bonhomme devait avoir un passif avec, soit cette histoire, soit moi et je ne me souvenais pas de lui, soit avec la vie en général. Bref, je n’ai pas donné suite. Mais en ce qui concerne les autres articles, ils étaient plutôt sympathiques avec ma prose.

Il y en a un qui m’a fait réfléchir sur mon écriture. Un article paru dans « Valeurs Actuelles » qui qualifiait mon écriture d’un peu sage. Ça a pris quelques semaines pour que je comprenne de quoi la journaliste voulait parler. Et depuis, je me lâche davantage. Je pense qu’en France, on peut tout écrire dans un livre, il n’y a pas d’interdits. Pour Malhorne, j’ai voulu écrire ce qui m’intéressait : ces différents destins. Alors j’ai écrit, beaucoup, certainement trop puisque j’ai dû supprimer deux cents pages au premier tome...

Que pensez-vous du travail des éditeurs français de SF et de Fantasy avec les jeunes écrivains : sont-ils des découvreurs ou des commerçant ?

Il doit y avoir moyen d’être autre chose, non... ? Mon travail avec ma directrice de collection au Serpent à Plumes a été très fructueux : il m’a permis, entre autres, d’affiner mes personnages. Quant à Bragelonne, je pense qu’ils prennent un risque en rééditant un volume déjà paru. Ils se mouillent vraiment pour moi et jusqu’à présent, j’ai eu un très bon contact avec eux.

Dernière salve : où, quand, pourquoi et pour qui écrivez-vous ?

J’écris chez moi, la plupart du temps. Parfois je me déplace, je m’expédie loin de chez moi, dans un territoire neutre où je me retrouve seul et isolé. Mais ça concerne en général un début d’écriture, lorsqu’il faut que je me jette à l’eau, quand je sais en avoir pour des mois et que c’est manifestement un peu inquiétant. Mais le reste du temps, c’est chez moi.

Je m’astreins à un lever vers 6 heures du matin, pour commencer à écrire vers sept heures. J’ai besoin de cette discipline, sinon, je ne pourrais pas faire grand chose. Mon travail me permet d’écrire sur de longues périodes sans m’arrêter. Je le mets à profit intégralement, jusqu’à pratiquement m’écœurer d’écrire. Après quoi j’arrête, pour travailler ou autre chose, jusqu’à ce qu’une nouvelle plage de temps libre se présente. Je ne saurais pas travailler par petits à coups, comme le soir après une journée de travail par exemple.

Quant à savoir pourquoi j’écris, voilà une question sur laquelle je pourrais m’étendre longuement. Voici quelques éléments de réponse, qui ne pourraient qu’être affinés. En écrivant, je crée des univers que je maîtrise parfaitement, sous ses moindres facettes. La seule partie qui m’échappe, c’est ce qu’en pensera et y trouvera le lecteur. Peut-être des choses que je n’ai pas consciemment voulu dire, je suppose que c’est possible. Un jour, je rencontrerai sans doute des gens qui auront envie de me parler de Malhorne par exemple. Je serai alors peut-être surpris par ce qu’ils m’en diront.

Et si j’aime maîtriser ces univers, c’est sans doute par réaction avec la vie réelle, que je trouve assez tumultueuse, et parfois effrayante. Je ne pense pas que ce soit de la psy de supermarché. Ça me semble assez limpide. Et puis écrire un roman du volume de Malhorne, ça demande beaucoup d’heures de travail, beaucoup d’heures où je me retrouve seul face à moi même. Je peux alors incarner mes atermoiements dans mes personnages ou les situations qu’ils vivent. Pour vous donner un exemple, Malhorne n’est pas venu par hasard. J’entretiens un rapport mental quotidien avec la mort et la morbidité. Ça ne fait pas de moi forcément quelqu’un de sinistre. Et au moins ai-je trouvé un exutoire.

Pour qui j’écris : voilà peut-être la question la plus difficile. Je crois que j’écris d’abord pour moi, mais aussi pour être lu, aimé peut-être et reconnu par des gens que j’estime. Tout un programme...




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