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  Sommaire - Films -  G - L -  L’ennemi intime
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"L’ennemi intime " de Florent-Emilio Siri

 

Avec : Benoît Magimel, Albert Dupontel, Aurélien Recoing
Distribué par SND
95 mn
Sortie le 3 Octobre 2007
Note : 9/10

On critique souvent le cinéma américain sur bien des points en oubliant aussi que lorsqu’il s’agit de traiter une page de leur histoire, il arrive un moment où un cinéaste le fait non pas en enjolivant les faits, mais simplement en les retraçant, quelle qu’en soit l’issue. A savoir montrer le pire de chaque individu, d’une institution comme l’armée même si c’est américain. Une fois suffit pour que certains silences soient brisés. Ainsi, lors du Viet-Nâm, Hollywood produisit des films purement à la gloire des USA comme « Les Bérets verts », sinistre pantalonnade initiée par ce cher John Wayne (et je ne déteste pas l’acteur, certains films de sa carrière sont de véritables chefs-d’œuvre, et un particulièrement surprit au vu de ses idées, « La Prisonnière du désert »...). Aujourd’hui, un film irregardable après des œuvres telles que « Voyage au bout de l’enfer » ou « Platoon ». Donc, il est facile de critiquer quand on voit que chez nous, avant de traiter un sujet sensible, on s’y reprend à deux fois. La guerre d’Algérie (et le terme de « guerre » ne fut mentionné par la politique que très, très tardivement...) en fait partie. Certes, le cinéma s’y intéressa de temps en temps mais sans que cela ne dépasse un statut de curiosité pour le grand public. Pas de succès commercial, pas d’œuvre impérissable, bref le sujet qu’on met de côté dans la profession avant de relancer un nouveau projet. Jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce que Benoît Magimel et Florent-Emilio Siri se lancent dans une aventure comme cela arrive de temps en temps dans notre cher cinéma, pour un résultat dépassant d’éventuelles espérances (ben oui, soyons sincères...), balayant beaucoup d’à priori. Car au-delà du sujet, « L’ennemi intime » réussit la gageure d’être aussi et surtout un grand vrai film de cinéma. La preuve flagrante que le sujet et son domaine de traitement ne sont pas incompatibles, que le cinéma peut s’impliquer dans l’histoire en ne trahissant rien, en révélant des secrets, des zones d’ombre, et le tout en restant cinématographique. De ce côté-là, après des réussites telles que « Nid de guêpes » et son incursion américaine avec Bruce Willis, l’excellent « Otage », Florent-Emilio (aux USA, c’est simplement Florent) Siri le démontre de façon remarquable : « L’ennemi intime » est un des meilleurs films de guerre français jamais vus, si ce n’est plus.
Algérie, 1959 : le lieutenant Terrien (Magimel) est un jeune soldat idéaliste qui vient prendre son commandement. Face à lui, le sergent Dougnac (Dupontel), un ancien, qui a vu d’autres conflits, qui ne sait plus en quoi croire, qui perd peu à peu de son identité et de son humanisme. Dans ce conflit presque honteux, les deux hommes vont s’affronter avant de s’épauler, tout en étant perdus mutuellement dans le tumulte d’une guerre qui va leur révéler le pire qui dort en chacun, et qu’avant de sombrer complètement de l’autre côté, il reste un tout petit peu d’espoir qui peut permettre de s’en sortir vivant, physiquement et psychologiquement.
Si « L’ennemi intime » traite de la guerre d’Algérie, c’est aussi et surtout pour démontrer l’horreur plus générale qu’une guerre peut avoir sur quelqu’un. Ce qu’on voit, ce qu’on apprend (même si certains avancent « qu’ils n’ont rien appris de neuf sur cette guerre »...) rappellera d’autres films au sujet proche (« Platoon » surtout) avec la perte de l’idéalisme, de l’innocence, le réveil de la barbarie, des instincts les plus vils de l’être humain. Et si le thème, le sujet est fort, on est très loin d’une réalisation terne, statique, proche du documentaire. Siri n’en oublie pas ce qu’est le cinéma, et il donne au film toutes ses lettres de noblesses dans le genre, un peu à la manière d’un Raoul Walsh de la grande époque qui crédibilisait ses oeuvres par un rappel de ses souvenirs tout en faisant du vrai cinéma. Cela n’a rien de blasphématoire quand l’ensemble est traité avec intelligence et talent. A l’opposé donc d’un « Les oubliées de Juarez » où sur un drame ignoble se passant au Mexique, une réalisation toute pourrie était appliquée avec en bonus, Jennifer Lopez se promenant en réfléchissant sur ce qu’elle découvre avec un soleil couchant derrière elle ! Ici, rien de tel, juste les images qu’il faut pour souligner l’horreur des actes guerriers, la bêtise des individus, la bestialité sadique d’autres, mais traitées de façon non pas documentariste mais bel et bien cinématographique. Pour donner corps à l’histoire, il fallait des acteurs en parfaite osmose avec leur rôle respectif, et si Magimel est excellent, on ne peut qu’être abasourdi par la performance d’Albert Dupontel, creuset de souffrances internes, d’un passé militaire qui au fur et à mesure de ce qu’il traverse, lui redonne l’humanité dont il s’était débarrassé le jour où il est rentré dans l’armée. D’un tel film, véritable claque en pleine tronche, surprenante dans notre pays, mais moins quand on sait qui l’a signé, on en ressort plus que marqué : la preuve que ce vrai film réaliste est bourré de qualités comme on n’en avait pas vues depuis longtemps par chez nous.

Stéphane THIELLEMENT



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