C’est parce qu’il était à Bruxelles pour défendre la filière horticole, que Rudy échappe à la mort dans la catastrophe qui a suivi le sabotage de l’Afsluitdijk par des membres de la Divine légion. Mais ce n’est pas le cas de sa femme et de sa fille.
Laurie, employée épisodique de l’ONG Save OurSelves (SOS), vient de perdre Vincent qui n’a pas survécu à l’usage de sa Mauside, cette nouvelle télédrogue. C’est aussi le cas d’Anthony Fuller, le P.-D.G. du consortium Resourcing, avec Wilbur son fils aîné qui passait sa vie, dans la cave de la villa secondaire de ses parents, à draguer en virtuel. Mais si cela déstabilise la première, cela laisse totalement indifférent le second.
Pendant que le nord de l’Europe est noyé sous des tempêtes continuelles, l’Afrique meurt de sécheresse. Un satellite de Resourcing détecte une énorme réserve phréatique sous un lac desséché du Burkina Faso. Fuller se frotte les mains devant les richesses qu’il va encaisser en irriguant le Kansas. Aussi, quand Yann, un « petit » hacker, rend l’information publique sur le site de SOS, Fuller réagit en revendiquant la propriété, selon les règles commerciales internationales. Mais Fatimata Konaté, la présidente du Burkina, n’entend pas se laisser faire. Yann est le frère de Laurie. Il est le webmestre de SOS, mais disparaît dans la nature laissant l’ONG en situation périlleuse pour diffusion d’information hautement confidentielle. C’est elle qui s’embarquera dans l’aventure, pour aller au nom de SOS, mettre en place une station de forage à la demande de la présidente. Le seul chauffeur qu’elle puisse recruter est Rudy qui, pour sortir du statut de Réco (Réfugié écologique), s’est engagé dans un stage de survie organisé par les Survival Commandos. Mais, il doit les quitter précipitamment et se cacher car, face aux exactions de ses membres, il tue un responsable.
Tous deux vont tenter de rejoindre, depuis Strasbourg, le cœur de l’Afrique dans un camion dont le chargement fera l’objet de convoitises exacerbées...
L’eau est devenue l’Or bleu. Elle va être rapidement un enjeu de combats aussi acharnés qu’ont pu l’être ceux pour le métal étalon au cours des millénaires. Jean-marc Ligny dresse, sur ce constat, une situation sans concession de la Terre en 2030. Partant de faits de sociétés, de constats scientifiques et météorologiques d’aujourd’hui, il propose une projection tout à fait cohérente, plausible ...et parfaitement effrayante ! Il fait montre de beaucoup de clairvoyance dans ses transferts allant, on ne peut que l’espérer, trop loin ! Il prend en compte nombre des éléments qui fondent notre société actuelle, depuis l’isolement, les dérives virtuelles, la montée de la violence et des extrémismes, de l’insécurité, du fossé de plus en plus profond entre pauvreté et richesse et les amplifie. Il donne une vision réaliste de la sécheresse qui tue les populations africaines et des faibles moyens des quelques dirigeants honnêtes pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être.
Il met en place, sur ce décor apocalyptique, une intrigue qui s’articule autour de deux personnages principaux : une jeune femme qui voit s’écrouler peu à peu son univers dans une grande solitude et un homme, dans la quarantaine, qui a perdu tout ce qui structurait sa vie, devenant brutalement un exclu. Autour d’eux, l’auteur anime des acteurs représentatifs de différentes classes sociales, depuis celles qui placent des individus en haut d’une échelle jusqu’aux plus humbles, ceux qui tentent de survivre. S’il montre les énormes difficultés des miséreux, il décrit également la vie des « malheureux » nantis, qui doivent se bourrer de drogues pour être toujours « au top ».
L’intégrisme est très présent sous la forme d’une religion-secte d’extrémistes catholiques américains dont le prosélytisme trouve écho dans toutes les couches de la société.
Jean-Marc Ligny connaît son métier de romancier et sait servir un récit d’aventures, construire des péripéties et maintenir tension et suspense tout au long des sept cent vingt-huit pages. Il offre une histoire passionnante, faisant suivre avec intérêt même les digressions et les phases de temporisation. Mais en ne ressort pas indemne de la lecture de ce livre. Son sujet interpelle et la présentation qu’en fait l’auteur bouscule. Il use, pour décrire des situations désespérantes, d’un vocabulaire riche, d’images recherchées, servis par une qualité d’écriture plus guère mise en œuvre actuellement.
Cependant, l’espoir reste présent dans le tableau apocalyptique qu’il dresse. Un roman qui mérite largement d’être couronné d’un prix prestigieux !
Serge Perraud
AquaTM,, Jean-Marc Ligny, L’Atalante coll. La dentelle du Cygne, octobre 2006, 736 pages, 24 €