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"Le Sommeil de la raison "
Juan Miguel Aguilera

Editeur :
Au Diable Vauvert
 

"Le Sommeil de la raison "
Juan Miguel Aguilera



Juan Miguel Aguilera a été révélé, en France, avec La Folie de Dieu, une fresque sur la capacité humaine à se confronter à d’autres modes de vie ou d’autres civilisations. Depuis, les éditions Au Diable Vauvert ont fait paraître Rilha, un roman dont l’intrigue puise à la même source d’inspiration que le précédent et Mondes et démons, un space opera flamboyant dans lequel l’auteur a étendu la vision terrestre de La Folie de Dieu à l’échelle de l’univers.
Avec Le Sommeil de la raison, Juan Miguel Aguilera revient au début du 16e siècle, à cette période où, incontestablement, il est le plus à l’aise et où son inspiration s’épanouit. En effet, l’auteur donne l’impression d’être chez lui dans une époque dont il connaît bien l’art de vivre, maîtrise les tenants et aboutissants sociaux, politiques, et sait en restituer l’atmosphère.

Dans ce nouveau livre, il met en scène deux personnages principaux : Céleste, (honneur à la dame) une jeune sorcière élevée par Meg d’Albi, et Luis Vives, un philosophe humaniste, ami d’Érasme et de Thomas Moore.
Lors d’une grande cérémonie magique dans la vallée du Tarn, Céleste est visitée par les esprits qui lui délivrent un message abscons, interprété cependant par le Principal. Elle doit aller, dans une ville du Brabant, à la recherche d’un homme nommé Bois.
Luis Vives, réfugié à Louvain, vit misérablement des quelques cours qu’il donne à l’Université et des travaux annexes qu’il exécute de ci, de là. Aussi, quand Érasme veut le recommander pour être, à sa place, le précepteur du neveu du sieur de Chievres, le favori du futur Charles Quint, il voit l’occasion de vivre plus confortablement. Il pourra, ainsi, avancer l’ambitieux traité sur l’âme humaine qu’il est en train de composer. Mais c’est parce qu’il travaille sur ce thème que Chievres veut, avant qu’il ne prenne son poste, l’envoyer en Espagne pour confirmer que doña Jeanne, la mère du roi, est folle de façon naturelle, c’est-à-dire, ...sans le concours de la sorcellerie.
Céleste continue de suivre sa piste et arrive à Hieronymus Bosch. Mais celui-ci est assassiné par les membres d’une secte apocalyptique avant de pouvoir lui révéler ce qu’il dissimule dans ses peintures, le sens caché de certaines compositions et, en fait, lui dévoiler la conspiration venue du fond des âges pour porter, par la magie noire, Charles sur le trône d’Espagne...
Pour poursuivre sa mission, elle doit absolument suivre le roi et embarquer sur la flotte en partance pour l’Espagne. Luis Vives, à son corps et esprit défendant, fait partie du voyage...

Avec Le Sommeil de la raison, au titre fort évocateur, l’auteur confronte deux mondes, deux univers qui semblent antinomiques : celui du matérialisme, du raisonnement et celui plus mouvant de la magie et de la sorcellerie avec leur cortège de pratiques et de croyances. Il construit une histoire où il mêle faits avérés et hypothèses hardies dévoilant les origines de situations qui semblent anormales ou du moins incompréhensibles. Bien sûr, il faut adhérer à certains concepts, accepter certaines idées, pour apprécier l’intérêt et la pertinence d’une telle histoire. Un refus en bloc de tout ce qui n’est pas matérialisme et réalité palpable privera le liseur d’un grand moment de lecture. Et puis, quelle est la réalité et où se situe la vérité ? On accepte aujourd’hui des faits qui, il y a quelques siècles, relevaient sans aucun doute de la sorcellerie la plus dure et vous envoyaient directement au bûcher.

Aguilera entraîne dans sa fiction, en les intégrant naturellement au récit, nombre de personnages qui ont laissé leur nom dans l’histoire qu’on nous relate, que ce soit Luis Vives, un magnifique antihéros, Hieronymus Bosch, le futur Charles Quint, Copernic et un jeune spadassin très attiré par le beau sexe : Ignace de Loyola.
La confrontation entre magie et raison est l’occasion de superbes pages, dont l’intérêt est encore renforcé lorsqu’il intègre tout ce qui touche à la religion et à la foi. Il se permet des comparatifs et des associations qui peuvent paraître surprenantes mais qui sont fort pertinentes. Ainsi, pourquoi croire en un Dieu invisible et ne pas souscrire à l’idée d’un autre monde spirituel, d’un monde parallèle, également invisible, qu’il nomme Annwn ?

L’auteur constitue une remarquable galerie de personnages, depuis un inquisiteur « athée », le roi Charles soumis à la magie noire, les membres de la cour, les sorciers et leurs représentants. Il compose ainsi un kaléidoscope de caractères dont il révèle toute la triste humanité. Son personnage le plus noble reste, sans conteste, Céleste.
Les lecteurs fidèles de l’auteur retrouveront dans Le Sommeil de la raison des péripéties qui rappellent singulièrement celles de ses deux autres romans historiques. Il serait dommage qu’Aguilera se laisse aller à appliquer une recette et en décliner toutes les variantes. De plus, certaines tournures de phrases, certains vocables employés surprennent, n’étant guère à leur place dans le contexte. Mais là, il faut plutôt incriminer le traducteur.

Cependant, ces remarques n’enlèvent rien à la qualité d’un roman qui est étonnant, passionnant, érudit.

Serge Perraud

Le Sommeil de la raison, Juan Miguel Aguilera, Au Diable Vauvert, octobre 2006, 532 pages, 24 €

Vous pouvez lire une autre chronique sur ce livre, celle d’Alain Pelosato, dans le sfmag N° 50 en vente en kiosque du 16 décembre 2006 au 16 février 2007, puis après cette date, disponible en PDF dans la rubrique "livres gratuits" de ce site.
L’avis d’Alain Pelosato est à l’opposé de celui de Serge Perraud.





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