8/10
La grande armée démoniaque rassemblée par Râvana a été défaite, et les mortels sont saufs. Râma en ressort grand vainqueur et prend pour épouse la belle Sitâ, héritière de Mithila. Mais la paix et l’harmonie restent provisoires en ces temps anciens, et le démon aura tôt fait de faire rentrer dans les palais royaux une espionne dont le destin est de préparer les desseins de son très estimé maître.
Forte de ses manipulations, la redoutable espionne parviendra à semer la zizanie entre le père et son fils Râma, qu’il déshéritera et condamnera à l’exil en un lieu périlleux, une jungle remplie de dangers. Celui-ci s’en ira alors, accompagné par son frère et Sitâ. C’est dans cette forêt où il pensera vivre quatorze ans de réclusion qu’il sera confronté à ses plus mortels ennemis, les hordes démoniaques de l’armée de Râyâna. C’est une aide impromptue qui leur apportera une issue à une mort certaine...
Etonnant comme on a fait si peu d’écho à cette petite perle de la fantasy. Reprenant tous les archétypes développés par les textes de l’Inde ancienne (Baghavad-gita, etc..), l’auteur parvient à une fusion réussie pour donner naissance à une fantasy hindouiste des plus abouties. Bien loin des pâles bandes que la fantasy à la Tolkien déverse à profusion dans les bacs, ces aventures de haute volée, n’hésitant pas à cultiver la terreur et le sanguinaire chez des personnages mortels et immortels tous plus vivant les uns que les autres, nous propulsent dans un absolu du temps qui n’est pas sans rappeler Howard ou Moorcock.
En effet, en évitant tout référentiel facile (Tolkien), Ashok Banker invente un genre à lui seul, que les auteurs de jadis avaient jusqu’ici mis à distance, par racisme patenté ou méconnaissance des mécanismes complexes de l’épopée fantastique hindouiste, et que les modernes devraient plus arpenter à présent.
L’injustice est réparée, avec la plume autant experte que sensible, voire sensuelle, d’un auteur n’hésitant pas à décrire ses dieux et démons en ayant pris soin de leur ôter leur aura immatérielle afin d’en faire contempler les putréfactions, engeances terribles (certaines scènes évoquent incroyablement la fantasy sombre du "Imajicaa" de Barker) et beautés sexuelles. La fin reste cependant un peu abrupte, mais elle ouvre à de futures péripéties sur lesquelles les plus difficiles se jetteront avec empressement. Nous sommes certains que la prochaine trilogie portera dans ses stances autant de monstres, démons et merveilles que cette première mouture séduisante en diable...
Un monument de la Fantasy, injustement ignoré à sa sortie, et que les lecteurs devraient se mettre à lire, histoire de se sentir un peu... cosmopolites...
Emmanuel Collot
Les Démons de Citrakûta, Livre troisième du Ramâyâna, Ashok Banker, traduit de l’anglais par Michelle Charrier, Couverture par Elodie Saracco, 536 pages, Le Pré Aux Clercs-Fantasy, 21 €.