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Sommaire - Interviews -  Maxime Chattam


"Maxime Chattam" de Par Michael Espinosa


Après avoir refermé In Tenebris, on respire un bon coup et on se demande vraiment quel être fou dingue a pu engendrer un tel livre. Un croquemitaine ? Un golem ? Maxime Chattam n’est rien de tout cela. Souriant, coiffé comme un hérisson, ne buvant que du Coca et de l’eau, ce nouvel auteur français est un charmeur à la réflexion intelligente et objective sur sa propre écriture. L’étoffe d’une grande pointure du roman de genre qui écrit pour son plaisir et celui de ses lecteurs. Avec talent...

Qui est donc Maxime Chattam ?

MAXIME CHATTAM : Je suis né il y a 27 ans dans le Val d’Oise, en région parisienne. J’ai grandi dans la bibliothèque de ma mère depuis tout petit et pourtant mon goût pour la lecture n’est apparu qu’à mes 13 ans. J’ai débuté avec d’un côté Le Seigneur des Anneaux et de l’autre les livres de la collection Gore du Fleuve Noir. J’adorais me faire peur avec les descriptions immondes. Rien d’étonnant à ce qu’aujourd’hui j’écrive des histoires assez trash. J’ai découvert Mark Twain bien après, ainsi que les auteurs plus classiques. Côté études, je n’étais pas un très bon élève. Il a fallu qu’en seconde je rencontre une prof’ de français tyrannique qui m’a poussé à bosser. J’ai laborieusement décroché un bac L. Et c’est à partir de là que j’ai vraiment écrit.

Tes débuts.

En visionnant Stand By Me de Rob Cohen, tiré de la nouvelle Le Corps de Stephen King, j’ai eu un vrai flash. A la même époque passait Les Goonies. Je me suis dit que c’était ça que je voulais vivre : avoir une bande de copains et vivre des aventures palpitantes. Vers 13 ans j’ai sillonné les carrières près de chez moi, de nuit, la lampe de poche à la main, les égouts, les catacombes interdites à Paris à la recherche de ce frisson. Mais il ne se passait jamais rien (rires). Au même moment, la lecture a pris de l’importance dans ma vie. Et tout ce que je prenais dans les livres, j’ai voulu le donner à mon tour, en créant des histoires extraordinaires. J’ai piqué la vieille machine à écrire de ma mère, une feuille, et de mes deux doigts j’ai réécrit Stand By Me à ma façon, en me projetant dans la peau du héros, en y injectant mes potes et j’ai pondu mon premier texte de 4, 5 pages. J’ai continué à écrire des histoires en m’inspirant au début de scénarii de films qui m’avaient plu. Puis j’ai beaucoup écrit en cours. J’ai des liasses de feuilles de cours entrecoupées de nouvelles et de début de romans. J’écrivais énormément mais sans avoir en tête l’idée d’être édité. En fait, j’ai fait de la comédie pour vivre enfin physiquement les aventures dont je rêvais. J’ai suivi le cours Simon et je révisais mon Bac dans les loges du Palais des Glaces où j’étais figurant pour un spectacle de Robert Hossein. C’est là que j’ai rencontré Pierre Hatet, un comédien qui fait beaucoup de doublage. La voix du Doc de Retour vers le Futur, c’est lui ! Il a lu certains de mes textes et m’a poussé à écrire une pièce de théâtre. Je survivais entre la fac, les cours de théâtre et l’écriture. J’ai dû choisir : j’ai laissé tomber la comédie, trouvant que le milieu du cinéma n’était pas fait pour moi. J’ai aussi laissé tomber la fac. J’avais un peu d’argent de côté alors durant neuf mois je n’ai fait qu’écrire, essentiellement Le Cinquième Règne. Mais il fallait manger, alors j’ai enchaîné les petits boulots pendant des années : vendeurs, veilleur de nuit... en continuant à écrire lors de mon temps libre. C’est là que m’est venue l’idée de confronter un tueur très imprégné de l’occulte à un policier lui très ancré dans les sciences exactes, le profiling. Je voulais aussi retrouver une atmosphère à la Stephen King, Dan Simmons, voire Lovecraft. J’ai suivi un certificat de spécialisation en criminologie durant un an, j’ai rencontré des professionnels, j’ai lu un tas de documents. C’est aussi à ce moment que je suis rentré au rayon Policier d’un grand libraire. Durant deux ans et demi, j’ai bossé et j’ai écrit L’Âme du Mal la nuit. Je l’ai posé chez les plus gros éditeurs de Thriller comme Albin Michel. Mais le hasard m’a permis de rencontrer Michel Lafon qui était plutôt orienté thriller américain et surtout pas français. On a beaucoup parlé, il a lu mon manuscrit un week end et, à priori ça lui a plu puisqu’il m’a appelé le mardi soir à 22 heures alors que j’effectuais les énièmes modifications au manuscrit. J’ai signé quelques temps après un contrat en or qui me permet aujourd’hui de ne faire qu’écrire. Mon rythme est d’un roman par an. Chaque mois de mars vous pourrez lire un Maxime Chattam. D’autres éditeurs m’ont contacté mais je suis très bien chez Lafon.

Tu écris des thrillers et pourtant on y trouve toujours une part de fantastique.

Quand j’écris un livre je veux d’abord me faire plaisir. Mais je sais que je dois rester très carré. Je fais un plan très détaillé, que je ne respecte heureusement pas toujours pour me laisser des libertés. Mais je reste dans les balises établies. Si jamais je me laisse entraîné dans le fantastique pur, je pars dans des délires qui ne donnent pas forcément de bonnes choses. J’aime le fantastique qui rôde à la lisière entre rêve et réalité. Le Cinquième Règneest un roman fantastique et pourtant je propose des explications réalistes à certains phénomènes étranges. En revanche, dans L’Âme du Mal tous les aspects fantastiques qui parcourent le livre trouvent une justification rationnelle à la fin. Excepté l’épilogue où je n’ai pas pu m’empêcher de me faire plaisir avec ce gardien qui voit des yeux rouges surréalistes et qui se persuade d’avoir halluciné. Mais où est la vérité ? Pour In Tenebris, j’ai opté pour une atmosphère pesante lorgnant vers le gothique moderne. Le livre sur lequel je travaille en ce moment se rapproche de L’Âme du Mal avec des événements très fantastiques qui vont trouver leurs explications logiques au fur et à mesure des pages. J’écris des thrillers, alors je dois retomber sur des bases rationnelles. Ce qui ne m’empêche pas de faire des clins d’œil à des œuvres fantastiques comme à celle de Lovecraft dans L’Âme du Mal, ou alors à Twin Peaks dans In Tenebris avec le mystérieux Bob qui est une allusion directe au Bob de Twin Peaks. J’ai même un personnage qui s’appelle Lynch ! Ce qui compte c’est que le lecteur aime le livre. Qu’il oscille entre réalisme et fantastique importe peu.

Avec le titre de ton premier roman L’Âme du Mal, on ne peut se tromper sur ton domaine obsessionnel : décrire et expliquer le mal.

Mes deux premiers livres appartiennent à une trilogie où je voulais exposer trois facettes différentes du Mal. L’aspect religieux m’inspire peu car il a été usé jusqu’à la corde. Ce qui m’intéresse plus c’est le Mal comme entité globale, comme ombre régnant sur notre monde. Pour moi, les tueurs en série en sont le miroir. On explique leur geste en se plongeant dans leurs traumatismes infantiles, la maltraitance en tête. Mais, heureusement pour nous, tous les enfants maltraités ne deviennent pas des tueurs en série. Alors qu’est-ce qui explique ce passage à l’acte, cette genèse du mal ? Les sciences du comportement peinent depuis trente ans sur ce problème, laissant des blancs dans leur tentative de définition du Mal. J‘ai tenter de remplir ces blancs à l’aide de la fiction. De plus, n’étant pas croyant, je ne peux me contenter de justifications utilisant l’intervention de forces supérieures. C’est peut-être fou, mais je suis réellement à la recherche d’une explication concrète de ce Mal absolu. Mais je ne me cantonnerai pas dans ce créneau. Pour mon thriller devant paraître en mars 2005, je quitterai mes personnages et m’intéresserai aux manipulations de grande envergure, entre autres avec l’intervention de sociétés secrètes.

Comment vis-tu l’écriture de livres aussi sombres ?

Ca n’a rien de facile car il y a un phénomène de mise en abîme permanent. Je travaille beaucoup sur les aspects psychologiques de mes personnages et je dois me plonger en chacun d’entre eux. Exemple avec le personnage de Brolin : c’est un flic qui se met à la place de la victime pour savoir ce qu’elle a pu ressentir, mais aussi à la place du tueur pour déterminer son mode opératoire et le coincer à un moment ou à un autre. Moi, en coulisses, je dois me glisser dans la peau du flic, de la victime, du tueur et respecter leurs schémas psychologiques respectifs pour que leurs actes soient en accord avec ces schémas. De plus je dois traiter les autres personnages. Autant dire que je tourne schizophrène (rires) ! Je prépare mes livres énormément en amont. Mais cela reste une souffrance à écrire. Surtout pour Claire, ma compagne, qui doit me supporter dans les différentes phases. Le pire étant lorsque j’atteins le milieu du livre. Dès lors je ne vis plus que pour lui. Je ne dors plus, j’y pense sans cesse jusqu’au dernier mot. Elle a vraiment du courage ! A côté de ça, le processus de création est si jouissif. Je gère les imperfections sans cesse. Parfois je suis plongé dans le personnage, et parfois j’écris trop et je sors de la phase psychologique, je n’habite pas assez mon personnage. C’est un long processus, parfois agaçant. Exemple avec la scène dans InTenebris où l’adolescente rentre chez elle alors que le tueur y est encore. Je dois réussir à rendre la scène crédible, en y incluant une bonne dose d’angoisse. Il faut qu’en quelques paragraphes je rende attachante cette adolescente. Les scènes qui suivent sont alors encore plus violentes. C’est très dur à écrire. Là les champs lexicaux ne correspondent pas à ce que l’on voulait, ici le rythme est cassé par une action où la sensation de douleur ne passe pas bien. C’est lourd, mais quand on se relit et que le mécanisme fonctionne, c’est un plaisir. En plus j’adore mes personnages. J’ai travaillé sur Brolin pour qu’il soit très humain, à la limite du fantôme tel que je le conçois dans notre société, il a une part d’ombre, il est attachant, enfin je l’espère, et il est transformé par tout ce qui lui arrive. Normalement, sur les trois livres, on s’apercevait que les tueurs en série appartenaient à une sorte de communauté qui s’entraidait. Seulement, dès que l’un des leurs était en passe d’être attrapé, on le trouvait refroidi. Mes héros devaient se dire qu’il s’agissait de la communauté qui se protégeait. En fait il s’agissait de Brolin qui intervenait comme le bras vengeur. Il passait ainsi du côté des tueurs, du côté obscur. Finalement je n’ai pas retenu cette idée. C’était un constat d’échec énorme pour la société.

D’ailleurs à propos de société, tu t’y attaques franchement dans InTenebris ?

C’est vrai. Brolin tient un discours rude sur la société de consommation, sur ses excès. Aujourd’hui, la société exploite ses propres excès. Je me dis que si j’ai une gamine et que je la vois sortir en minijupe transparente en me disant que je suis un “ has been ” parce que tout le monde s’habille comme ça, et que lorsque j’ouvre ma porte je tombe sur des photos géantes de femmes dans des positions suggestives, à la limite de la pornographie, je me sentirai plutôt mal. Et cet excès existe dans tous les domaines. Ce que je veux mettre en exergue, c’est la responsabilité de la société dans la criminalité. Mon méchant, Caliban, devient en partie ce qu’il est parce qu’il assiste à la mort d’un motard devant lui et que le soir on lui fait manger du rôti saignant à table. Le FBI ne retient que cette explication pour condamner ses crimes. Pourtant, il tient à Annabel, mon héroïne, le discours sur la société de consommation qui transforme tout le monde en possesseur virtuel et surtout en cupide latent. Lui a décidé de régner sur la race dominante : l’humain. Il est très conscient de ce qu’il fait et son but est clair. Mais il remet en cause tout le système d’aujourd’hui. Et ça, la société ne peut l’accepter. On préfère rester sur des explications sordides et facilement compréhensibles, et condamnables. Brolin l’a très bien compris car il est lui-même borderline. Je fais d’ailleurs un clin d’œil à un film qui a dénoncé cette société de consommation à outrance, c’est Zombie de Romero. Un chef d’œuvre ! Mais attention, je n’écris pas de livres militants. Je suis avant tout un conteur. Attention aussi au fait que je ne pense pas forcément comme tous mes personnages. Ils ont leurs propres vies, leurs propres choix.

T’es-tu posé la question de la responsabilité que tu pouvais avoir auprès des lecteurs en écrivant des choses aussi horribles ?

J’ose espérer que je ne serai jamais confronté à un fait divers dans lequel mon livre serait impliqué. Après, ce côté sombre que j’exploite m’habite réellement. Je préfère exprimer tout ce que peuvent ressentir mes personnages, avec le côté horrible parfois, plutôt que de me limiter à “ Le flic se pressa de vomir tout ce qu"il avait mangé le matin car le corps était complètement décomposé. ” Je vais plutôt décortiquer son ressenti, travailler sur les cinq sens. Le lecteur doit ressentir les mêmes choses que mes personnages. Je ne veux pas faire de l’illusion. La réalité est cruelle et je la montre à mes lecteurs. Peut-être qu’un gars déjanté exploitera mes dires pour alimenter ses propres fantasmes. De là à dire que je suis responsable... Je crois que c’est une facilité pour la société de rejeter la faute sur des artistes comme des groupes musicaux tels AC-DC ou Black Sabbath que l’on taxait de satanisme et de manipulation de la jeunesse. Je crois que le fond du problème est autre part. Tout ça permet d’éviter d’envisager les vrais problèmes en face.

Tu disais être de la génération Tolkien. Pourquoi ne pas avoir abordé la fantasy ?

J’ai écrit des nouvelles de fantasy très tôt. J’ai toujours en projet une énorme saga de fantasy avec création d’un monde, de races diverses, avec des explications scientifiques très réalistes. Ne lisant pas tout ce qui sort en fantasy aujourd’hui, je n’inventerai peut-être rien. Mais ça me paraît cohérent et intéressant. Quand ? C’est la question.

Tu écris des livres assez longs (500 pages en moyenne). Est-ce le seul format qui te convienne ?

Ecrire une nouvelle ou un roman ne relève pas du même type d’écriture. J’ai déjà beaucoup de nouvelles écrites. L’écriture doit être synthétique, sur une idée frappante. J’adore les nouvelles de Lovecraft, de Masterton ou encore de Buzzati. Malheureusement, en France ça ne fonctionne pas beaucoup. En revanche, j’en mettrai sur mon site internet (www.maximechattam.com). Elles appartiennent d’ailleurs plus aux genres fantastique et fantasy que thriller. J’écris des pavés parce que je suis assez descriptif et je veux avoir la place d’exposer mon histoire, ses tenants et ses aboutissants. Et pour tout mettre, je n’arrive pas à faire plus court. Pour Le Cinquième Règne, j’ai coupé près de 150 pages parce que l’éditeur pensait que ce serait mieux pour le lecteur. Moi, ce qui m’intéresse c’est de tenir le lecteur en haleine, qu’il y ait 300 ou 500 pages.

Es-tu un fonctionnaire de l’écriture ?

Ma compagne me lève à 7h30 et je commence à bosser vers 8h30. Je relis ce que j’ai fait la veille et je travaille jusqu’à avoir trop faim, vers 13/14h. Ensuite je me garde du temps pour me promener, visionner des DVDs, j’en suis mordu, et je retourne au travail en fin d’après midi. Il faut une certaine discipline pour ne pas tomber dans la facilité d’en faire le moins possible. Mais dès que je suis face au clavier, les idées fusent et je suis reparti. C’est un vrai plaisir.

Comment construis-tu ton livre ?

Tout part d’une envie de raconter une histoire. Des scènes importantes se dessinent. Des sujets que j’aimerais évoquer apparaissent. Je noircis des pages de cahier. De là sort un sujet qui m’attire plus, un sujet souvent à la limite du réel et du fantastique et que je ne connais pas toujours bien. Alors je me documente en livres mais aussi en rencontrant des spécialistes. Ce qui alimente le puits à idées. J’ai un tas d’infos qui noircissent mon tableau, un grand tableau sur lequel je mets des notes que je relie entre elles, que je change, que j’arrache et que je modifie encore jusqu’à obtenir une structure qui me paraisse pertinente. Ca peut durer deux ou trois mois. Lorsque j’obtiens un squelette qui me semble bon, je me jette dans l’écriture. Les plus dures sont les cinquante premières pages, après ça roule. Mais je modifie toujours en route car des choses ne collent pas. Parfois j’ajoute des personnages, comme Bob dans In Tenebris qui m’a fait retravailler mes deux cents premières pages. Parfois j’ai même la fin déjà en tête. Il existe un chapitre que j’ai écrit il y a quelques temps, que je trouve être le meilleur chapitre que j’ai dû écrire, et que je n’ai pu mettre nulle part. Il se trouvera sûrement sur mon site Internet, une sorte de Bonus comme dans les DVDs (rires). En fait, au deux tiers du livre je ne modifie plus grand chose. Mais le livre reste un magma évolutif permanent. Je le fais lire par ma compagne toutes les cinquante pages environ. Elle est très tranchante et calme mes délires, heureusement pour le lecteur. Elle m’aide aussi à ajouter du réalisme aux scènes bancales. C’est un soutien précieux.

Tes projets ?

Un troisième livre titré pour l’instant Maléfices avec Brolin et Annabel, une nouvelle plongée dans l’âme du mal. Ensuite un thriller axé sur les manipulations qui se déroulera en Europe, titré pour l’instant Conspirations.

Et après ?

Peut-être un roman d’amour (rires).

Voir la critique du livre de Maxime Chattam "Le 5e règne" :
Le 5e règne




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