8/10
Euctémon est devenu le médecin personnel d’Alexandre le Grand après l’avoir sauvé d’un empoisonnement à Babylone, cinq ans auparavant. Depuis, celui-ci s’est lancé dans la conquête des royaumes de l’Ouest et, après avoir écrasé Rome, rêve d’une expédition vers le Nord. Il veut qu’Euctémon en fasse partie. Ce dernier sort d’un séjour dans l’Oracle des Morts quelque peu déconfit. L’âme de son père lui a révélé : “ Tu deviendras un homme et ton seigneur un dieu.” S’il est évident que la seconde partie de l’Oracle concerne Alexandre, il ne saisit pas comment la première s’applique à lui. Mais ses interrogations sont de courte durée, il se trouve entraîné pour conquérir les régions hyperboréennes.
Certes, dès le départ, le propos se trouve décalé, car même avec de maigres connaissances en histoire ancienne, chacun se souvient que Rome n’a jamais été conquise par Alexandre. Ce premier déphasage accepté, l’auteur nous propulse dans la vie quotidienne d’un corps d’armée en expédition à cette époque. Il dresse avant le départ quelques bases philosophiques utiles pour comprendre la suite, et nous entraîne tambour battant dans une folle conquête. Il est vrai que Negrete n’a que 180 pages pour faire tenir toute son intrigue, nous faire vivre des batailles comme si on y était, une histoire d’amour adultérine, la différence des écoles de Socrate et Platon... Il faut saluer la performance, à une époque où seuls les cycles de “ pavés ” semblent de mise.
S’appuyant judicieusement sur la conclusion de La République de Platon, sur le mythe de ces régions au delà du Borée, sur la quête du Temple du Destin, sur les visions mystiques du philosophe relatives à l’immortalité de l’âme, au temps cyclique, à l’axe de rotation du cosmos passant par le grand Nord, l’auteur propose un livre où se mêlent roman historique, d’aventures, de SF, conte philosophique, uchronie, Fantasy et réussit l’amalgame pour un résultat peu commun.
Javier Negrete qui maîtrise parfaitement la culture hellénique utilise celle-ci comme un ingrédient supplémentaire pour construire une intrigue remarquable.
La publication de ce roman confirme tout l’intérêt de cette SF ibérique que l’on commence à découvrir, Elle est attrayante et change de ce qu’on nous présente habituellement. Un satisfecit pour l’éditeur qui, faisant son métier, prend des risques en cherchant, pour notre plus grand plaisir, de nouveaux courants, des approches différentes de la SF.
Serge Perraud
Le Mythe d’Er ou le dernier voyage d’Alexandre le Grand, (El Mito de Er) traduit de l’Espagnol par Christophe Josse, L’Atalante, La dentelle du Cygne, juin 2003, 188 pages.