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Sommaire - Interviews -  Kim Chapiron, scénariste & réalisateur et Vincent Cassel, acteur-producteur (Sheitan)


"Kim Chapiron, scénariste & réalisateur et Vincent Cassel, acteur-producteur (Sheitan)" de Stéphane Thiellement


SHEITAN
Interview de Kim Chapiron, scénariste & réalisateur
Et Vincent Cassel, acteur-producteur

Même si le Fantastique « made in France » connait peu de réussites de haut niveau (à part « Haute tension »), on ne peut que saluer et encourager les diverses tentatives surgissant de temps en temps. Découvert à Gerardmer 2006, « Sheitan » est le premier film de purs fans du genre, qui ont mis toutes leurs tripes pour concrétiser ce projet fou, auquel a cru l’acteur Vincent Cassel, dans un rôle qu’on n’oubliera pas de sitôt. A l’occasion de la sortie du DVD le 11 Septembre, une rencontre avec deux des « créateurs » de ce film fou qu’est « Sheitan » pour un entretien tout aussi délirant parfois.
Dernière minute : Vincent Cassel fera trois séances de dédicace ce jour-là au Virgin Montmartre, Barbes & Champs Elysées.

Dans le making-of de « Sheitan », on découvre très bien la gestation du projet. Mais avant ça, comment est née la passion pour le cinéma, pour en arriver à monter un tel projet, pas simple dans notre paysage cinématographique...

Kim Chapiron : D’abord, est-ce que tu as déjà vu un making-of aussi bien fait, hein ? Enfin, je veux dire aussi intime quoi ! C’est mon pote d’enfance qui l’a tourné : 430 heures de rush, il était avec nous 24heures sur 24 ; et je suis super fier de ce making-of promo.

Pas de problème, il est très bien. Je le trouve sympathique, il restitue bien l’ambiance du tournage, et du coup, il donne envie de voir ou revoir le film. Et alors, c’est le rêve devenu réalité, depuis tout petit, faire du cinéma, un vrai film ?

Kim Chapiron : Non, à la base, je suis dessinateur. Je voulais faire comme mon papa, qui est dessinateur. Et puis, via les évolutions techniques... En fait, j’ai commencé en tant qu’illustrateur, je me suis payé mon premier MacIntosh et je suis passé à Photoshop, puis à Première, puis à After Effect, et je suis devenu monteur truquiste. J’ai une vraie formation de technicien à la base. En fait, ce que je faisais, je travaillais le jour et la nuit, je faisais mes petits films à moi.

Et avec « Sheitan », tu souhaitais faire un film qui te permette de rester dans un domaine plus technique car ça regorge quand même d’effets spéciaux, d’idées visuelles délirantes. Ou est-ce que tu désirais seulement un film avec une part de ce que tu connaissais bien d’avant ?

Kim Chapiron : Pas du tout. Moi, ce que j’aime, c’est comprendre comment atteindre mes envies, je ne fantasme pas sur un genre précis, sur des F/X, etc...Parce que, avant d’être réalisateur, je suis un mec du public, et je sais que les gens n’en n’ont rien à foutre de tout ça. Tous mes pites qui ont bossé sur « Sheitan » s’en foutent du milieu du cinéma. A la base, ils ont des jobs complètement différents, et ils sont à deux cent années lumière de tout ça... Certains ont gardé ces mêmes jobs, d’autres ont flashé et se sont découverts des vocations artistiques qui j’espère vont aboutir comme Ladj Li, le black...

Celui qui ressemble à Wesley Snipes ?

Kim Chapiron : Ouais. Ben, il réalise un document sur les émeutes de Montfermeil, vu qu’il habite là-bas. Il a des choses à dire, comme tout le monde, mais on n’a pas spécialement l’occasion ou le courage... Hé bien, je pense que « Sheitan » lui a donné ce qu’il lui fallait pour passer derrière la caméra. Et tout ça pour dire quoi déjà, je ne sais plus... Ah oui, moi, la technique, ce que j’aime, c’est comment exprimer des idées visuelles, des délires. J’ai envie d’une scène d’accouchement horrible, OK, je sais comment la faire au niveau des effets spéciaux, j’ai plus de facilités à traduire ce que je veux faire. Et le but de tout ça, c’est d’avoir des réactions. Moi, je ne veux pas avoir celle que je trouve la plus détestable de toutes qui est l’indifférence, et « Sheitan », normalement, si tout va bien, ne laisse pas les gens indifférents. Et concernant les bonus, ça m’a fait plaisir que tu me dises ça, parce que mon but était de faire ressentir l’aspect festif et jouissif qu’on a eu entre nous, tout le temps, parce que la création se fait dans la jouissance tu vois. Tu as pu t’en rendre compte, Kourtrajme, ma boite, c’est une bande de rigoleurs déjà au travers des courts...

Que j’ai découvert là, dans les bonus, et d’ailleurs, ce qui est bien, ce sont ces moments de « vie dans les coulisses » qui... (Arrivée de Vincent Cassel). On parlait de l’aspect festif du film, comment il s’est monté...

Vincent Cassel : L’aspect festif du film... Moi, je me souviens de ce que Kim me disait vachement en amont, à savoir qu’il voulait faire un making-of où, à la fin, on ait envie de prendre une caméra pour faire un film. Bon, maintenant, je voudrais remettre les choses à l’heure, et c’est un beau message, et c’est une énergie très positive, je pense que c’est une démarche mais la vérité, c’est pas comme ça que ça se passe. Bon, c’est important que le côté facile passe en avant parce qu’on n’a pas envie de voir des gens besogneux, où on se fait chier, le complexe judéo-chrétien où il faut souffrir absolument, ça va. En plus, c’est souvent en se détendant qu’on y arrive le mieux. Mais la vérité, c’est que c’est surtout beaucoup de boulot. Parce que lui, là, il avait la pelade, il perdait ses cheveux, du poids, sa nana n’arrêtait pas de lui dire qu’il avait une sale tête, style sortie d’un camp de concentration, quoi ! C’est vrai que c’est bien de colporter cette image positive et de dire aux gens de faire du cinéma mais faut pas oublier que c’est pas si facile que ça non plus !

C’est vrai que ce qui ressort en premier du making-of, c’est que cela avait l’air sympa. Parce que pour d’autres, quand on devine l’ambiance, on se dit qu’ils sont restés deux mois à faire ça, ils ont du en baver ! On sait qu’un tel projet ne se fait pas dans la facilité, décider des gens à allonger du fric pour son projet, les pressions, etc... nous, ce qu’on en voit, c’est assez cool, ça restitue bien l’ambiance de la préparation des acteurs au tournage en lui-même.

Vincent Cassel : C’est vachement bien monté surtout. Il a été fait par un mec qui a du talent aussi, et ça, c’est un avantage. C’est vrai qu’il y a plein de making-of super chiants, hyper promotionnels, tout le monde s’auto-congratule, « It was a such great experience... », ça n’a aucun intérêt.

Kim Chapiron : En plus, moi les interviews, ça me fait chier.je n’en ai pas mis dans ce DVD parce que les gens qui sont interviewés... Moi, je trouve que je deviens de moins en moins chiant parce que je commence à avoir l’habitude. Et c’est pour cela que je voulais qu’il n’y ait que Vincent parce que donner une interview, c’est de la prestation d’acteur, tu vois ce que je veux dire ? Et moi, le chef op’ qui parle de ses lumières, c’est super intéressant mais...
Vincent Cassel : ... Mais cinématographiquement parlant, même si c’est super intéressant, hein, ben c’est super chiant pour le simple péquin venu !

On voit aussi comment vous avez commencé avec Kim : un simple court-métrage devenu trois courts-métrages...

Vincent Cassel : Voilà, en fait, ce qui se passe, c’est que Kim maintenant s’exprime et communique avec les gens. Mais il y avait un moment où ça allait trop vite. Il avait tellement l’habitude de faire tout tout seul qu’il n’arrivait pas à expliquer aux gens avec qui il travaillait... Bon, par exemple, moi je suis arrivé avec un peu d’expérience style : « Bon alors, qu’est-ce qu’on fait comme plan ? », et le mec me faisait : « Ouais, là, à droite mais devant, comme ça, là, etc... ». Je ne comprenais pas ce qu’il disait, ce qu’il voulait tourner. Alors il se retournait, et moi je pensais qu’il filmait d’autres mecs mais il me filmait. J’étais parti sur le principe que je ne savais pas ce qu’il voulait faire. Mais comme je lui faisais confiance quand même, et que je faisais un truc qui lui plaisait, je me prêtais au jeu sans comprendre. Et quand plus tard, il m’a dit : « Ouais, reviens, il y a un truc que je veux revoir ! », et que, par exemple, je ne portais plus de moustache, je ne comprenais toujours pas comment il voyait les choses. Et d’ailleurs, j’avais raison de ne pas comprendre puisque ces trois courts-métrages étaient en fait trois parties d’un même film devenu trois courts-métrages. C’était une sorte d’amoncellement de situations qui ont abouti à ça. C’est pas qu’il a essayé de m’arnaquer, c’est que lui-même ne le savait pas !

Et comment Vincent Cassel, qui a quand même quelques films derrière lui, en arrive à accorder sa confiance à un jeune avec un sujet aussi peu conventionnel ?

Vincent Cassel : Déjà, lui, ça fait dix ans qu’il est dans le métier.

Oui, mais ce que je veux dire, c’est qu’on a d’un côté le grand acteur qui veut aider le novice parce que ça fait bien, ou le grand acteur qui fait ça par passion et réelle envie de donner un coup de pouce. Comment s’est passé votre rencontre ?

Kim Chapiron : Au tout début, c’est qu’entre deux pubs, je faisais mes courts et qu’un jour, j’ai envoyé un CD Rom à Vincent parce que c’est toujours flatteur de montrer son travail à des gens connus...

Vincent Cassel : Tu oublies mon passage...

Kim Chapiron : Ah oui, c’est vrai...

Vincent Cassel : Non, la vérité, c’est qu’un jour, il y a un petit jeune qui, lors de ne je ne sais plus quelle avant-première, m’a pointé une mini caméra sous le nez et m’a dit : « Ouais, vas-y, quelques mots pour Kourtrajmé ! », et j’ai commencé à délirer. Ensuite, il m’a fait parvenir un DVD avec plein de morceaux de hip-hop sans histoire, et dedans, il y avait ce qu’on avait fait ensemble. Voilà comment tout a commencé. Mais ça, c’était il y a dix ans, et il avait quatorze ans ! et que pour être totalement honnête, je voudrais rétablir ce que vous venez de dire sur les acteurs qui veulent aider les petits jeunes : c’est pas vrai. En fait, ça s’appelle assurer son avenir : moi, je me dis que ce petit mec là, je vais être gentil avec lui maintenant, comme ça après, un jour, il me sera toujours redevable ! (Rires de Kim Shapiro). Comme ça, je peux l’exploiter comme un boat-people, il dira de moi qu’il a fait le film pour pratiquement rien, qu’il m’a eu quasiment gratis ! C’est un échange de bons procédés. Et lui ne attendant, il m’utilise, m’expose pour la sortie du DVD et tout ça... En fait, on est un peu comme les poissons-pilotes, les pique-bœufs, des animaux qui se nourrissent l’un de l’autre.

Et pour quelqu’un comme vous, avec une carrière qui devient assez conséquente, ça fait quoi de faire un film comme « Sheitan » ?

Vincent Cassel : Ca fait du bien. La vérité, c’est que c’est vachement rafraichissant de travailler avec des gens qui font tout de manière incertaine. Plus on a de l’expérience, plus on a des points de référence, et plus on est obligé de s’y référer justement, et par la force des choses, ça pousse à la réflexion. Il y a un moment quand on n’a pas totalement assimilé cette réflexion, il y a un moment un peu bâtard, je crois. Et là, comme c’est instinctif, pour moi, ça fait un bien fou. D’ailleurs, c’est quasiment le seul truc que j’ai tourné cette année-là.

On sent lors de vos propos dans le making-of que ça vous tenait vraiment à cœur.

Vincent Cassel : Tout à fait. Mais moi, je commence toujours par dire non. Ensuite, il n’y a que les trucs auxquels je ne peux pas dire non que je finis par faire.

C’est arrivé, non, de faire des choix, parce que vous ne pouviez pas faire autrement ?

Vincent Cassel : Mais quand je dis pas le choix, c’est que je ne peux pas le faire mais il faut que je le fasse, c’est trop important. Je parle pas pour une question de fric. Là, je ne pouvais pas refuser, j’étais coincé dès le début. Non, mais j’étais trop content de le faire, et pas du tout pour simplement aider les petits jeunes comme on disait tout à l’heure. C’était simplement le projet le plus dangereux que j’avais trouvé à faire.

Quand on voit dans le making-of les scnes coupées, on se dit que vous tourniez « comme ça », jusqu’à la prise ou tout correspondait mais on sent pas de contraintes.

Kim Chapiron : Tout à fait. Chaque réalisateur a sa manière de travailler et moi, je sais que je laisse beaucoup de place à l’improvisation parce que c’est là que se trouve la scène qu’on veut.

Vincent Cassel : Ouais, enfin moi au début, je sentais que tout le monde me regardait en disant : « Mais qu’est-ce qu’il fait ? ». C’est vrai, j’étais mauvais, et personne n’osait me le dire. Tout le monde en parlait à Kim (Rires). Et j’ai trouvé mes repères en deux choses : les fausses dents qui cassait un peu mon look, et ensuite le repas, où on bouffait de vrais trucs, à boire du vin, et là, j’ai commencé à me lâcher, et là, c’est passé.

Tu dis à un moment donné que tu voulais avec « Sheitan » faire un film drôle, sexy et qui fasse peur. Pour les deux premiers, OK, mais pour faire peur au ciné en France, ça effraie justement. Et à part « Haute tension », les réussites sont très rares. Ce n’est pas trop dur à concrétiser ?

Vincent Cassel : Pour moi, « l’ultimate » film d’horreur, c’est « Irréversible ». C’est le film où on ne laisse plus sa femme partir toute seule.

Justement, sachant cette difficulté, comment au travers de la promo assez importante, on arrive à faire venir le public à un film censé réunir ces trois thèmes, en étant aussi réceptif à le voir que vous à le faire ?

(Silence)

La question est compliquée ?

Vincent Cassel : C’est compliqué en effet. Le film a fait trois cent cinquante mille entrées, ce n’est pas le succès du siècle mais on rentre dans nos frais, et par contre, il s’est très, très bien vendu à l’étranger, donc tout va bien. Personnellement, je pense que « Sheitan » va s’incruster tout doucement dans l’inconscient collectif. Je pense que petit à petit, les gens vont plus en parler via sa sortie en DVD, comme une sorte d’objet super particulier.

En plus, le DVD est soigné.

Kim Chapiron : Oui, le packaging est superbe déjà, et techniquement, on a fait le maximum. Tout ça, c’est du à la passion pour ce projet, avec que des proches qui ont bossé dessus. Donc, c’est communicatif.

Les premiers films sont souvent faits avec les tripes, celles de la passion justement. Le second, parfois, c’est trop confortable, et on retrouve pas la créativité du prédécesseur. Bon, ce n’est pas une règle générale, mais ça arrive...

Kim Chapiron : J’espère que ce ne sera pas mon cas (Rires)

Tu as déjà un autre projet ?

Kim Chapiron : Oui, un remake, celui d’un film britannique des années 70, « Scum ».

D’Alan Clarke ? C’est marrant, j’étais à Londres il y a quelques jours, et j’ai vu qu’Ils ont d’ailleurs réédité en Collector ses films importants comme « Scum », « made in britain », « The firm ». C’est super violent (note : « Scum » se passe dans une école de redressement, « The firm » avec Gary Oldman concerne les hooligans, et « Made in britain » les jeunes néo-nazis campé ici par un Tim Roth tout jeune mais déjà impressionnant !). Pourquoi ce choix ?

Kim Chapiron : Le remake sera encore plus violent. Ce n’est pas un choix, c’est un film de commande, Universal me l’a proposé, j’ai accepté. Une chance à saisir. Je pars visiter le mois prochain des prisons américaines pour mon casting. Un nouveau stress quoi !

Propos recueillis par St. THIELLEMENT.
(Remerciements au Public Système, Vincent Cassel & Kim Chapiron, et « good luck » pour la carrière DVD de « Sheitan » !)




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