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LA LUMIÈRE DES AU-DELÀ (LE CYCLE DES TÉNÈBRES, Vol. 2) par Daph Nobody

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Ouvrage paru aux éditions de La Société des Ecrivains, Paris, mai 2006, 378 pp.

Il y a deux ans paraissait le premier volume du Cycle des Ténèbres, intitulé Les Ténèbres Nues, et dont le style très diversifié lui avait valu des comparaisons tout aussi diverses : il fut question de H. P. Lovecraft, F. Kafka, S. King, E. Poe, et rien d’étonnant à cela puisque nous baignons pleinement dans le monde de l’étrange et de l’horreur. Cependant, certains rapprochements à des auteurs n’oeuvrant pas dans les domaines précités (tels que W. Shakespeare, H. Pinter, A. Ferrara, B-M Koltès... pour n’en citer que quelques-uns) ancrent ces récits dans une terre bien plus vaste que celle du fantastique pur. A tout instant nous sommes à un poil du réalisme, et l’impossible, finalement, ne s’y impose que par petites touches homéopathiques. Ce n’est pas un hasard si ces références sont issues aussi bien de la littérature que de la dramaturgie ou du cinéma, car Daph Nobody avoue s’être abreuvé de toutes ces disciplines des années durant, s’intéressant à tous les genres, tous les styles, toutes les époques, toutes les cultures, dans un éclectisme vorace. Notons au passage que Les Ténèbres Nues doit être le premier ouvrage fantastique à citer Gainsbourg, Démocrite ou encore Blaise Cendrars.

La Lumière des Au-Delà, respectivement le deuxième volume du Cycle des Ténèbres dont sept volumes sont annoncés d’ici 2010, va plus loin dans cette tendance pluraliste, puisque ses textes accusent non seulement des références tout aussi multiples, mais également des styles différents, passant tantôt d’un langage plus brut à un langage plus stylisé, tantôt d’une structure décomposée à un récit des plus classiques. Daph Nobody affirme être un auteur classique dans l’élaboration de ses récits, même si parfois il expérimente certaines brisures qui y apparaissent alors comme des éclairs déchirant un ciel bleu. A ce titre, sans doute Trois lettres à David Lynch fait-il l’effet d’un OVNI au sein de cet ouvrage où les récits sont sensiblement moins fantaisistes dans la forme que dans le fond ; mais ce clin d’œil à ce cinéaste dont Nobody s’avère un fan inconditionnel s’inscrit parfaitement dans l’exploitation de ces mondes parallèles qui relèvent de la schizophrénie que Lynch tout autant que Nobody aiment traiter. Il convient aussi de signaler que, davantage encore que pour le premier volume, les textes rassemblés ici datent d’époques très différentes de sa vie (pas moins de dix ans séparent les parties les plus anciennes des passages les plus récents). L’auteur raconte avoir attendu quelques années avant de présenter ces recueils à un éditeur, de façon à emmagasiner suffisamment de textes pour pouvoir très justement jouir de choix de combinaisons qui, à son sens, font que chacun de ces recueils est méticuleusement étudié au niveau des liens entre les différents textes, ce qui est assez unique dans l’histoire des recueils de nouvelles. On notera d’ailleurs au passage des trouvailles techniques assez intéressantes, dont les dernières phrases de L’homme qui m’apprit à ronger mes ongles et de Trois Lettres à David Lynch, qui semblent se répondre entre elles. Par ces détails, Nobody tisse une sorte de toile d’araignée dans laquelle se retrouvent empêtrés autant de personnages que le recueil compte de récits.

Tant de choses ont été écrites au cours des cinquante dernières années dans le domaine du fantastique qu’il devient difficile d’innover dans le genre, et pourtant les textes ici présents ne manquent pas d’originalité, de par leurs idées, leur ton, leurs personnages, leurs atmosphères très élaborées ; formé à la cinématographie, l’auteur dit façonner une histoire en travaillant sur le décor, les sons, les éclairages, exactement comme s’il s’agissait du tournage d’un film. Nobody ne cache pas son apparentement à la tradition fantastique anglo-saxonne, et pourtant on trouve dans ce recueil bien des teintes issues d’autres littératures et traditions plus familières de nos cultures francophones. « C’est l’avantage d’être né en Belgique, explique l’auteur : être belge c’est être finalement ce que l’on veut être, un combiné de cultures qui donne parfois plus de richesse qu’une œuvre liée à 300% à une tradition monolithique et trop imposante pour ne pas être tyrannique. Etre issu d’un pays dont l’Histoire culturelle est gigantesque peut constituer, à certains égards, un fardeau à trimballer à travers les siècles, et une entrave à la liberté de renouveau. » Lui-même s’octroie la liberté d’aller chercher à l’autre bout de la planète ce dont il a besoin pour peindre l’ambiance de ses histoires. Et ce cocktail de genres, de styles, de références, n’en est que plus audacieux et plus inédit. Partant très souvent de détails hyper-réalistes de notre quotidien, très vite ces récits nous plongent dans un univers dont la folie a pris les commandes, où la violence semble génétique et où les morts ne sont jamais vraiment morts.

« Même si j’écris pour fuir la réalité, nous raconte encore l’auteur, les gens qui me connaissent intimement peuvent décrypter les fibres de vécu dont je me sers très indirectement dans mes histoires. J’essaye autant que possible de ne pas y intégrer d’éléments autobiographiques, mais ceux-ci s’intègrent d’eux-mêmes, par conséquent il faut laisser ce processus suivre son cours, car il entre finalement dans une certaine logique des choses qui empêche un texte d’être impersonnel et froid. Mais jamais je n’écrirai de textes plus biographiques et compromettants que ceux-ci. J’apprécie beaucoup Marguerite Duras et Christine Angot, mais nous ne faisons visiblement pas partie du même monde pour ce qui est de l’approche du « concept de fiction ». Ma propre vie m’importe peu, seule m’importe celle de mes personnages, et je vis davantage à travers eux que dans ma propre existence physique. Je trouve les mondes parallèles bien plus fascinants que notre monde réel. Et puis, pour reprendre ma phrase préférée : en enfer on ne s’ennuie jamais ! »

Ainsi, l’attrait de ces mondes parallèles nous entraîne ici dans sept nouveaux récits très différents les uns des autres et mettant en scène des personnages qui ont tout de la victime et du bourreau, selon que brille la lune ou le soleil. Un groupe de rock en quête de succès dans les années soixante-dix, et dont le chanteur-leader disparaît pour ressurgir mystérieusement des années plus tard tandis qu’il est en proie à une métamorphose ; deux camionneurs traversant la nuit afin d’effectuer une livraison des plus banales, et confrontés à d’étranges phénomènes électro-acoustiques ; une petite ville d’apparence ordinaire et insignifiante mais dont les murs cachent bien des secrets sanglants ; une société futuriste reposant sur le commerce du sang ; un garçon souffrant de troubles mnémoniques qui l’amènent à se réveiller perpétuellement dans des situations sans issue ; un enfant sombrant dans le ravage exponentiel de l’onychophagie... Voilà en quelques mots ce que nous propose ce deuxième volume du Cycle des Ténèbres. Avec cette écriture rapide et accaparante qui le caractérise, Nobody manipule nos angoisses et nos fantasmes les plus intimes jusqu’à nous faire admettre que l’espace d’une nuit nous avons aimé jouer avec le feu et goûter au sang.

C’est sans prétention que Daph Nobody nous convie à une virée dans ces mondes parallèles peuplés de démons humains, de brouillards transitoires et d’objets pensants. « L’art doit rester modeste. Après tout, nous, auteurs, n’avons rien du génie : nous n’expliquons ni ne modifions en aucun point l’univers. Nous ne sommes que des conteurs d’histoires, ce qui signifie que nous sommes finalement très terre-à-terre, et à ce titre ma seule ambition est de distraire mes lecteurs. D’ailleurs, il serait difficile pour un auteur de textes fantastiques de se prendre totalement au sérieux. Je ne suis qu’un enfant devenu conteur d’histoires pour rester enfant à travers la perversion et la dégradation de l’âge. Je crèverai enfant, et c’est là un cadeau que je me fais très égoïstement... »

Le troisième volume est d’ores et déjà en phase d’achèvement, portant le titre de Sourires de Sang (Le Cycle des Ténèbres, Vol. 3), et s’annonce comme le plus violent et le plus ironique des trois.