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Sommaire - Interviews -  Stéphane Barry


"Stéphane Barry" de Par Gilles Francescano


Stéphane Barry ne nous invite au voyage que dans un seul but : nous retenir face à ses originaux, grâce à des liens à peine plus fins que ceux qui creusent les chairs qu’il met en scène. Illustrateur trop rare, il met son art au service du texte d’autrui, tout en restant à l’écoute du dialogue intérieur qui l’agite. Ses voix intérieures, Stéphane Barry les exprime à grands coups de métaux rouillés et de chairs pas si fraîches...


Débuts ?



Ma principale occupation pendant l’enfance était, comme beaucoup, d’imaginer et de formaliser des univers de jeu qui répondaient sur l’instant aux besoins qui m’animaient, au lieu d’avoir recours à une trame préétablie. Il me semblait plus satisfaisant de forger moi-même le creuset susceptible de cadrer le plus justement avec mes attentes. Le dessin à été un moyen, dans un souci de vraisemblance, de matérialiser la part fantasmée afin de donner corps à ces cosmogonies cathartiques, et à les crédibiliser. Un outil plus qu’une finalité, qui me permettait d’entrevoir la réalité sous un biais plus ludique et de la nantir, à peu de frais, des décors, accessoires et acteurs souhaités par la production. Le choix du médium graphique a été déterminé chez moi par une prédominance du visuel dans l’éventail des sens, quelques exemples familiaux de carrière dans le domaine plastique et une réelle nécessité de retranscrire pour appréhender.


École ?


L’entrée à l’école EMILE KOHL (BD illustration) en 1986 a été la possibilité de canaliser tous ces éléments, de constater qu’on pouvait se définir socialement à travers une pratique pas uniquement fondée sur la contrainte et le labeur mais aussi sur la satisfaction d’une prédisposition et du plaisir résultant de l’effort. S’apercevoir que nos préoccupations sont partagées par d’autres m’a aidé à ne plus considérer le dessin comme une lubie personnelle, et à envisager de pouvoir en vivre. Apprendre à observer selon un mode plus singulier à travers un apprentissage des plus académiques (nu, dessin d’objets, modelage...) enseigné par des professionnels tels que Nicolet, Claverie, Gasquet, ou Lax. L’école nous proposait un partenariat avec des contacts extérieurs afin de nous roder aux travaux de commandes. La firme Walt DISNEY passait tous les ans faire son recrutement parmi ceux dont les ongles et les cheveux ne dépassaient pas une certaine mesure. Luc BESSON a embauché certains d’entre nous pour le story-board et l’esthétique du Cinquième Élément. Mais aussi quelques parrainages prestigieux lors de la remise des diplômes annuels avec P. DRUILLET, Régis LOISEL etc. Tout pour faire de nous des professionnels de l’illustration.


SF ?


J’ai renoué avec la SF que j’avais laissée de côté depuis l’adolescence, via des rencontres providentielles, avec André-François RUAUD lors d’un de mes vernissages, et plus tard avec Gilles DUMAY (PDF Denoël). La SF est un des seuls secteurs illustratifs qui préserve actuellement aux auteurs une bonne part de liberté d’interprétation. De plus, le genre permet de communiquer au plus grand nombre des thèmes autrement difficiles à aborder comme la mythologie, la philosophie, les religions et la psychologie. De plus, la SF reste un domaine où l’on peut vivre de la commande sans trop transiger avec son propre univers.


Je trouve une source d’inspiration chez les maîtres anciens, sans pour autant déprécier les contemporains, pour leur amour du savoir-faire technique qui est, il me semble, une part importante de l’acte créatif. Quand on n’est pas présent pour défendre ses idées, seule la précision du témoignage formel permet à nos pairs de nous définir.


Techniques ?


Pour réaliser une image, tous les moyens techniques sont valables selon les goûts du moment et l’effet escompté. Étant donné l’évolution des modes de reproduction, pratiquement tout est permis : de l’acrylique au goudron, de la pièce de récupération au stylo-bille. Le changement de médium est un des moyens de renouveler les propositions, de traduire la même chose mais avec d’autres mots. L’acrylique reste malgré tout l’outil efficace et rapide pour les boulots de commande. Je suis pour ma part plus enclin à utiliser des techniques aqueuses que je trouve plus souples et moins définitives que le graphisme dont l’affirmation du trait n’offre que trop peu de repentance. Je suis adepte d’un travail qui se découvre progressivement et qui puisse muter à volonté. Dans ce sens, je me reconnais plus dans la démarche d’un peintre que dans celle d’un graphiste.


J’ai aussi une sainte horreur du support blanc, que je neutralise donc avec une couleur sombre à la manière des anciens maîtres. Partir de l’obscurité pour amener la lumière.


Le procédé que j’emploie pour débuter une image est assez chaotique. Très peu de croquis, voire pas du tout, pour conserver la vigueur du premier jet. Puis démarrer sur un déséquilibre, une tache, un repentir afin d’éviter l’ornière des tics graphiques et insinuer un enjeu et une lutte. Parvenir en dernier lieu à ce que chaque détail procède à l’équilibre précaire de l’image. Je tente sans cesse de récupérer la composition plutôt que de laisser la recette devenir une fin en soi.


Pour appréhender un manuscrit, je me mets dans la peau du lecteur pour rester ouvert à toute sensation, oublier ma fonction d’illustrateur. Lire entièrement le bouquin en notant les passages qui déclenchent une mise en image. Ce sont souvent des points de détail métaphoriques qui résument plus l’ambiance que la narration. J’essaie d’éviter les redondances trop convenues, et d’opter pour des passages qui comportent une once de subjectivité ou un second plan symbolique. Au moment de l’illustrer, je branche la radio sur les stations à débats plutôt que d’écouter de la musique qui a tendance pour moi à renforcer le côté autistique de la pratique.


J’aimerais beaucoup illustrer les auteurs-phares de mon enfance : K. DICK, HERBERT, SPINRAD, DISCH... dont la vision de la SF est plus une interprétation proche de notre réalité qu’une tentative de s’en éloigner par le phantasme ou l’irréel. J’ai choisi l’illustration SF parce que le travail reste sporadique et me laisse le temps pour la création personnelle qui a toujours été une priorité pour moi. La contrainte de la commande est motrice, voire salvatrice, mais elle prend forme souvent dans l’urgence avec une bonne part de censure indispensable à l’accès au grand public. Un système sans respiration ni nourriture externe peut vite virer au fonctionnariat et le plaisir originel du faire peut devenir très rapidement un calvaire. Ma production personnelle est composée essentiellement de peintures figuratives théâtrales, orientées sur le corps humain, inspirées de maîtres tels Velasquez, Bacon, Witkin ou Lynch... Cette pratique m’aide à conserver le goût de l’expérience, affiner et singulariser mon point de vue pour en faire profiter les différents domaines d’application.


Art & Fact ?


La démarche associative, à travers ART & FACT notamment, est un point des plus positifs de nos jours où la concurrence a tendance à isoler et à désemparer beaucoup d’illustrateurs. La force de groupe, le nombre, sont devenus presque indispensables pour se faire entendre. Regrouper les savoir-faire individuels, multiplier les événements, alléger la quantité du travail d’organisation sur chaque projet. Partager le vécu de ses membres, somme toute assez varié, autour d’une passion commune. Éviter de tomber dans les ornières professionnelles que d’autres ont pu connaître, mais aussi ramifier les contacts de façon exponentielle.


Projets ?


Dans l’avenir, j’aimerais parvenir à créer un lien entre les diverses voies empruntées au cours des dernières années. Peut-être revenir à la narration par le livre, en contournant la structure bédéistique trop rigide à mon goût, dans un récit mélangeant la peinture, le graphisme, la photo et le texte. Effectuer la synthèse et poser une conclusion aux thèmes abordés sur ces dix ans passés. Bien sûr continuer d’autre part les expositions picturales et les agrémenter d’installations qui serviraient à inviter l’observateur à s’immerger plus aisément dans l’image fixe, à partir de sa propre dimension.




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