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Sommaire - Interviews -  Jack Tyler.


"Jack Tyler." de Guillaume Arzenton


Après « Propriété Privée », sorti l’année dernière et édité chez Colmax, Jack Tyler revient avec un projet ambitieux, produit par V. Communications, « Eloge de la chair ». Rencontre avec un réalisateur venu donner un coup de sang neuf dans l’industrie du porno.

Ton pseudo est une référence directe à « Fight club », et à la dimension schizophrénique du personnage principal. En quoi cela te représente-t-il exactement ?

C’est lié à beaucoup de choses. D’abord au sens strict à mes goûts littéraires - j’adore ce bouquin, le film aussi d’ailleurs, et je vénère Palahniuk. Ensuite du fait que je continue à avoir des activités annexes hors porno, avec des projets dans le cinéma traditionnel - projets au point mort cela dit -, dans la littérature puisque j’écris des romans, et aussi dans l’enseignement puisque j’interviens en tant que scénariste et réalisateur dans les collèges et les lycées. En même temps il y a dans mon rapport au porno un paradoxe criant, qui est que j’occupe une place qui n’aurait jamais du m’être destiné. A priori le porno se fiche des gens comme moi. Mais il se trouve que je suis en train de faire mon trou (sic) sans pour autant renier mes principes. Je revendique un porno respectueux des femmes - ce qu’en général il n’est pas vu qu’il s’adresse à un public masculin avant tout - ; je revendique un porno qui soit une forme d’expression artistique au sens propre - ce qu’on ne lui reconnaît pas. Par ailleurs, je mène une vie tout à fait normale, je suis heureux, marié, j’ai des enfants ; il y a donc forcément quelque chose de schizophrénique dans tout ça.

Récemment, lors du reportage du magazine Hot vidéo, tu n’as pas souhaité apparaître et répondre à leurs questions, même à visage couvert. Au-delà d’une question d’anonymat, estimes-tu inutile d’avoir à défendre ton film, ou est-ce que cela participe d’une autre volonté ?

D’abord c’est vrai que je ne ressens pas la nécessité de défendre « Eloge de la chair », que je considère comme un film extrêmement réussi. J’en suis moi même étonné, et il n’y a aucune prétention il me semble à reconnaître les qualités de son travail. Par ailleurs, je sais fort bien que c’est de la confiture aux cochons : le public lambda du porno en a rien à foutre des efforts ou de l’ambition artistique que je mets dans un film, donc il se fichera pas mal des propos intello que je débiterais dans une interview, tout ce qu’il veut c’est avoir de la bonne meuf pour se branler. Ce genre de public-là ne m’intéresse pas. Je n’ai rien à lui dire. En revanche, que des gens qui ne s’intéressent pas au porno, voire même que cela dégoûte, tombent sur mon film et l’apprécient, ça ça me toucherait beaucoup. Je vise à sortir le porno de son ghetto - mais y a du boulot, pour la simple et bonne raison que le porno rend porno : c’est un monde en vase clos qui fournit des programmes pour ses initiés, une immense secte de frustrés répandus de par le monde. Mais c’est aussi le seul domaine d’activités où j’ai ressenti une telle liberté. Et la liberté, ça n’a pas de prix. Pour en revenir à cette histoire d’anonymat, Hot Vidéo tirant à je ne sais pas combien d’exemplaires, je ne vais pas me livrer en pâture comme ça, je pense surtout à mes enfants, à les protéger.

Tu as touché à plusieurs styles avant de faire du porno, court et long-métrages classiques, téléfilms érotiques, même de la littérature sous un pseudonyme (REC, aux éditions Inverse, sous le pseudonyme Adam Nash). Dans cette lignée, le cinéma X est-il l’ultime évolution de ta carrière, ou comptes-tu passer à autre chose ensuite ?

A terme je compte revenir au cinéma traditionnel. Mais l’idéal serait d’alterner les projets, passer du X au normal ; je ne vois pas le problème. J’aimerais même faire un film avec deux versions, c’est un truc qui me tient à cœur : une version normale qui irait au festival de Cannes, et une version X qu’on sortirait en DVD. Mais là, politiquement ce serait inacceptable pour l’establishment. Ils n’aiment pas les passerelles. Quant à la littérature, je ne m’arrêterai pas de sitôt, j’écris depuis toujours et avec de plus en plus de facilité. Il se trouve qu’à un moment donné j’ai compris que pour écrire il fallait vivre des choses. Alors je vis des choses.

Y a-t-il un autre genre de film que tu aimerais réaliser sinon ?

En tout cas pas le genre de grosses merdes qu’on produit en France de nos jours, toutes ces comédies foireuses avec des acteurs surpayés qui se servent la soupe et des vannes de cour de récré, ou ces films d’auteurs à trois balles qui ressemblent à du bête téléfilm.

En quoi le cinéma X répond à tes attentes, et qu’est-ce qui t’as poussé à en faire ?

Très prosaïquement, je fais du film porno parce qu’on ne me laissait pas faire les films que je voulais faire dans le cinéma normal. Mais mon envie date d’il y a un moment, alors je ne peux pas dire que je fasse du X par défaut, ce serait malhonnête. A l’origine, il y avait quelque chose de transgressif là-dedans qui m’excitait. Pas seulement politiquement, je veux dire que je me suis senti en marge depuis toujours, alors finalement pour un mec comme moi qui trouve le système à vomir, le porno était une destination idéale, un havre. En deuxième lieu, pour un artiste, le porno offre la possibilité de toucher à l’interdit, au corps, au sexe, au plaisir pour le plaisir, sans tabou ni morale. En même temps, c’était très mal vu, réprouvé par la morale bourgeoise, donc dangereux socialement. Alors ça allait forcément me plaire ! Et puis faire du porno, pour un cinéaste, c’était se confronter à un réel défi, j’en avais l’intuition. On touchait là à des problèmes fondamentaux. A l’éthique - et sans éthique, il n’y a pas de point de vue, pas de mise en scène, c’est la mort du cinéma, ce qui est déjà le cas dans la production actuelle qui enchaîne nazerie sur nazerie, et que les gens se précipitent pour aller voir. L’autre raison, et la plus importante, c’est le cœur. C’est le fait bien sûr que j’aime les femmes, je veux dire j’adore les belles filles, la beauté féminine me met en transe, filmer une femme en train de se livrer à un acte sexuel, ça a pour moi l’effet d’une drogue dure, c’est un truc génial, parce que j’ai un rapport de fascination à la féminité. Je veux dire que le fond de ma recherche, c’est la sexualité féminine, c’est l’orgasme comme un graal - quelque chose que je risque de ne jamais atteindre, et bien tant pis, on dit que c’est le parcours qui compte, pas le résultat. Mais je dois y parvenir à travers la mise en scène, parce que c’est là qu’est ma place. C’est à dire que les gens qui baisent doivent interpréter des personnages, être mis en scène, raconter une histoire, parce que je suis avant tout cinéaste, pas pornographe.

Comment placer ton film dans le paysage X actuel ? Que penses-tu d’ailleurs des productions pornos aujourd’hui ?

Je ne connais rien à la production X actuelle. Je ne regarde jamais de films porno. J’essaye pourtant, mais ça me dégoûte rapidement. A part quelques films américains de temps en temps, édités par Colmax, parce que les nanas sont vraiment canon.

« Eloge de la chair », considéré d’ores et déjà comme une réussite par la presse spécialisée, est ton premier film X à gros budget. Ce fonctionnement, nouveau pour toi, est-il celui que tu préfères, ou comptes-tu retourner à des réalisations plus intimistes ?

Aucune différence. Je n’ai pas changé d’un iota ma méthode de travail. J’étais juste soulagé du fait que j’avais un producteur. Et maintenant ce qui se passe c’est que je vais partir faire du gonzo, c’est à dire du film sans scénario, que des scènes de sexe qui s’enchaînent. J’ai besoin d’un nouveau défi à chaque fois. Je veux prouver que même dans le pur porno de base, le gonzo, on peut apporter de la magie. C’est ce que t’as dans le crâne qui donne sa forme à ce que tu tournes. Il ne faut pas se leurrer. Le porno est une forme d’expression artistique. Le problème c’est que personne ne le voit comme ça - à part moi.

Précédemment, lors de tes tournages, tu as tenu à chaque fois une sorte de journal intime quotidien, paru sur le site de Technikart (1). Qu’en est-il pour ce tournage-ci ?

J’ai écrit « le journal de la chair », oui, qui devrait sortir sur le site de Technikart d’ici à quelques semaines. Je vais continuer cet exercice, c’est très utile pour savoir où t’en es quand tout se barre en couilles.

Dans ces textes, tu as mené une réflexion approfondie sur la représentation de la sexualité. Ne penses-tu pas que tous les genres que l’on qualifie de « bis » relèvent de ce même questionnement, qu’il s’agisse d’une réflexion sur la mort à travers le film de zombie, ou sur l’horreur à travers le film gore, par exemple ?

Pas tout à fait, parce que dans le X les gens baisent pour de vrai. On ne tue pas dans le film d’horreur, on ne tranche pas des têtes ! La seule chose qui n’est pas vraie, donc pas contenue dans le genre, c’est l’orgasme : les filles simulent - pas les mecs, bien sûr. Le plaisir féminin, plus complexe que celui des hommes, est souvent triché - la femme est objectisée. Donc c’est faux quand même. Pour résumé, le porno est là pour donner l’illusion du plaisir par la représentation la plus crue de l’acte sexuel. Mais ça reste de la représentation, ce n’est pas la réalité, même si par exemple le gonzo essaye de gommer toute mise en scène, de faire croire que c’est pour de vrai, de manière à produire chez le spectateur une excitation maximale. Alors le but ultime est sans doute que la fille jouisse vraiment, qu’il y ait réellement du plaisir. Mais ce n’est pas toujours le cas, loin de là.

Quelles sont tes influences artistiques majeures ? Ont-elles un impact direct sur tes réalisations ?

Je me détache aujourd’hui de plus en plus des influences que j’ai pu avoir. Des films continuent à me passionner - « 21 grammes » par exemple -, mais je ne suis plus sous influence. Mais je peux quand même citer mes cinéastes préférés, qui sont depuis longtemps Kubrick, Cronenberg, Arturo Ripstein et Dario Argento. J’ajouterais Melville, Bunuel, Peckinpah, Pialat, Cassavettes. En littérature Palahniuk, Nick Tosches, Ellroy, Harrison, Lehane, Douglas Coupland.

Enfin, quels sont les films classiques qui t’ont le plus marqué ? Et les films bis ?

Deux films ont décidé de ma vocation, je les ai vus quand j’avais douze ans : « 2001 l’odyssée de l’espace » et « la nuit du chasseur ». Après il y en eut beaucoup d’autres. Quant au cinéma bis, j’en ai vu peu. Mario Bava bien sûr, quelques films aussi de ce type, un Espagnol je crois, qui tournait sous différents pseudonymes, je ne me souviens plus de son nom (Jess Franco. AP). Il avait comme acteur fétiche cet Allemand qui joue dans « le silence de la mer ».

Quels sont tes projets maintenant ?

Comme je le disais tout à l’heure, je vais partir faire du gonzo pour Colmax. Ensuite peut-être que je ferai un gros film pour eux, le scénario est déjà écrit, c’est une question de budget. Là-dessus le producteur d’ « Eloge de la chair » aimerait me confier un autre gros film, que je devrais réaliser l’hiver prochain. Et puis j’ai un autre roman qui sort en septembre, un pur polar, qui s’appelle « PK ». Et je suis en train d’en écrire un troisième. Mais bon, tout ça ne rapporte pas beaucoup de thune, au regard du boulot que ça exige.

(1) : http://www.technikart.com
Les articles de Jack Tyler sont (par ordre chronologique) :
Les aventures x de Jack Tyler (10 épisodes)
Modeste rebandera-t-il ? (13 épisodes)
Le Fucker est dans le pré (2 épisodes)
Sex holidays in Ibiza (5 épisodes)




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