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Sommaire - Interviews -  Jean-Pierre Dionnet - Collection ASIAN STAR


"Jean-Pierre Dionnet - Collection ASIAN STAR" de Stéphane Thiellement


 

On connaît Jean-Pierre Dionnet pour ses présentations sur Canal + de « Cinéma de Quartier », pour « Les enfants du rock », et plus en arrière encore, pour « Métal Hurlant », le magazine culte auquel rendra hommage prochainement les Editions Denoel avec un ouvrage lui étant consacré. Mais depuis quelques années, Jean-Pierre Dionnet a aussi montré sa passion pour le cinéma asiatique d’abord en créant la société de distribution « Des Films » vouée à l’achat de films venus de Hong-Kong, de Corée, du Japon et parmi lesquels on distinguera quelques chefs d’œuvre dont le moindre n’est autre que le sublime « Dark Water » d’Hideo Nakata. Et depuis quelques mois, il s’est imposé sur le marché DVD en lançant la collection « Asian Star ». 3 vagues d’une dizaine de films sont déjà sorties, regroupant le pire comme le meilleur, mais satisfaisant largement l’amateur, le fan, par ses choix divers et variés & par un prix attractif pour des films appartenants à tous les genres, certes dominés par le polar mais dans lesquels se distinguent parfois quelques titres fantastiques. Bien que, comme vous allez le découvrir dans cet entretien, pour Jean-Pierre Dionnet, tous les films sont fantastiques...

Qu’est-ce qui vous a motivé pour créer ASIAN STAR, une collection qui ne serait dévouée qu’au cinéma asiatique de tous genres et qui, il y a encore quelques années, n’était apprécié que par une poignée de fans ?

Je pense qu’il y a de la place pour un telle collection car pour l’instant, celles qui existaient déjà comme celle de Studio Canal étaient extrêmement ciblées. Studio Canal ne joue que quelques auteurs. Celle, imparable, de Samuel et Victor Hadida, HK VIDEO, ne joue que des films de grands réalisateurs comme John Woo & Tsui Hark entre autres, et les films de sabre. Celle de Wild Side Vidéo ne joue que des classiques et des films coréens récents. Mais toutes ces collections ont un défaut. Déjà, le cinéma asiatique est multiple. On ne peut pas dire aujourd’hui qu’on choisisse un pays parce que les pays se choisissent tous seuls. Il y a deux ans, j’aurais tout misé sur la Corée, Hong-Kong était presque mort, les autres arrivant tout doucement. Aujourd’hui, tout ça a encore bougé, la Corée stagne, alors que la Chine intérieure bouge énormément. Donc, l’ensemble de l’Asie est plus riche qu’on ne le croit. Quand je fais ASIAN STAR, je ne pense pas à une préférence de pays, je suis un mercenaire qui aime l’Asie en général et qui va au pays le plus intéressant. Une chose à laquelle j’ai aussi participé, c’est de mettre en avant quelques auteurs comme Johnnie To et Kim Ki-Duk, ce qui a été le plus facile. Mais le cinéma asiatique est plus diverse que ça. Il y a les auteurs auprès de qui tout le monde est passé, comme Johnnie To. Qu’est-ce qui s’est passé avec Johnnie To ? En un an ou 2, je l’ai fais sélectionner à Cannes et Venise, et ça a marché. Christophe Gans, avec qui je suis assez complice, m’a dit alors : « Je vois ce que tu veux faire. Tu as peut-être raison mais toi tu aimes bien les flingues, moi je préfère les sabres. Et je crois moins aux flingues à part ceux filmés par John Woo. Mais encore une fois, tu as peut-être raison. » .Bon, il semblerait que j’ai raison. Et cette politique « auteurisante » a un défaut, elle suit certains metteurs en scène , et ignore les irréguliers qui parfois font de bons films. Moi, si un gars fait 10 bons films et seulement un chef-d’œuvre, j’ai envie de tout sortir. Ensuite, il n’y a pas de film d’art et essai là-bas, faut que le film marche, point. Ils n’ont pas la même notion que nous dans le cinéma. Kim Ki-Duk vous dira : « j’ai fais des films commerciaux, seulement deux ont marché ! ». ici, on aime tous ses films, les commerciaux comme les non-commerciaux, parce qu’on a une politique des auteurs ; mais cette dernière est dangereuse en Asie parce qu’ils produisent plus que nous. Et si on leur propose un truc un peu « daube », ils vont le faire quand même ! Les metteurs en scène les plus étonnants pour moi en ce moment à Hong-Kong sont au nombre de 2 : d’abord Wilson Yip qui a réalisé dernièrement quatre films d’horreur navrants mais aussi de bons films dernièrement : « Bullets over summer », c’est bien ; « Juliette in love », c’est magnifique. Enfin, son dernier « SPS » est extraordinaire en tant que film d’action de kung-fu. C’est Chabrol qui disait : « Moi, je fais des navet, je le sais, mais je le fais parce que j’aime tourner ! ». cette diversité permet d’aller dans plein de directions. Au départ, j’ai fais de grosses vagues de sorties avec une dizaine de titres, pour m’imposer sur le marché. Maintenant, je vais être plus raisonnable avec 5 ou 6 titres. Et j’alternerai les pays, les genres comme pour « My sassy girl » qui a très bien marché. Moi, j’aime tout le cinéma. Quand je faisais « Cinéma de quartier », je me changeais les idées avec des films asiatiques ; c’est devenu mon métier, je me change les idées avec des films US que j’ai ratés il y a trente ans ! En fait, je retrouve mon plaisir quand je ne me pose pas de questions professionnelles sur un film. Bref, cette diversité a sa place dans le cinéma actuel mais il faut faire vite car Internet nous devance avec l’achat directement dans le pays, ou dans celui d’à coté qui a déjà ces films, etc... Et c’est cette diversité que je propose dans « Asian Star », du polar à la comédie, en passant par la Science-Fiction, l’Horreur, même l’érotico-pornographique mais je n’ai encore rien trouvé dans ce dernier genre qui rejoigne mes goûts. En fait, c’est curieux, mais j’ai vécu une aventure semblable avec « Métal Hurlant » : à l’époque, il n’y avait que « Pilote » & « Fluide glacial », on marchotait. Puis d’autres sont arrivés et j’ai dit qu’il fallait en profiter parce que justement le choix s’élargissant, le lectorat grandirait. Pareil pour la vidéo. Aujourd’hui, il y a des rayons « films asiatiques » et chaque mois, le fan y trouve son compte.

A condition de ne pas faire comme pour le Fantastique, à savoir de jeter en pâture au profane des navets sous jaquettes alléchantes...

Et encore, le profane n’est pas le gamin de quinze ans qui, lui, en connaît déjà un bon bout. C’est celui qui vient pour la première fois au cinéma asiatique. Alors lui, je peux lui proposer du polar, de la comédie mais il est certain que si il tombe sur un film comme « Running on karma » de Johnnie To, qui est un mélange de tout ça, il risque d’être échaudé ! moi, je me fais plaisir mais j’avoue que ce n’est pas gagné d’avance. Dans la troisième vague qui vient de sortir, j’ai mis de gros morceaux comme « Shiri », un polar d’action musclé, que j’ai récupérer alors qu’il était déjà sorti en France chez un éditeur qui déposait le bilan le même jour, quasiment ! Il y a aussi l’horreur pure avec « Ab-normal beauty » décrit par certains comme l’enfant illégitime du « Voyeur » et de « Vidéodrome » ! Un film comme l’excellent « Victim » de Ringo Lam est plus dur à cibler car il mixe polar noir et fantastique. Donc, ça, ce sont les films qui seront achetés par le fan et qui en plus sera content de voir autre chose qu’un énième avatar de « Ring » et d’une gamine avec de longs cheveux noirs qui lui tombent devant le visage ! Pour moi, « Ab-normal beauty » se rapprocherait plus des « yeux de Laura Mars » : à force de créer des choses horribles, il peut arriver qu’elles deviennent réelles. Quelque part, ça s’adresse à nous, à notre fascination pour l’horreur qui cache selon moi un monde athée où on aime bien trouver un monde spirituel dans ce qu’on nous montre, c’est un besoin.
Maintenant, je suis assez confiant, les chiffres me donnent raison. Le pari, c’est d’élargir. D’abord, par le prix : on est à 20 Euros, on va passer à 15 Euros. Ensuite, par des suppléments vraiment dignes d’intérêt. Et puis, parfois, il y aura des sorties salles, comme « Seven swords » le 30 Novembre, ce qui aide à mettre en avant certains films et, commercialement, ça ne peut faire que du bien. Mais ce n’est pas très orienté « Science-Fiction Magazine » tout ça !

Il y a de la SF dans certains titres de la collection, c’est vrai aussi que l’on s’en écarte un peu parfois car c’est assez restreint...

Non, je dis ça parce que je pense que les casiers de la SF se sont beaucoup plus élargis en général. Par exemple, « Running on karma » de Johnnie To est un tel film de fous qu’il aurait pu sortir à l’époque de la New World de Roger Corman !

En même temps, si on ne parlait que de SF, on ferait un magazine de 6 pages et le site se renouvellerait moins souvent au point de ressembler aux dernières émissions de « Temps X » !!!

(Rires). Le fan de SF trouvera son compte dans « Running on Karma ». Je l’ai envoyé à Moebius en lui disant que c’était pour la même raison que lui m’a conseillé de lire « La 9ème porte » de Dean Koontz, qui est un roman complètement frappé...

Ah bon, parce que moi, Koontz, j’ai arrêté il y a quelques années quand ça devenait trop spirituellement engagé Dieu & Co...

Je suis d’accord mais celui-ci est incroyable. Et quand Moebius me dit de reprendre, je l’écoute. Mais maintenant, il n’y a plus de frontière entre Fantastique et Science-Fiction. Seule la Fantasy garde son domaine bien à elle. Et le cinéma asiatique s’adresse beaucoup à ce public là pour ses changements de ton, de rythme, d’espace ; Comme « PTU » de Johnnie To qui est un film nocturne sur une intrigue simple mais qui en devient insolite . Je pense que le public de SF est prêt pour ce cinéma qui a un message clair et une forme en adéquation avec des choses tout à fait inhabituelles. Les jeunes qui lisent la SF sont les mêmes qui aiment les mangas, normal, mais aussi les mêmes qui aiment le cinéma asiatique.

Comment s’est fait le choix des titres de al première vague des titres de la première vague d’Asian Star ? Par goûts ou par package forcé entourant un titre phare ?

En gros, la première vague a été dictée par l’urgence. C’est à dire qu’en Asie, ce n’est guère facile de récupérer des droits et du matériel correct, donc calmement, on arrive aux dates limites et au bout du compte, elle a été composée de ce qu’on avait. Ce qui ne veut pas dire que je ne la revendique pas. Bon, elle n’est pas mal, essentiellement Hong-Kongaise. La seconde vague a été faite de manière plus pensée car on avait plus de temps. La troisième vague a été vraiment faite pour lancer la collection avec des gros films qui l’installeraient définitivement. Maintenant que j’ai une cinquantaine de films avec tout le matériel souhaité, je vais pouvoir être plus « artisanal » dans mes choix. Mais il y a toujours des problèmes à savoir que je n’ai pas systématiquement le matériel souhaité alors qu’il était prévu dans la première vague ! dans l’édition littéraire, c’est facile, vous achetez les droits, pouf ! vous traduisez. En vidéo, vous achetez les droits, on vous envoie un master pourri que vous retournez et on vous renvoie encore un master pourri. Vous chezchez alors des copies ailleurs qui vous permettraient en recollant les meilleurs morceaux d’obtenir un ensemble formant une copie correcte. Moi, je suis d’abord acheteur, je veux du matériel impeccable et de bons suppléments car je veux que le client soit satisfait. L’autre jour, j’ai acheté en zone 2 « Le cardinal » d’Otto Preminger, un des mes films préférés et il change trois fois de format ! J’étais dégoûté ! Maintenant, je suis en possession d’assez de matériels pour sortir des vagues cohérentes. Mais je reste prudent. J’ai sorti « Bullets over summer » de Wilson Yip, j’attend de sortir son chef-d’œuvre absolu « SPL » pour sortir les autres. Et puisqu’on y revient, l’autre metteur en scène qui monte en ce moment à Hong-Kong, c’est Wong Ching Po qui a fait « Jiang-Hu ».

Le « Jiang-Hu » sélectionné au festival du Film Policier de Cognac cette année ?

Oui, mais je suis dans la merde noire avec ce titre, parce qu’il y a plein de films avec ce titre ! On connaît celui de Ronny Yu que j’ai sorti avec Studio Canal, celui présenté donc à Cognac cette année, et un film magnifique qui est dans la troisième vague d’Asian Star, « Jiang-Hu the triad zone » de Dante Lam. Bon celui-ci s’appelle finalement « The triad zone ». Mais je ne sais pas comment appeler celui de Wong Ching Po ! Un autre exemple tiens : j’ai un film de Hong-Kong magnifique signé Daniel Lee qui s’appelle « Midnight Express » ! Qu’est-ce que je vais faire avec ce titre, moi ? (Rires).

Maintenant que vous avez cette collection, qui a établi pas mal de contacts je pense, recherchez-vous des titres qui ont marqué ceux qui l’ont vu lors d’un festival comme par exemple « tales of the unusual » qui obtint le prix de la Critique à Gerardmer en 2000, encore inédit à ce jour, ou des titres que vous avez toujours rêvé d’avoir ?

Bien sûr, mais ce n’est pas si simple. Parfois, on ignore qui a les droits, ou les sociétés n’existent plus... là, j’ai enfin trouvé qui possédait « Ghost actress » de Nakata, et je vais pouvoir le sortir. Et puis, il y a aussi des surprises de taille aussi : un film que j’adore, sorte d’ « American graffiti » thai, je trouve l’aant droit mais il ne peut pas me le vendre. « Pourquoi ? » lui dis-je. « Parce qu’on a piqué la musique sur des CD américains, on n’a pas les droits, faudrait refaire la BO, ça coûte trop cher... ».

Ce sont les droits qui bloquent tout.

Comme diraient les politiques, c’est compliqué avec les pays émergeants, qui découvrent ces ventes. En Thailande, au Japon, c’est parce que les droits courent sur des dizaines d’années ; à hong-Kong, c’est parce que les compagnies ont vendu leurs titres à des groupes immobiliers puissants qui n’ont rien à foutre de droits cinématographiques...

Donc les choix des titres des vagues d’Asian Star dépendent plus de ces histoires de droits que de vos goûts...

Prenez les gens d’HK Vidéo. Ils sortent des films maintenant, achetés pourtant il y a dix ans mais ils n’avaient toujours pas le matériel. Ils sortent « Shangai Blues » bientôt, ils l’avaient depuis longtemps. Quand les droits se libèrent, on récupère aussi au dernier moment. Mais pour certains titres, je les laisserai à Christophe Gans, on est copains, c’est normal, et je n’apprécierai pas non plus qu’il me marche sur les pieds...

Et justement, avec les autres éditeurs de films asiatiques, les relations sont bonnes, vous ne vous télescopez pas sur des sorties ayant lez même réalisateur, vous faites des compromis ?

Oui, avec ceux que je vous ai cités tout à l’heure. Ce qui m’agace, c’est le petit nouveau qui arrive sur le marché, qui propose un prix plus élevé que nous et qui en plus ne tiendra jamais sur la distance. Parce qu’à cause de lui, logiquement, les tractations financières sont revues à la hausse... Autrement, non, certes on a des politiques propres à chacun mais il n’y a jamais de conflit.

Le packaging d’Asian Star est soigné...

Mais c’est normal. Un collectionneur appréciera, l’amateur sera séduit par une attirance visuelle différente. Moi, vous savez, je regarde ce que font les autres. Par exemple, les films des éditions Montparnasse sont très bons mais leur packaging est si triste. Mon favori en ce moment, c’est Carlotta. Eux, je trouve que leur packaging est original, soigné, et qu’il présente bien en collection.

Pour finir, c’est la passion pour le cinéma asiatique qui vous a fait créer Asian Star, l’envie de faire découvrir ce cinéma à ceux qui le connaissent peu...

Ooohhh... il y a la passion pour ce cinéma, c’est sûr. Mais il y aussi un public actuel qui est l’équivalent de celui auquel j’appartenais étant jeune. Je viens de Province, j’ai habité en banlieue et c’est là, avec d’autres « racailles » comme on pouvait l’être, que j’ai découvert le plaisir d’un cinéma populaire qui m’a donné le goût du cinéma en général. Hé bien moi, j’aimerais qu’Asian Star soit pour les jeunes actuels la porte qui leur fera aimer le cinéma en général par le biais de films s’apparentant à ceux que je voyais dans ma jeunesse. C’est d’abord ce public-là, cette nouvelle « racaille » que je veux satisfaire en leur donnant du cinéma qu’ils aiment mais un cinéma de qualité aussi. Et croyez-moi, ce public-là est très connaisseur.

Propos recueillis à Paris en Novembre 2005 par St. THIELLEMENT




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