8/10
Ce roman conte l’histoire de Sumner Kagan, l’anti-héros par excellence. Il est plus que gros, il est obèse, sale, mal vêtu et... criminel endurci. Mais il a une carte blanche ! C’est à dire que, dans cette nouvelle civilisation post-cataclysmique où les difformités génétiques sont devenues la règle, ses gênes sont purs. Et c’est un sérieux atout !
Il a perdu son père lorsqu’il avait dix ans. Celui-ci affirmait : « Il doit apprendre à ne compter que sur lui-même. » Mais il lui avait assuré les moyens de suivre des études grâce à une location de longue durée d’une Savsule. Il avait fait de même pour une voiture. Sumner vit avec sa mère, Zelda, qui, pour subsister, s’est reconvertie dans la sorcellerie.
À l’âge de onze ans, des Voors l’ont enlevé et obligé à féconder une femme qui voulait des gênes sains. Depuis, il a un enfant qu’il n’a jamais vu.
Il tue par vengeance ceux qui l’ont opprimé et humilié, crimes qu’il signe à coups de bombe de peinture rageurs : Sucrerat. La préparation de ses forfaits est si minutieuse qu’il n’a jamais été inquiété, depuis six ans.
Aussi, lorsqu’il se rend compte qu’il a perdu un récépissé l’identifiant sur les lieux de son dernier meurtre, il prend la fuite, quitte sa mère et sa ville natale.
Comment peut-il survivre dans ce monde en mutation ? Surtout que certains ont reconnu en lui l’alter ego de l’Eth, une entité divine. Mais Sumner a des talents et sait s’adapter, alors...
Si, de l’auteur, on connaît peu de choses sauf qu’il est né en 1951 dans le New-Jersey, qu’il vit à Hawaï et qu’il signe d’autres romans sous le pseudo de Adam Lee, Radix n’éclaire pas mieux sa personnalité. Ou alors, celle-ci est très complexe, voire torturée, à l’image de son roman et de son héros !
En effet, ce livre est énorme, démesuré. Dans un univers où les valeurs ont évolué comme les corps et l’environnement, l’auteur construit « un voyage du futur au bout de la nuit ». C’est aussi un voyage « au bout de l’ennui », d’ailleurs, car, si les soixante premières pages sont traitées comme un thriller, pour les suivantes, il faut se battre, se motiver pour suivre le système Attanasio. Celui-ci compose son récit avec une écriture frénétique, des figures de styles à n’en plus pouvoir, un découpage saccadé et une relation constante à la couleur. Et puis, « on passe » en force et on découvre un univers passionnant et on se laisse emporter par les histoires, les rencontres, le parcours de Sumner.
Cette quête initiatique peut se lire à trois niveaux principaux : une démonstration que l’homme, pour peu qu’il le veuille, peut trouver en lui les moyens de s’élever spirituellement pour aller vers une forme de déité ; une brillante parabole sur le refus de la différence, sur les effets pervers et non fondés de la discrimination, une fable dans laquelle l’auteur souhaite prouver que tout homme peut évoluer, même le pire, et devenir meilleur. C’est sans doute un peu de tout cela, plus un plaidoyer « écologique » pour la Terre.
L’auteur étudie avec minutie toutes les composantes du personnage de Sumner, les interactions entre le physique et le psychique. Par exemple, il en fait un obèse parce que, pour lutter contre l’angoisse qui le ronge en permanence, il le fait manger : « comme si la terreur pouvait être refoulée au plus profond de l’estomac, broyée et digérée. » Et sa mère, pour le garder près de lui va dans ce sens en lui cuisinant une nourriture abondante, d’où...
Cependant, il est vrai que la profusion de symboles, le foisonnement des métaphores, la volonté de faire « science-fiction » entraîne des difficultés pour aborder ce livre, le décrypter. On peut trouver des parties fort ennuyeuses et ressentir une certaine lassitude. Cependant celle-ci est gommée rapidement par la capacité d’Attanasio à créer des personnages, faire naître des images, des couleurs et des situations magnifiques.
Serge Perraud
Radix, A. A. Attanasio, Terre de Brume coll. Poussière d’Étoiles, septembre 2005, 510 pages, 23 €