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Sommaire - Interviews -  Amélie Nothomb


"Amélie Nothomb" de Damien Dhondt


Quel a été le point de départ pour votre dernier roman Acide sulfurique ?

C’est à la suite du énième conversation au sujet de la télé-réalité. On ne peut pas vivre à l’abri. La télé-réalité est partout. C’était la énième fois que j’entendais ce propos rebattu, à savoir que si quelqu’un regardait, c’était pour voir des gens tomber encore plus bas qu’eux.

L’émission "Concentration" est comparable à celle du film "Le prix du danger" avec Gérard Lanvin

Je ne l’ai même pas vue.

Il existe une invention des Frères Lumières qui s’appele le cinéma. En 1982 on pensait que c’était de la science-fiction, que c’était très loin de nous. Mais aujourd’hui ce n’est pas si loin que ça. Comment lirons nous Acide sulfurique dans 20 ans ?

Il y a deux théories. Soit mon livre est de la science-fiction et alors dans 20 ans on dira "cette pauvre Amélie Nothomb qui s’imaginait que cela serait comme ça". Soit mon livre n’est pas de la science-fiction et dans 20 ans on dira : "mais quelle enfant de coeur cette Amélie Nothomb, si elle savait les horreurs qu’on a fait depuis". Donc j’espère vraiment que c’est la première hypothèse.

On voit rarement les organisateurs de l’émission.

Même si les organisateurs sont vraiment des salauds, je prends le point de vue des spectateurs. C’est un sujet beaucoup plus délicat.

Vous affirmez dans le livre que les vrais coupables sont les gens qui regardent.

La vraie question est : comment regarder cela ?

Si une émission de télé-réalité réussissait à avoir 100% d’audience, est-ce que logiquement toutes les autres chaînes n’essayeraient pas de la saboter par tous les moyens ?

Il est certain que les autres chaines essayeraient de la saboter. Mais je ne suis pas certain qu’elles y réussiraient. Est-ce que les autres chaines ont réussi à saboter les émissions déjà monstrueuses qui existent en France, aux Etats-Unis et ailleurs ? L’argument est bon, mais cependant trop optimiste me semble t’il.

Une fois de plus les personnages ont des prénoms originaux. Dans "Acide sulfurique" vous faites remarquer que des gens ont une apparence à s’appeler Aurore, mais que les parents ont tenu à les apppeler Bernadette. Mais on peut évoquer le fait que d’autres ont vraiment une apparence à s’appeler Bernadette.

C’est un autre drame ! Je suis riche de prénoms. Depuis que je suis toute petite je retenais les prénoms qui me marquaient. Je m’achetais une Barbie pour leur donner ce prénom. J’ai enfin trouvé quoi faire de ces prénoms. J’ai écrit des livres avec des héros qui méritaient de tels noms. Donc je continuer à alimenter ma gibecière des prénoms les plus extraordinaires que je rencontre. De toute façon même un prénom nul est une richesse. Un prénom est la première richesse d’un être humain. Dans "L’apprentissage de la vie", le roman de Luc Dietrich, le héros tombe amoureux d’une jeune fille. Il ne sait rien d’elle, mais par un miracle apprend son prénom.

Dans le camp les prisonniers perdent leur prénom.

Quand on a une grande passion on doit s’entrainer à l’ascèse de cette passion. Le précédent livre "Biographie de la faim" témoignait de quelqu’un qui avait la passion de la nourriture et qui s’exerçait à l’anorexie pour cette raison. Ce livre est écrit par quelqu’un qui a la passion des noms et qui va jusqu’à suprimer les prénoms. C’est quand on se prive de quelque chose qu’on comprend mieux la valeur de cette chose.

A la fin on découvre qu’un des personnages s’appelle Pietro Livi.

L’écrivain Primo Levi s’est suicidé en laissant une note de crayon écrite quelques jours avant son suicide "Après Auschwitz il n’y a plus moyen de croire en Dieu" et il parait qu’il a rajouté "du moins s’il y a encore moyen, je ne l’ai pas trouvé". Cette phrase est terrible parceque c’est très beau et qu’il y a quand même un moyen, mais qu’il ne l’ait pas trouvé.

Pensez vous que dans le fonctionnement des faits un livre peut changer les choses ?

Il faut bien que je le crois. Je n’y crois pas du tout. Quelle naïveté faudrait il avoir, surtout quand on écrit des livres depuis si longtemps, pour s’imaginer que cela va changer quelque chose à l’ordre du monde ? En même temps je n’ai pas le droit de ne pas y croire. Je n’ai pas le droit de ne pas faire tout pour que, malgré tout, cela change quelque chose. C’est Don Quichotte. Je soupçonne Don Quichotte d’être beaucoup moins fou qu’on ne le croit, de savoir très bien qu’il ne peut pas venir à bout des moulins à vent et cependant de savoir qu’au nom de l’idéal chevaleresque, qui seul permet de continuer à vivre, il faut quand même combattre les moulins à vent, parceque sinon autant mourir tout de suite. Donc je fais semblant d’y croire.

Il y a une allusion à "Boule de suif". Dans ce monde de Mal le petit espoir repose sur le sacrifice

L’héroïne refuse une certaine forme de sacrifice. C’est un livre sur le Mal. Mais aussi sur l’influence que peut avoir sur le Mal un seul personnage qui n’a aucun pouvoir.

Si le livre est un livre sur le mal une histoire d’amour.

C’est une histoire d’amour impossible qui ressemble à Furyo. On ne peut pas haïr tout le monde. Zetna est un personnage que j’aime énormément, qui commence dans la médiocrité. Au départ elle est parfaitement méprisable et puis un accident lui fait rencontrer la beauté. Le spectacle de la beauté va provoquer en elle une telle admiration. Sur le coup de cette admiration elle va devenir une autre personne et à la fin c’est quand même elle qui sauve l’humanité. Quelqu’un qui est capable de vraiment changer dans sa vie mérite toute notre admiration.
Cela m’énerve tellement le nombre de fois où j’ai entendu : "je suis comme ça, je ne peux pas changer". Non, il y a un moyen de changer. En plus le changement que je propose à l’humanité n’est quand même pas un changement délirant. Je demande de changer de chaine.


L’ouvrage se termine sur un violoncelle.

Le dernier mot du livre est aussi le mot "humaine" : l’humanité. C’est un constat à la fois tragique et optimiste. A la fin du livre peut-être que le dernier refuge de l’humanité est la musique. Il y a plus d’humanité dans un violoncelle que dans une émission de télé-réalité.

La musique est-elle au-dessus de la littérature ?

Même pour les analphabètes de mon espèce ( je n’ai aucune culture musicale d’aucune sorte). L’accès à la musique est tellement direct. Il s’adresse à toute la personne corps et âme.

Vous avez écrit les textes de chanson de la chanteuse Robert.

C’est un épisode qui a duré de 1998 à 2001. Elle m’a inspiré des textes. On ne peut pas écrire sans inspiration et il n’y a pas plus mystérieux que l’inspiration. Il y a des chanteurs fomidables qui ne m’inspirent pas du tout.
Mettez moi devant un instrument de musique ou un pinceau il n’en sortira que des choses grotesques. Dans ce cas on prend son stylo et on espère qu’au bout de 56 manuscrits il en ressortira une toute petite étincelle de beauté.
Quand j’écris l’important c’est le critère rythmique et phonique. Si j’avais pu choisir mon talent j’aurais été compositeur. Mais j’essaie quand même à mon échelon de faire la musique que je peux.
J’aime énormément Chubert, Bach, Hemdel Verdi David Bowie, Björk. Mais je n’ai droit à la musique que quand j’ai fini toutes mes heures d’écriture.

Comment écrivez-vous ?

L’écriture est pour moi un acte d’une violence physique tellement intense que je dois avoir un costume qui convient. Donc j’ai ma tenue d’écriture. Elle est consternante. Elle vise à me maintenir à une chaleur extraordinaire. J’atteinds une espèce d’ère glaciaire intérieure et comme je ne supporte pas cela j’ai une espèce de pijama nucléaire japonais. Comme cela ne me suffit pas j’ai un manteau en laine de Pyrénnées que je porte par au-dessus. Quand j’écris j’ai une allure formidable.
Pour le matériel je m’entraine à l’humilité la plus extrême. J’utilise des stylos de dernière qualité, de préférence prémachés par des individus inconnus et des cahiers en papier recyclé.
Je pense que j’ai cessé de connaître par coeur mes textes à partir du 21°. Je retravaille mes livres énormément dans ma tête. Mais une fois qu’ils sont écrit je n’y reviens plus

Comment vient l’inspiration ?

C’est un mystère. Le robinet coule toujours. Le plombier ne vient pas (vous savez ce que c’est) et le robinet coule toujours.

Y a t’il une différence entre l’écriture de la fiction pure et celle de l’autobiographie ?

Non, je ne fais pas la scission. L’écriture de l’un et de l’autre est tout aussi intense. "Acide sulfurique" était vraiment un bouillonement de sang. C’est à se demander comment je peux encore en avoir dans les veines. D’ailleurs je n’en ai plus.

Qu’est ce que vous contrôlez qui peut s’améliorer qu’est ce qui reste brut ?

Je ne contrôle pas grand chose. D’autre part il n’est pas vrai que je ne contrôle rien. J’essaie quand même de faire de la musique avec mon hémoragie... C’est une réponse horrible. Imaginez la musique d’une hemorragie. Je préfère ne pas savoir quel bruit cela fait. Cependant dans "Biographie de la faim" il y a une scène très courte qui ne dure une page mais qui est insoutenable. J’avais déjà écrit cette même scène, sauf qu’elle prenait 180 pages. L’évolution d’une hémoragie peut constituer une trace sanglante comme un grand idéogramme de sang qui ne fasse qu’une page.

Comment est née votre vocation d’écrivain ?

Oh vous savez quand on est bon à rien.

Que pense votre famille ?

Ma famille au sens large "clanique" est plutôt consternée. Le petit cercle ( papa - maman - frère - soeur) eux sont vraiment contents.

Vous attendiez vous à une telle réaction, une telle polémique autour de ce nouveau roman ?

Franchement non, il y a eu un formidable succès public. Je n’en sais rien sincèrement. Je pense que c’est dur pour la télé. Mais les gens qui ont eut un lien avec les camps de concentration ont formidablement réagi.
Je me doutais qu’on me poserait des petits problèmes. Mais le seul risque cela aurait été que le livre ne sorte pas. Donc je suis d’emblée rassurée, même si je vois que les réactions sont violentes et que je n’en ai certainement pas fini avec les insultes. Le pire risque aurait été la non-publication du livre.

Dans l’émission "Le masque et la plume" on vous a reproché de médiatiser des évènements de l’univers concentrationaire, alors que ceux qui les ont vécu n’en ont jamais parlé

Justement, les gens qui ont vécu de cela ne me le reprochent pas. Je trouve très singulier les gens qui sont scandalisés au nom des autres ! Qu’ils laissent les autres parler. Que les gens soient scandalisés pour eux mêmes. Comment peuvent-ils préjuger de l’indignation d’autrui ? Il y a une dame rescapée de Birkenau qui ne jure que par "Acide sulfurique", peut-être parce quelle a compris que nous ne sommes pas à l’abri pour toujours de cette chose horrible. Je pense qu’il faut se souvenir de cela et que nous ne sommes pas hors de danger.

Comment avez vous réussi à ne pas réagir, à garder une certaine distance ?

Il y a 13 ans, quand j’ai publié mon premier livre, je me doutais que j’aurais des insultes. Je me demandais comment je réagirais face aux insultes, si j’aurais l’attitude ? Et c’est là que le Japon m’a servi. Au Japon on apprend à encaisser. On vous traite de moins que rien, de ver luisant, de rat, de serpent et on encaisse. On apprend à être impavide et somme toute ça marche. Mais il y a peut-être un stade d’explosion. Peut-être y a t’il quelque part dans le corps une vésicule qui encaisse toutes les injures dans le corps et peut-être y a t’il un stade où cela explose. Imaginez le spectacle de l’explosion et toutes les insultes qui en sortiraient.

Quel est votre sentiment sur le Japon ?

Le plus grand amour, mais bien sur avec toute l’ambiguité, tous les troubles et toutes les colères que peu contenir un grand amour

Les réactions ont-elles une influence sur votre écriture ?

Pas sur ce que j’écris maintenant. Il n’est pas à exclure que toute la violence qui entre en moi influe sur le futur. Mais je ne peux pas dire en quelle proportion.

Quelle a été la réaction de votre éditeur ?

Je ne sais pas s’il savait que je recevrai des insultes. Mais en tout cas il savait que ce ne serait pas lui qui les recevrait.




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