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Sommaire - Interviews -  Terry Pratchett - Neil Gaiman


"Terry Pratchett - Neil Gaiman" de Karine Soum-Dominiczak


Neil Gaiman, auteur anglais exilé aux États-Unis, est le créateur de la célèbre série de comics anglo-saxon, The Sandman (édition française chez Vertigo) et de nombreuses séries TV. Il a écrit plusieurs romans, parmi lesquels, Neverwhere (J’ai lu-Millénaire, 1998) aujourd’hui en cours d’adaptation cinématographique et Miroir et fumée (Au Diable Vauvert, 2001), un recueil de nouvelles. Il se fait un devoir d’accumuler les prix littéraires et les compliments de gens totalement inconnus comme Stephen King, Clive Barker ou encore Poppy Z. Brite, qui le saluent comme un véritable surdoué.


Terry Pratchett, quant à lui, a signé son premier roman à l’âge de 17 ans, Le Peuple du tapis (Aux éditions J’ai Lu). En 1983, le Disque Monde (Éditions L’Atalante) le propulse au sommet. Depuis, il publie quelque trois romans par an, régulièrement classés parmi les meilleures ventes en Angleterre.


Ensemble, ils cosignent De Bons Présages, roman détonant publié aux éditions du Diable Vauvert, dont l’adaptation par Terry Gilliam vient hélas de passer à la trappe. Mais reste toujours le livre, dont ils nous parlent avec humour.


La Création – la Grande et l’autre, littéraire celle-là – suscite beaucoup d’interrogations. Pourquoi, comment et bien d’autres encore... Mais votre collaboration amène nécessairement une foultitude de questions supplémentaires. Comment cela s’est-il décidé ?



Neil Gaiman : En 1987, j’avais écrit quelque chose comme un premier brouillon de Bons Présages, un traitement en 5 000 mots. Je l’ai montré à Terry, puis je l’ai poussé dans un tiroir. Un an plus tard, il m’a appelé en me disant “je sais ce qui se passe ensuite. Tu me vends l’idée, ou nous l’écrivons ensemble.”


Puisque je ne suis pas stupide, j’ai décidé de l’écrire avec lui.


Terry Pratchett : Je me suis souvent demandé ce que cela aurait donné si je l’avais acheté. Sans doute pas De Bons Présages, mais un roman différent. L’idée d’écrire en duo me plaisait.


Comment cela s’est-il passé ? Comment s’est organisé votre travail ?


Neil Gaiman : Nous avons travaillé ensemble sur tous les personnages.


Une fois le manuscrit terminé, j’ai pensé un instant indiquer les passages écrits par moi et ceux écrits par Terry, ceux écrits par l’un et revus par l’autre, ceux écrits par un monstre à deux têtes appelé Terry & Moi et ceux qui s’étaient certainement écrits tout seuls puisque nous n’avions pas le souvenir de les avoir rédigés. Je ne l’ai pas fait. Et même si aujourd’hui je crois savoir qui a écrit quoi, il y a des scènes entières que je relis en me disant “je croyais que c’était Terry qui avait écrit ce passage, mais ça ressemble terriblement à mon style.”


Terry Pratchett : C’est presque cela. Nous avons simplement écrit ce livre. Je crois aussi que nous sommes tout à fait capables d’écrire comme l’autre, de prendre ses tics, son ton. La femme de Neil a tenté d’identifier qui avait écrit quoi et elle s’est plantée à chaque fois !


Neil Gaiman : Mais fondamentalement ce genre de distinction n’a pas d’intérêt. Nous avons écrit ce livre ensemble. Et il aurait été totalement différent si nous l’avions écrit chacun de notre côté.


En fait, nous avons eu une relation de travail sensé. Nous savions tous les deux le genre de livre que nous étions en train d’écrire. Terry était le maître-artisan, moi l’apprenti dans cette histoire. Nous avions également un public : j’étais celui de Terry, et Terry le mien. Nous ne savions pas si les autres trouveraient ça drôle, mais nous, nous rigolions énormément.


Terry Pratchett : L’autre point important c’est que nous avons écrit sans aucune pression. Nous commencions à être connus, mais pas connus au point de nous empêcher de prendre un peu de temps pour écrire et voir comment les choses tourneraient. Aujourd’hui, si nous devions réitérer l’expérience, il nous faudrait une année entière rien que pour accorder nos agendas.


Ah oui ! un grand souvenir de notre collaboration : nous avons également tenté d’envoyer nos textes d’un ordinateur vers un autre grâce à un modem 1 200/75 (demandez à votre grand-père, il se souvient sans doute de ce modèle !) eh bien je m’éveille encore la nuit en hurlant rien que d’y repenser !


Un mot sur la forme du roman. Le ton est incisif, parfois savoureusement cruel... un exemple : “Elle cherchait à paraître fiévreuse, émaciée, et romantique ; avec quinze kilos de moins, elle aurait pu y prétendre. Elle se croyait anorexique, parce que chaque fois qu’elle se regardait dans le miroir, elle voyait effectivement quelqu’un de gros.” Alors, de vous deux, qui est le plus méchant ?


Neil Gaiman : C’est moi ! Ou peut-être Terry !


Terry Pratchett : Les deux sans doute. Mais ne confondez pas un auteur avec ce qu’il écrit. On ne peut pas déterminer la forme d’un cochon d’après celle d’une saucisse, n’est-ce pas ?


Dans De Bons Présages, on rencontre une kyrielle de personnages, certains carrément loufoques, d’autres attendrissants, tous construits avec finesse. Il y a Le Chien ! Lui, je l’adore. De tous, quels sont vos préférés ? Pourquoi ?


Neil Gaiman : Avec le temps, je me sens de plus en plus attaché au Livreur d’Internationnal Express, et Monsieur Tyler qui écrit des lettres au journal local, mais uniquement dans sa tête. Des petits personnages qui vont et viennent, après avoir rempli leur rôle dans l’histoire. Et Shadwell, bien entendu.


Terry Pratchett : Les personnages secondaires sont souvent les meilleurs. Ils arrivent, ils font un truc inoubliable et ils disparaissent. Et d’un autre côté, vous avez l’impression de tout connaître d’eux. J’aime beaucoup Agnes Nutter.


On parle d’une nouvelle vague littéraire, le fantastique rock. Est-ce cela ? une écriture virulente, acide, drôle, mais aussi lucide et sans concession... Pensez-vous appartenir à ce courant ?


Neil Gaiman : Si De Bons Présages fait partie d’un mouvement, c’est celui qui a débuté avec Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, pour se poursuivre avec Jane Austen, Jérôme K. Jérôme et P. G. Wodehouse... autrement dit la tradition de l’humour anglais.


Terry Pratchett : Les vagues vont et viennent et je ne les remarque pas. Par contre, c’est vrai, le ton de De Bons Présages est définitivement anglais. Nous défendons le droit pour l’humanité de faire les choses avec héroïsme... mais de travers !


On ne peut que vous souhaiter un succès identique ici qu’outre-manche... Et maintenant quels sont vos projets à venir ? Y aura-t-il une nouvelle collaboration ?


Neil Gaiman : Nous écrivons des livres et des histoires et encore des histoires, chacun dans notre coin. Ainsi nous gardons tous les droits d’auteurs et ne nous disputons jamais pour savoir si mon nom ou celui de Terry doit venir en tête sur la couverture des bouquins.


Terry Pratchett : Pas seulement le nom de celui qui viendra en premier, mais la taille des lettres aussi !


Neil Gaiman : Mon prochain livre, en Grande-Bretagne et aux États-Unis s’appelle Coraline, c’est un livre effrayant pour les petites filles étranges de tous âges... et de tous sexes, qui sortira en été.


Terry Pratchett : Mon prochain livre s’intitule Night Watch et j’ai déjà écrit un bon quart de We Free Men, qui a pour personnage, oui, une étrange petite fille. Mais ce n’est pas vraiment une coïncidence. C’est une fille pour la même raison que si Lewis Caroll avait écrit Albert au pays des merveilles, l’histoire n’aurait pas du tout fonctionné !





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