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  Sommaire - Livres -  G - L -  Révolte sur la Lune
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"Révolte sur la Lune "
Robert Heinlein

Editeur :
Terre de Brume
 

"Révolte sur la Lune "
Robert Heinlein



10/10

Robert A. Heinlein a eu, aux USA et dans le monde anglophone, un succès considérable qui ne transparaît pas en France. Pensez qu’il a obtenu quatre fois le Prix Hugo ! (Bien sûr, on peut contester le mode d’attribution d’un Prix et la représentativité de celui-ci ...mais quand même !)
Il faut reconnaître que l’œuvre est puissante et qu’elle a pris, dans son domaine, une place qui n’est pas contestable. Aussi, la réédition d’un roman comme Révolte sur la Lune, même si le contexte n’est plus le même (Quoique !), même si les positions politiques peuvent avoir un léger goût suranné, ne peut que réjouir l’amateur exigeant.

Au début du XXIè siècle, la lune est devenue une colonie pénitentiaire, un bagne sans barreaux, car l’évolution physiologique des organismes, due à la différence de gravité, interdit toute évasion. Les prisonniers ont donc fait souche et, en 2075, date à laquelle l’auteur commence son récit, la population est composée de personnes ayant purgés leur peine et de descendants, nés libres. Manuel Garcia O’Kelly, surnommé Mannie ou Man, est l’un d’eux. Il est technicien en informatique et intervient régulièrement sur Holmes quatre, l’ordinateur numéro un qui gère toute la colonie. Par facilité, il l’appelle Mike. Ce dernier, peu à peu, prend de l’autonomie, de la personnalité et émerge à une conscience « humaine ». Man engage avec lui une relation « d’amitié ». Bien que Mike puisse avoir accès à tous les réseaux, Man doit assurer un relais en assistant à une réunion de protestation contre l’exploitation des « lunatiques » faite par la Terre. La manifestation tourne au drame et Man, en fuyant, se trouve chargé de sauver et de cacher Wyoming Knott, une militante pour l’indépendance de la Lune. Il fait, ainsi, ses premiers pas vers la révolte. N’ayant pas été identifié par la police, il reprend ses occupations. Lors d’une conversation, Mike lui confirme que la colonie lunaire est promise à l’extinction si les exportations de céréales vers la Terre n’ont pas de contreparties. Man entre alors dans un processus de prise de conscience et de rébellion. Aidés de révolutionnaires chevronnés, de Mike qui peut tout contrôler, les habitants de la colonie sous la direction de Man, font sécession. Les gouvernements terriens peuvent-ils accepter, sans combats, ce qu’ils ont refusé jusqu’alors ?

Heinlein fait le récit détaillé, l’examen de toutes les phases qui amènent à une révolution réussie. Il organise la clandestinité, il analyse les raisons et les motivations des différents acteurs, il dépeint les situations engendrées avec leurs tenants et leurs aboutissants et mène une intrigue passionnante avec vigueur jusqu’au final. Il imagine toute une galerie de caractères et de personnalités, les confronte à ces situations de mutation et s’amuse à les faire évoluer. À travers eux, l’auteur dépeint une société qui s’est adaptée à un environnement nouveau, qui s’est structurée de façon à se doter d’une organisation sociale. Avec des bagnards et des déportés, il reconstitue une civilisation agraire (on revient toujours là !). Il en régule les composantes avec un souci de véracité. La société lunaire est dans un processus classique que le romancier présente bien, reprenant ou réécrivant les étapes de la pyramide de Maslow. Il se laisse aller à rêver d’une société idéale, sans impôts, sans organisation étatique... C’est le règne du pragmatisme et de la responsabilité individuelle, un des grands thèmes chers à l’auteur.
Il ne retient de la révolution que les aspects organisationnels. Les coups de force, les batailles existent et sont rapportés sans être vécus par les commanditaires. (Comme dans la réalité !)
Il s’amuse et il nous amuse avec quelques portraits cocasses de révolutionnaires tirés directement, sans amplifier le trait, du gotha ordinaire des Fronts de Libération.

Au delà de la vie communautaire, Heinlein s’attarde longuement sur l’humanité, sa définition et son évolution. La mutation progressive de Mike vers une intelligence moins artificielle est significative et témoigne de cette interrogation latente : la machine inventée par l’homme peut-elle évoluer seule et le dépasser ? Quelles seront, alors, les réactions des machines ?

Il rend un hommage appuyé à deux géants de la littérature de genre : Edgar Poe et Conan Doyle, en faisant référence à La Lettre Volée, célèbre texte du premier et à de multiples allusions pour le second, allant jusqu’à faire dire à Man : « Moi, j’étais fanatique de Sherlock Holmes... »

C’est un récit fourmillant de détails, de « petits éléments » qui s’assemblent pour former un tout cohérent qui démontre une méthode d’écriture sans faille. Par exemple, au début du livre, il indique que Manuel est né un 14 juillet. L’auteur sème ainsi une kyrielle de signes que l’on relève, (ou qu’on ne relève pas) mais qui ont de l’importance pour étoffer le caractère du personnage ou l’intérêt d’une situation.

Heinlein pratique également l’humour, un humour fait de touches fines. En passant, mine de rien, il lâche une réflexion, une allusion qui fait sourire et qui réjouit. C’est ainsi qu’il décrit des révolutionnaires voulant utiliser les capacités fantastiques de Mike pour ...les paris hippiques ou les probabilités qu’une équipe de basket réussisse sa saison. Mais il pratique aussi l’autodérision, se moquant de ces gens qui font tout pour se faire publier et voir leur nom imprimé !

Quand aux diverses idéologies que l’on peut prêter à l’auteur, il faut tenir compte du besoin d’alimenter ses fictions et donc, de disposer de « combustibles ». Mais une idée force, presque un leitmotiv, traverse toute son œuvre : c’est celle de la responsabilité individuelle, de l’usage des acquis et des compétences dans la vie quotidienne. On peut dire qu’il essaie de transmettre une morale, sans doute désuète, faite d’un sens de l’honneur et du devoir, du respect de l’humanité, avec ses forces, mais surtout ses faiblesses.

Si un Prix Hugo a été décerné à un livre de qualité, c’est bien celui attribué au présent roman, en 1967 !

Serge Perraud

Révolte sur la Lune, Robert Heinlein, Terre de Brume collection Poussière d’Étoiles, mai 2005, 442 pages, 22 €





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