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Sommaire - Interviews -  Doug Headline


"Doug Headline" de Par Christophe Corthouts


Doug Headline. Un nom qui sonne anglo-saxon à mort, mais qui cache en fait un personnage des plus français. Peut-être, si vous êtes lecteur assidu des romans de Valerio Evangelisti, de Clive Barker et de quelques autres avez-vous déjà aperçu son nom sur les couvertures des romans “fantastiques” paru chez Payot Rivage. Il y est directeur de collection... Mais Doug Headline n’est pas que ça... Ancien de Starfix, enragé de cinéma, réalisateur de nombreux portraits et de reportages pour Canal +, Doug Headline est un touche-à-tout qui attendait son heure. L’heure de se lancer sur les traces de Christophe Gans (son “chef” chez Starfix) et de se jeter dans l’arène de la mise en scène. Avec Brocéliande, il opte (évidemment ?) pour le fantastique et nous raconte l’histoire d’une étudiante en archéologie (Elsa Kikoïne) qui sur les lieux d’une fouille va démêler de bien sombres mystères. Le film, nous y reviendrons, pour sa sortie, en novembre prochain. En attendant, nous avons passé Doug Headline au grill de nos questions... où l’homme allie modestie, réalisme et envie de nous divertir. Si le film est à l’avenant, nous sommes sans doute en train d’assister à la naissance d’une carrière à l’égal de celle de Christophe Gans.


Pourriez-vous nous conter en quelques mots la genèse de Brocéliande ?



Le film est né du désir du producteur Eric Névé (déjà responsable du Petit Poucet), avec qui nous discutions de plusieurs projets, de voir naître un film d’épouvante interprété par de jeunes acteurs et destiné à faire frissonner un large public. Avec mon co-scénariste Benoît Lestang, par ailleurs fameux maquilleur d’effets spéciaux, nous avons détourné ce souhait pour lui proposer un film plus complexe, plus riche et moins stéréotypé, qui au bout du compte est davantage un film fantastique qu’un film d’épouvante. “ Brocéliande ” s’articule en deux mouvements, le premier nous installe dans le thriller fantastique, le second bascule dans l’action et l’épouvante, et la coda est un suspense contre la montre qui culmine en une scène de combat hors normes.


Et la genèse de Doug Headline, scénariste-réalisteur ?


Elle puise ses origines dans une cinéphilie remontant à ma plus tendre enfance, dans l’expérience mémorable du magazine Starfix et dans l’envie de raconter des histoires, qui m’a amené à pratiquer avec des bonheurs (ou malheurs...) divers toute une série de métiers tournant autour de la fiction et de l’image.


En tant que directeur littéraire chez Payot Rivages, vous êtes en contact avec de nombreux auteurs de genre. Avez-vous eu envie d’adapter l’un ou l’autre ?


Il y a des dizaines de textes magnifiques à adapter dans le champ de la science-fiction ou du fantastique, et en particulier dans le domaine francophone. Chez les Américains, Simak, Sheckley ou Silverberg, pour n’en citer que trois, ont tous donné des romans ou nouvelles qui feraient des films formidables, à présent que la technique permet de tout porter à l’écran (Spielberg, qui est probablement le cinéaste le plus influent du monde occidental, vient bien adapter Clarke et Dick, c’est tout de même notable). Parmi les auteurs que j’ai eu la chance de publier, j’ai évidemment un faible pour le grand Valerio Evangelisti...


La France et son cinéma vivent-ils vraiment une “ découverte ” du film de genre, où certains succès ne sont-ils que des feux de paille qui cache une réalité toujours aussi dure pour les créateurs de films “ différents ” ?


Nous avons eu la chance d’assister depuis peu à une évolution assez inattendue dans la mentalité des producteurs et diffuseurs français, motivée par le succès commercial de plusieurs films à l’économie diverse mais tous perçus comme films “ de genre ” : Promenons-nous dans les Bois, Belphégor, Le Pacte des Loups. Après avoir résisté bec et ongles à toute idée de films autres que comiques, historiques réalistes, ou ancrés dans un quotidien contemporain, nombre de producteurs se sont dit : voilà le nouveau style de films que les spectateurs ont envie de voir maintenant, il faut en fabriquer davantage. Mais ces films n’ont guère à voir les uns avec les autres, et aucune formule n’explique leur succès. Alors, trop souvent, la terminologie “ film de genre ” a servi à noyer dans un flou malencontreux tout ce qui n’est ni comédie ni drame. Aussi les projets développés sous cette appellation ces deux dernières années ont-ils rarement été d’authentiques films de genre, et ont parfois été produits par opportunisme ou sous-financés. Les échecs récents et successifs de Samouraïs, Bloody Mallory, Sueurs ou Requiem par exemple, (indépendamment de la qualité de ces films), tous perçus comme “ films de genre ”, ont amoindri les chances de voir les producteurs français lancer de nouveaux films à l’écart de la comédie ou du drame réaliste. On se trouve donc face à un moment étrange de schizophrénie de la part de la production française, où l’on tente de décoder et reproduire une hypothétique formule de succès sans bien comprendre ce qui la motive, et parfois même sans une authentique conviction de producteur. Par ailleurs, cette situation se double de problèmes complexes au niveau du financement des films en France, et plus largement en Europe. À la fin (vraisemblablement proche) de cette période, il restera sans doute un petit nombre de films et d’auteurs qui se seront révélés à l’occasion de cette période curieuse. Mais il aura été étonnant d’assister à ce revirement de la production française, jadis impensable.


Techniquement, comment avez-vous fait vos armes dans la mise en scène ?


Pas de formation autre que la vision attentive de centaines de films et l’écoute d’un grand nombre de pratiquants du cinéma. Une dizaine de documentaires de 52 ou 90 minutes pour Canal + (des portraits de cinéastes comme John Cassavetes ou d’acteurs comme Jeanne Moreau, Bernard Blier, Lino Ventura). Un court-métrage fabriqué avec des bouts de ficelle.


Sentimentalement, vers quels “ maîtres ” ou “ maîtresses ” penche votre cœur de metteur en scène ?


J’ai deux grandes nostalgies : celle de la série B américaine des années 40/50 et celle du cinéma de genre italien des années 60/70. Sans oublier, comme beaucoup de gens de ma génération, l’apport puissant des séries TV de la fin des années 60. Tous les films de genre me plaisent : westerns, policiers, science-fiction, aventures exotiques... Mais je suis autant sous la coupe de Jean Ray ou de Jack Vance que sous celle des cinéastes que j’admire.


L’écriture scénaristique, c’est une forme qui vous convient tout à fait ou pouvons-nous nous attendre à lire des romans de Doug Headline dans un proche futur ?


C’est encore un autre travail, et pour l’instant j’apprécie de pouvoir raconter mes histoires en images. Et puis, il y a déjà tellement de bons auteurs...


Quelques mots sur le processus créatif de Brocéliande et comment vous l’avez vécu : pré-production, casting, tournage, post-production ?


Tout a été fait au pas de charge, dans l’urgence et à l’énergie. L’écriture du script a été longue : dix mois, avec de multiples versions. Une fois le script fini, le projet a trouvé ses partenaires de financement très vite, et tout s’est emballé. Deux mois de préparation, ce qui était peu. Une conception d’un univers graphique particulier, celui de la forêt de Brocéliande et de ce qu’elle cache, loin de tout naturalisme à la française. Le développement d’effets spéciaux adaptés, ce qui demandait que l’on relève quelques défis inédits. Un casting marqué par la volonté de départ de découvrir de nouveaux visages, et des comédiennes et comédiens capables d’accepter la partie physique des rôles : il y a beaucoup d’action, et nos acteurs devaient accepter de s’entraîner dur afin de jouer leurs scènes de combat eux-mêmes. Neuf semaines de tournage souvent complexe avec beaucoup de changements de décor, d’effets spéciaux sur le plateau. Et enfin quatre mois et demi de post-production sans souffler une seconde. Bref, que du bonheur...


L’auteur du scénario est-il heureux du travail du réalisateur ? Le réalisateur a-t-il pesté contre les idées du scénariste ? Est-ce une expérience schizo cette relation ou une sympathique complémentarité ?


La phase d’écriture est plutôt agréable et paisible. Celle de la mise en scène est stimulante et très prenante. Lors du tournage, il faut improviser constamment. On lutte pour tout réinventer en fonction des impératifs concrets, tout en essayant de ne pas perdre de vue l’histoire que l’on doit raconter. En fait, du moment qu’il s’agit de sujets à l’opposé du quotidien et du naturalisme, je me verrais tout à fait tourner des scripts écrits par d’autres que moi. Mais la tradition très française de l’auteur-réalisateur n’encourage pas toujours ce genre de pratique.


De nombreux critiques (mais ont-ils raison ?) parlent souvent de réalisateurs “ formalistes ” et d’autres plus proches de leurs acteurs... Soit la forme par rapport à la performance d’acteur. Comment vous situez-vous par rapport à cette dichotomie ?


Le travail avec les acteurs a été plaisant, j’ai tenté de les impliquer le plus possible dans le projet. Ils se sont prêtés au jeu et ont tous été épatants. Cela dit, je suis toujours guidé par des images, des cadres, des couleurs, que j’ai en tête et envie de voir sur l’écran. La musique aussi est toujours présente à mon esprit. Puis le tout doit s’intégrer dans un mouvement cohérent, un équilibre global du film où chaque chose tombe à sa place. Au final, nous avons collectivement tenté de faire un film original, sans prétention, sincère dans sa démarche, et non un produit calibré. J’espère que le public sera sensible à cette franchise.


Quelques mots sur le montage du film ?


Le montage a débuté quatre semaines avant la fin du tournage. Dès le lendemain de la fin du tournage, j’ai donc eu le plaisir de découvrir une première ébauche de continuité. J’avais proposé à Sébastien Prangère, le brillant monteur du Pacte des Loups, de travailler sur Brocéliande. Sébastien a été un partenaire de création inventif, astucieux et toujours capable de trouver des solutions aux pires problèmes. Sa contribution est un réel atout pour le film. Nous avons essayé de donner au film un rythme jamais prévisible tout en créant un maximum de tension et de mouvement.


Pouvez-vous nous parler de votre relation avec la production ? Des histoires horribles circulent toujours sur des films “ kidnappés ” par des producteurs, vendus à la sauvette sans marketing... Qu’en est-il pour Brocéliande ? (avec l’espoir que tout va bien !)


Producteurs, techniciens, acteurs et réalisateurs sont tous des créatures d’espèces différentes, vouées à coexister pour fabriquer un film. Le plus important est de parvenir à travailler avec des gens qui possèdent de réelles qualités humaines. Ensuite, même si la bagarre est de rigueur, tout doit pouvoir se résoudre par la discussion. Jusqu’ici, tout va bien. Mais nous sommes aujourd’hui à deux mois de la sortie et comme il est dit chez Jack Vance (et dans Brocéliande), “ celui qui s’attend au pire n’est jamais déçu ”. Donc, nous verrons bien...


Peut-être est-ce prématuré, mais quelques mots sur l’avenir ?


Une bonne part de cet avenir dépendra du succès ou de l’échec de Brocéliande. En ce moment, Valerio Evangelisti et moi, nous écrivons une adaptation des aventures de son grand inquisiteur Nicolas Eymerich, qui sera une sorte de Nom de la Rose davantage axé sur le fantastique. Cela pourrait devenir mon prochain film, s’il doit y en avoir un. Et j’aimerais par-dessus tout réaliser un jour un western. Mais il faudra attendre que Brocéliande soit en salles pour donner le mot de la fin.





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