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Sommaire - Interviews -  Johan Héliot


"Johan Héliot" de Par Bruno Peeters


La jeune SF francophone est en ébullition, c’est presqu’un cliché. Il y a aujourd’hui un renouveau formidable qui se traduit par une extraordinaire inventivité, renouant manifestement avec l’anticipation scientifique du début du XXe siècle. La SF retrouve ses racines.


Parmi les nombreux auteurs brillants de cette nouvelle génération, Johan Heliot se détache singulièrement. D’abord par sa jeunesse (il est né en 1970), puis par la force remarquable de ses deux premiers romans, parus aux Éditions Mnémos, La Lune seule le sait (2000) et Reconquérants (2001), romans s’inscrivant dans des courants littéraires très populaires actuellement, à savoir le steampunk et l’uchronie.


Heliot a découvert le monde de la SF au travers d’une convention au début des années quatre-vingt-dix, et rencontra Francis Valéry, Raymond Milési, Pierre Stolze et Roland C. Wagner : un talent était né. Galvanisé par Jean-Claude Dunyach, il donna une nouvelle, “Frère de larmes”, pour l’anthologie Escales 2000. Ayant découvert la SF, comme beaucoup, par la mythique “Grande anthologie de la SF” du Livre de poche, admirateur de Vance (Tschaï), Johan Heliot se lança dans le fanzinat (Maëlstrom, 5 numéros), et était donc mûr pour entrer dans la grande famille SF. Avec David Calvo, Fabrice Colin, Mathieu Gaborit ou Laurent Genefort, il représente le fer de lance de cette nouvelle SF en pleine gloire.


Le succès incontestable de ses deux romans, ainsi que leur originalité thématique certaine, nous a incités à vous le présenter. Ses réflexions, tant philosophiques que ludiques – politiques aussi – innervent ses œuvres, toutes deux en plus très passionnantes, reliant très allégrement la tradition avec l’actualité la plus brûlante, revisitée par l’Histoire.


À 30 ans, vous avez déjà écrit beaucoup de nouvelles et deux romans. Dites-moi, qu’est-ce qui peut inciter un jeune auteur à publier de la SF plutôt que de la littérature générale ?



D’abord, je ne tiens pas particulièrement à être auteur de SF à l’exclusion de tout autre chose. Ensuite, il me semble que si l’on a envie de raconter avant tout des histoires, sans limites aucunes, ce qu’on appelle aujourd’hui les littératures de l’imaginaire (SF mais aussi fantasy, fantastique) sont le moyen idéal. De plus, le formalisme de la littérature générale me gêne un peu aux entournures : je me moque de savoir si j’ai placé chacune de mes virgules aux endroits adéquats, pourvu que le lecteur ait eu envie de connaître ce qui se passe au chapitre suivant. Cela dit, je n’ai aucun mépris – attitude facile hélas parfois rencontrée chez les auteurs de SF – pour la littérature générale, qui, hors les battages médiatiques autour des incontournables de la rentrée, recèle un grand nombre d’auteurs talentueux et surprenants.


Vous avez découvert le milieu de la SF par le fanzinat puis au travers d’une convention. Ce milieu est souvent critiqué comme formant un ghetto assez fermé. Quelle est votre opinion ?


Elle est mitigée. Je ne suis absolument pas d’accord avec la réaction outrancière de Dantec, par exemple, dans l’interview qu’il a donnée à Nouvelle Donne récemment, et qui crache sur le fandom et les conventions. Mais je ne suis pas certain que tous les efforts soient faits pour concrétiser l’ouverture prônée par certains. Seulement, je me pose aussi une question : pourquoi une ouverture serait-elle indispensable, et qu’y a-t-il de déshonorant à appartenir à un ghetto ? O.K., les plus belles réussites – pour le moins au plan commercial – de la SF française ces dernières années proviennent d’auteurs qui ne fréquentent pas ce ghetto – Bordage, Werber, ... So what ? D’ailleurs, qui critique au juste cette attitude de repli ? Je n’en sais rien...


Quel a été l’impact, dans votre carrière, de l’insertion de “Frères de larmes” dans l’anthologie Escales 2000 de Jean-Claude Dunyach ?


Si j’étais cynique, je dirais qu’il a été d’environ 1 500 francs... Non, je vois ce que vous voulez dire ; en fait, ce n’est pas seulement cette publication – certes la première dans un support pro à grande diffusion – qui a véritablement lancé la machine, mais un ensemble, particulièrement dans la revue Galaxies et diverses anthologies chez Orion et au Fleuve. Les personnes qui m’ont accordé leur confiance les premiers ont été en effet Jean-Claude et Stéphane Nicot (rédac chef de Galaxies) mais aussi Gilles Dumay (pour Invasions 99 chez Orion, où a paru mon premier texte pro, c’est-à-dire payé !) et André-François Ruaud, pour divers projets. Tout ça est arrivé dans le même moment, et je ne remercierai jamais assez ces quatre promoteurs actifs de la SF/F en France, tous différents mais finalement complémentaires dans leurs travaux. Pour revenir à Escales 2000, cette antho n’a d’ailleurs pas eu l’accueil critique formidable de la première, celle de Lehman, ni de la suivante, celle de Sylvie Denis. On ne peut donc pas dire qu’elle a, à elle seule, contribué à m’ouvrir certaines portes.


La Lune seule le sait prouve – entre autres – une fascination pour la Commune de Paris. Pourtant les Communards ont eu, eux aussi, les “mains sanglantes”, vous le reconnaissez vous-même. L’idéal auquel ils aspiraient pourrait-il se réaliser pacifiquement ?


Fascination, c’est un bien grand mot. Quant aux “mains sanglantes” des Communards... Il suffit de mettre en perspective les trois ou quatre cents victimes des Communards et les milliers des Versaillais, après coup, en pures représailles, et plus dans le feu de l’action, sans compter les déportés au bagne, les exilés, ... Et puis, resituons-nous dans le contexte du XIX° siècle, de la guerre contre la Prusse, des exaltations nées des diverses révolutions qui ont émaillé cette période, et ne jugeons pas avec notre morale actuelle. Les idéaux de la Commune étaient et demeurent fantastiquement progressistes et généreux, particulièrement au niveau de l’éducation, de l’émancipation des femmes, ... et aujourd’hui encore, nous sommes loin d’avoir concrétisé ce que les théoriciens de la Commune avaient rêvé. Enfin, quant à réaliser pacifiquement cet idéal... Je ne crois pas que l’histoire nous ait jusqu’à présent démontré que c’était possible, mais je ne perds pas espoir, indécrottable optimiste et naïf que je suis !


Vos deux romans sont ouvertement politiques. La réflexion politique est-elle inhérente à votre conception de la SF ?


Oui, nettement. Mais attention : je tiens à privilégier toujours l’histoire, au sens de la narration, car je n’oublie pas qu’être auteur – je ne dis pas écrivain – c’est avant tout raconter, point. Si en plus on peut se poser quelques questions sur le fonctionnement de nos sociétés – qu’est-ce que la politique, sinon ça ? -, et bien tant mieux.


Vous avez annoncé une suite à La Lune seule le sait. Y a-t-il d’autres projets encore ?


Une suite indirecte (surtout pas Le Retour de la vengeance de la Lune) est à l’étude, dont l’action se situerait dans les années 1930. C’est encore à décider avec Mnémos. Dans l’immédiat (encore que ce dernier terme ne soit pas le plus adéquat dans le milieu de l’édition, où la mesure de base du temps semble être l’année civile, voire le lustre !), je travaille, sous la direction de Jean-Claude Dunyach, sur un roman de SF “classique” pour “Imaginaires Sans Frontières”, la toute nouvelle maison d’édition lancée par Stéphane Nicot. Un recueil de nouvelles est aussi prévu, chez le même éditeur. Enfin, je bosse sur le synopsis d’un roman de fantasy urbaine, pour Mnémos toujours. Plus quelques bricoles...


Vous publiez votre adresse mail à la fin de la postface de La Lune seule le sait. Quels ont été les contacts ? Remarques élogieuses, méchantes critiques ?


Pas mal de contacts, assez rapides, pas non plus une avalanche. Globalement très positifs, je dois l’avouer, et aucune “méchante critique” (mais il n’est pas trop tard !). Certains lecteurs ont pointé les mêmes faiblesses et erreurs du roman, ce qui était le but de cette demande de réaction. Certains érudits m’ont également appris pas mal de choses sur la Commune et les personnages que je mets en scène, ce qui est très enrichissant. D’ailleurs, je profite de votre interview pour donner à nouveau mon adresse mail : johan. heliot@wanadoo. fr, de manière à ce que d’autres lecteurs puissent réagir s’ils le souhaitent, au sujet de Reconquérants ou d’autres textes.


Johan Heliot, merci


Merci à vous !





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