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  Sommaire - Films -  G - L -  Le Fil de la Vie
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"Le Fil de la Vie" de Anders Ronnow-Klarlund

 

L’Empereur d’Hébalon décide un jour de mettre fin à ses jours. Il meurt en emportant avec lui le poids d’un secret trop lourd à porter. Effrayés par cette mort, les habitants de la ville, craignant que leurs ennemis millénaires, les Zérith, ne prennent l’initiative d’envahir leur royaume, décident de se terrer derrière les lourdes portes protectrices de la ville. Quand au fils d’Hébalon, Hal Tara, il n’a plus qu’un souhait, celui de venger son père. Il est convaincu de l’implication des Zériths dans son décès brutal. Haineux et vengeur, il va entreprendre un voyage qui le mènera aux confins de l’empire, vers le pays Zérith, où, croit-il, il trouvera les assassins de son père. Il ne sait pas qu’en entreprenant ce voyage il ira au devant de révélations qui bouleverseront ses conceptions et certitudes, mais aussi cette vérité qui se cache sous les ruines du passé......

Quatre ans, il aura fallut quatre longues années de patience, de passion, de dextérité et de savoir faire, pour qu’un jour puisse exister cette merveille de l’animation ramenée à sa plus simple expression, à savoir tirer des fils et donner vie à des personnages de bois. D’aucun auraient prédit à ce film une fin dans l’anonymat le plus complet ou un petit succès d’estime vite oublié. Force est de reconnaître qu’il n’en est rien. Sevrée d’effets optiques, de scénarios rigolards et dingo, l’animation manquait d’un juste retour aux sources, en ces lieux où l’artiste ne se voit pas seulement derrière une caméra automatisée ou un ordinateur, mais tirant des fils, manipulant des marionnettes faites de chiffons, de bois, de peluche, bref de tout ces matériaux primitifs mais nobles qui manquent tant de nos jours. Alors qu’on attend toujours que Brian Henson, fils du grand Jim Henson, revienne nous faire rêver comme le fit jadis son illustre père avec "Dark Crystal" ou "Labyrinthe", voilà que débarque cette comète dont la queue enflammée a émerveillé beaucoup de gens qui ne s’y attendaient pas vraiment et qui ont osé aller y jeter un oeil faussement attendri. Alors, il est à se demander pourquoi cette merveille, qui parvient si bien à tenir la ligne durant 1 heure 30, n’a pas bénéficié d’une plus large distribution dans nos salles, quand d’immondes bouses bénéficient d’une large diffusion sur grand écran quand est accolé sur leurs affiches comme une marque de savon le nom d’un grand acteur ?

Le mystère reste entier à l’heure où les films poétiques mêlant magie de l’animation, interrogations philosophiques et humanistes, tendresse faussement naïve et sens de l’épique, se font très rares.

Le Fil de la Vie recèle dans son titre toute l’énigme de cet univers que les auteurs nous présentent comme une fable mais également un jeu entre le spectateur qui regarde et les artistes qui tirent les ficelles de ces pantins de bois admirablement bien sculptés. D’ailleurs la scène d’ouverture est en cela révélatrice dans le fait qu’elle ne cache pas aux spectateurs la vérité. On nous montre ce qui se cache derrière la scène, des femmes et des hommes, éventrant de suite le classique subterfuge qu’on assène aux enfants d’habitude sur le fait de savoir si ces marionnettes sont en vie ou non. C’est une attitude fort louable et une autre manière de s’adresser aux enfants tout comme une indication aux adultes que ce conte n’est pas ce qu’il prétend être, qu’il implique une réflexion. De la fable à la métaphore humaniste, Le Fil de la Vie nous dépeint un monde continuellement battu par des Pluies torrentielles, et où il n’existe pas de toit. Cela donne une caution phénoménale pour mieux faire accepter ces fils qui semblent relier chaque être vivant de ce monde à un ciel dont l’opacité n’est qu’un écran symbolique pour ne plus signifier qu’un lien. Pas de vrai au-delà mais des fils qui dès la naissance viennent, descendent à terre pour s’offrir à la mère qui sera chargé de les brancher au corps de bois. Pas de genèse mais un au-delà occulté, tout fait sens sur ce monde relié non pas à un ciel des idées mais à un ciel qui est en quelque sorte la sève qui irrigue chaque être vivant. On reste fasciné devant ce spectacle qui pourrait remonter à certaines légendes pré-babyloniennes où les hommes vivaient encore dans une certaine innocence d’avant la chute, cette impression latente et primaire voulant nous signifier "qu’on est pas bien là où on est et qu’on a raté quelque chose dont bien sûr on ne parvient pas à se souvenir", la bonne vieille blessure castratrice. Non, Le Fil de La Vie n’est pas une ânerie pour "Bibleus en faillite" pensant encore les rapports humains sur le mode d’un avant et d’un après. La société si habilement mise en scène par les maîtres d’oeuvre de cet "opéra de bois" est une société sans vrai Dieu révélé, une société unifiée sous la même règle du Fil de la Vie, instance silencieuse et poétique. Ce monde est déjà ancien et a connu des guerres, des génocides, et la quête qu’entreprend Hal Tara est liée intimement à ce passé. On nous joue encore le sempiternel drame humain, celui de la mort, du subterfuge, des complots, de la guerre, et, caché sous la ramures de la discorde, l’issue belle et sincère. Il y a l’idée d’un sauveurs dans cette histoire qui ramène curieusement au meilleurs de la Bible, et on a l’impression qu’on nous joue encore la même symphonie. Au bout, nous avons une merveilleuse histoire qui ravira les enfants comme les adultes. Sur un mode fédérateur, ce film nous parle d’amour, de rédemption, de rachat, de dons, d’être providentiel, d’union entre les contraires, tout ces agrégats semblant constituer les conditions nécessaires et suffisantes pour instaurer ce qu’on pourrait nommer un vouloir vivre ensemble. Ce film magnifique est un préposé contre la différence et la haine raciale, où quand les "autres" se reconnaissent "même" et effacent ainsi la trace du meurtre, de l’absence et de la dette inconsciente. Les caméras semblent caresser ces pantins de bois avec une telle délicatesse et un tel respect qu’il nous semble un instant les croire animées d’une vie secrète et entière, si bien qu’on en vient à penser un instant que ce sont peut-être les spectateurs qui sont les véritables pantins de l’histoire, attendant toujours un réveil, entre deux mondes, jamais tout à fait en contact avec notre monde. C’est là encore un autre prodige de ce film, une magie ancienne qui nous rappelle encore combien l’animation est essentielle quand il s’agit de faire réfléchir tout en ne manquant pas de faire rêver.

Un film qui aurait mérité un grand prix à un festival comme celui de Gerardmer, mais on lui a préféré la norme "psychopathologique" de notre chère époque où il faut être à la mode et conforme à l’esprit du temps. Allez donc voir ce film si vous le pouvez, c’est un préposé non pas à la liberté mais à un peu d’oxygène dans un monde chloroformé où on vous fait bouffer de la merde pour vous faire dire que c’est bien et bon donc vrai, à moins que ce ne soit l’inverse, comme le veut l’idiosyncrasie dominante...........



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