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"Cherudek"
Valerio Evangelisti

Editeur :
Presse Pocket
 

"Cherudek"
Valerio Evangelisti



Rivages Fantasy.
Ré-édition revue et corrigée par Presse Pocket en février 2005 / 591 pages

1358, le redoutable inquisiteur Nicolas Eymerich par pour l’Occitanie. Il doit y combattre une hérésie franciscaine qui professe la pauvreté absolue de l’Église. Mais le Mal est encore plus profondément enraciné dans cette région et une armée de soldats morts vivants sèment la terreur sous la bannière de Gog et Magog, les annonciateurs de l’Apocalypse. Pour les hérétiques, Eymerich est la première Grenouille, le serviteur de Satan le plus zélé. Pour l’inquisiteur, bien sûr, les ennemis de l’Église doivent être exterminés sans pitié. Et, pendant ce temps, si l’on peut dire, trois prêtres errent dans une ville brumeuse du Frioul, située dans un lieu qui n’appartient ni à notre temps ni à notre espace. Et où, Saint Mauvais, à savoir Nicolas Eymerich, garde le Cherudek. Autrement dit le Purgatoire...

Le cinquième épisode de la saga Eymerich nous plonge à nouveau au cœur des intrigues et des complots ourdis à l’encontre de l’Église Catholique, par des hérétiques dont le propos est parfois plus censé que celui de Rome. Bien sûr, dans les deux camps, les moyens utilisés sont souvent détestables. La terreur et la pseudoscience, alliés à l’alchimie, s’opposent aux feux des bûchers allumés par la Sainte Inquisition. Cette édition revue et corrigée, parue en Poche, nous permet de plonger profondément dans la pensée de son anti-héros, un personnage peu recommandable. Fanatique, bigot, misogyne et horrifié par le contact avec un autre être humain, Eymerich rappelle aux cinéphiles l’Inquisiteur impuissant et sadique du classique La Marque de Diable.
Pourtant, la lecture achevée, on peut se montrer un peu déçu de ce cinquième roman. Un tout petit peu seulement, à vrai dire, mais Evangelisti semble, parfois, se répéter. La scène où l’Inquisiteur interroge un suspect et lui promet de le relâcher ensuite est redondante par rapport aux précédents volets, avec cette conclusion attendue : Eymerich libère en effet l’hérétique...pour le remettre au bras séculier décidé à l’étriper. Un passage convenu, à moins qu’il ne s’agisse de l’équivalent inquisitorial de la séquence de casino des James Bond, à savoir une convention destinée à se retrouver, avec de légères variantes, d’un roman à un autre.
Quoiqu’il en soit, le principal défaut apparaissant à la lecture de "Cherudek" réside dans sa longueur excessive. Alors que les précédentes aventures du père Nicola "tenaient" sur moins de trois cents pages, ce nouvel épisode s’étend sur le double. La raison en est simple. Evangelisti mêle à nouveau le passé et le "présent", alternant les chapitres et la narration, du XIVeme siècle obscurantiste à notre époque moderne. Ou, ici, à une époque et un lieu situé "ailleurs". Or, il est permis de préférer la rigueur de l’enquête d’Eymerich, riche en rebondissements et en coups de théâtre efficaces, à ce qui ressemble, trop souvent, à un délire crypto-mystique parfois passionnant et parfois pénible. Le lecteur peu familier de symbolisme religieux catholiques et païens peut légitimement décrocher de ces investigations ésotériques dans lesquelles des curés errent sans fin dans une ville fantôme. Les nombreuses digressions sur le sens caché d’inscriptions latines, la manière de localiser la porte du Purgatoire à partir des lettres de Pater Noster et autres considérations sur les incarnations multiples de la déesse Hécate paraissent, dans le meilleur des cas, obscures. Dans le pire, le lecteur se sent un peu dans la position d’un ignorant forcé d’écouter les divagations d’un professeur d’université très instruit ayant abusé de la fumette ou de la dive bouteille. La conclusion apportée est, de plus, assez décevante et, à ce sujet, mieux vaut ne pas avoir lu la quatrième de couverture car cette dernière lève un peu trop nonchalamment le voile sur la conclusion de cette partie du roman.
Et c’est dommage car la partie historique est menée de main de maître et Evangelisti apparaît plus à l’aise que jamais. Sa maîtrise de la narration, son sens du rebondissement et du suspense sont, cette fois, au top niveau. Même si certains passages paraissent peu crédibles, le lecteur se laisse entraîner dans les méandres de cette incroyable machination avec un rare bonheur, retrouvant l’aspect échevelé des serials d’antan. Plus que jamais nous marchons sur les terres de Sherlock Holmes, dans un univers historique impeccablement décrit et travaillé qui ne néglige pas quelques emprunts aux fantastiques même si, au final, la plupart des éléments surnaturels s’expliquent de manière rationnelle. Les fans du détective précités ou les spectateurs ayant aimé Le Nom de la Rose ou Witchfinder General aimeront certainement les aventures de ce personnage atypique, à la fois horrible et attachant, animé par une foi et une conviction à toutes épreuves qui le pousse, souvent, à des actes horribles.
En fait, nous pourrions conseiller au lecteur de passer tous les chapitres précédés des mots "Temps Zéro" pour se concentrer uniquement sur l’enquête policière. Quitte à y revenir ensuite à condition de vouloir explorer plus en profondeur l’univers mis en place par le romancier. Cherudek est donc une œuvre dense, touffue et qui a certainement nécessité d’importantes recherches. Mais il est permis de lui préférer la partie plus accessible, réellement formidable, à la partie plus occulte, réservée aux inconditionnels des énigmes théologiques.

Fred Pizzoferrato





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