Voici une lettre de lecteur envoyée au magazine Le Point et qui concerne les réacteurs nucléaires haute température.
Madame, Monsieur,
Cette semaine, sur le plan scientifique, Le POINT n°1693 semble avoir produit un effort particulier à se distinguer par ses approximations et raccourcis stupéfiants intéressant, comme par hasard, une énergie nucléaire déjà bien accablée dans la conscience collective.
L¹hebdomadaire développe sur deux pages l¹essor prodigieux auquel la Chine destine cette énergie, dans les prochaines décennies, et illustre son propos par un encart intitulé « 4 ème générationŠ ». Il y est question du réacteur expérimental « haute température à Gaz » de 10 MW, HTRG-10, que les Chinois seraient sur le point de commercialiser. Parlant de ce prototype de 4ème génération, l¹auteur dit ceci : « le réacteur est refroidi à l¹hélium porté à plus de 1000°C, hélium qui pourra être remplacé par du thoriumŠ »
Diffuser ce genre de fantaisie c¹est témoigner bien peu de considération au lecteur. Qu¹il en juge : tandis que l¹hélium n¹est qu¹un fluide caloporteur destiné à mettre en mouvement une turbine à gaz, le thorium est, comme l¹uranium naturel, la matière première très abondante et non encore exploitée d¹un combustible nucléaire. Il est envisagé de l¹utiliser directement mêlé à un sel fondu de fluorure de lithium - un autre fluide caloporteur - mis en mouvement à travers un bloc modérateur en graphite et un échangeur de température sel/sel. Mais, pareille installation fait l¹objet d¹un autre concept de réacteur de 4 ème génération - utilisant d¹ailleurs un classique circuit eau-vapeur - totalement distinct du concept « haute température ». Aussi, parler d¹interchangeabilité entre hélium et thorium, sous prétexte d¹évoquer le cadre de génération IV est-il aussi grotesque que d¹affirmer qu¹un Solex peut fonctionner au Gas-oil.
L¹autre thème, largement développé dans ce n°1693 et dont l¹approche est sujette à critique, n¹est pas sans rapport avec le précédent : il s¹agit du dessalement de l¹eau de mer par osmose inverse. Le chroniqueur découvre manifestement un procédé qu¹il tient comme le remède définitif et bon marché aux grandes pénuries mondiales qui se profilent. Emporté par son exaltation, il oublie de considérer que le procédé est très « énergivore », en électricité exclusivement, même s¹il l¹est moins que la distillation. Il feint d¹ignorer que cette électricité ne coûte pas cher aux pays du Golfe et n¹est encore abordable pour les pays développés qu¹au cours actuel d¹un pétrole produisant aujourd¹hui près de 80 % de l¹électricité de la Planète. Il pousse même jusqu¹à présenter l¹usine nucléaire de dessalement de Yantaï, en Chine, comme une incongruité ! Il faut lui rappeler que, bien avant l¹épuisement asymptotique de ce pétrole - unanimement prévu avant 50 ans -, les cours du brut vont singulièrement s¹envoler, de même que les besoins en eau dessalée résultant de sècheresses que les dérèglements climatiques ne vont pas manquer de provoquer.
Alors que ces besoins vont s¹avérer considérables, le prix de l¹énergie « classique » va rendre leur satisfaction de moins en moins accessible. Le seul vrai salut, en la matière, l¹humanité le trouvera précisément dans ce réacteur nucléaire « haute température » dont on découvrira rapidement qu¹il est paré de bien des vertus. Non seulement il produira une électricité bon marché, mais il sera apte à « cogénérer » de l¹eau douce par « distillation flash », grâce à une eau de refroidissement proche de 100°C ; et il sera bien plus prodigue encore, car apte à produire industriellement et à un coût raisonnable un hydrogène qui, d¹une manière ou d¹une autre, va s¹avérer au moins aussi vital que l¹eau dessalée.
Je vous demande, Madame, Monsieur, de faire savoir tout ceci à vos lecteurs et à vos journalistes.
Bien cordialement
André PELLEN, ingénieur d¹EDF en retraite.
Recueilli par Alain Pelosato sur le groupe de discussion nucleaire@yahoogroupes.fr