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La littérature brode sur les mythes Arthuriens depuis si longtemps qu’on pensait que la source vive servant de base à pareilles histoires était depuis longtemps tarie. Mais c’était sans compter sur les cycles de Bernard Cornwell (la meilleure saga Arthurienne du moment pour son réalisme sauvage qui évoque les récits de Howard) , Bradley (Les Dames du lac) Lawhead (Pendragon) , McKenzie (Le Prince du Graal chez Pygmalion) et le premier tome de la trilogie de Bradshaw (Faucon de Mai) . Voici arrivé un nouveau cycle passionnant, une saga qui s’est délicatement distinguée de ses prédécesseurs par une subtile ellipse temporelle, la thématique n’étant plus celle d’une "centralité" que constituerait les sempiternelles quêtes Arthuriennes ré-interprétées, alimentées par le fond de la Fantasy moderne, mais plutôt une thématique préoccupée de la descendance d’Arthur, et mieux, sa possible réincarnation.
L’action se situe au 15 eme siècle, une époque très justement décrite par l’auteur avec ce subtile ton entre magie et poésie. Au sein d’îles britanniques, qui auraient pu être celles qu’on connaît, dort un secret. Le mage Gwydion, qui pourrait être un descendant de Merlin, décide de prendre sous sa tutelle le jeune Will afin d’en faire son élève. Le mage est persuadé que ce jeune homme est nanti du don secret, et qu’il ne serait autre que la réincarnation directe de feu le grand roi Arthur.
Le pays est menacé de guerre, d’une guerre fratricide qui pourrait ensanglanter le monde. Pour Gwydion, Will serait le remède tant attendu aux malheurs qui menacent le monde. Contrairement à la plupart des auteurs d’un genre Arthurien qui s’est au fil des publication constitué en une sorte de banlieue à l’intérieur même de la Fantasy, ces particularismes narratifs constituant un genre en lui-même, Robert Carter édifie une histoire plus subtile, moins naïve par rapport aux gesticulations traditionnelles d’un genre obsédé par la quête. Pas à pas, le mage va édifier un rapport de maître à élève qui rappelle beaucoup celui qui reliait le jeune Ged à l’Archimage dans le cycle de Terremer de Le Guin. Tel un précepteur, Gwydion s’attachera donc à faire l’éducation d’un futur monarque, par l’art du langage des pierres, la magie invocatoire du vieux Celtisme ancien, le combat, les jeux, mais aussi et surtout de ce qui doit démarquer un Roi d’un simple guerrier, à savoir, les arts de la diplomatie (une guerre évitée pour chacun est parfois une guerre de gagnée pour tous) et ceux de la sagesse pour gouverner justement. Will demeure le dernier espoir, et Gwydion se rattache au fragile espoir de redonner leurs pouvoirs aux mythiques Pierres Magiques qui ont perdu toutes leurs vertus, laissant libre l’accès au royaume par les troupes barbares errantes. Derrière cet apprentissage, l’auteur esquisse la lutte entre le bien et le mal, non pas de façon trop manichéenne comme le voudrait la tradition, mais relevant plus de "choix". Ainsi, si Gwydion choisit le parti de l’ordre et de l’équilibre, Masgull, qui est plus vieux que le monde, choisit celui du mal, rongé qu’il est par ses remugles. L’un choisit d’oeuvrer pour le bien, l’autre le chaos et le désordre, mais tout les deux tentent d’asseoir ce qu’ils convient de nommer le pouvoir.
Fort et prenant, ce récit emmènera les lecteurs au coeur des conflits intérieurs entre bien et mal, bon et mauvais, derrière une histoire reposant entièrement sur les épaules d’un garçon dont le devenir régit le futur d’un monde. Les combats magiques et les affrontements contre les déités Celtiques sont superbement décrits, de plus, les relations entre Will et son maître parviennent à être aussi fortes que celles unissant Frodon à Gandalf dans Le Seigneur des Anneaux. Ce particularisme romanesque est tout à l’honneur de son auteur et devrait hisser ce dernier au niveau des meilleurs stylistes du genre. Premier volet d’une trilogie, cette oeuvre intelligente est une fois de plus une preuve de l’ingéniosité d’un éditeur qui sait renouveler le genre par l’injection de nouveaux univers narratifs décalés. Merci donc au "Pré aux Clercs" et à Cécile Cuillerier de nous servir une fois de plus ce mets magique et original provenant directement des fourneaux toujours féconds des éternels banquets d’Odin. Une oeuvre remarquable servie par une excellente traduction, et une histoire qui se lit à la fois comme un récit intimiste sur les accords secrets qui relient chaque élément de l’univers, et un traité sur le meilleur Etat, faisant quelque peu écho à la thèse soulevée par Machiavel dans son livre, "Le Prince", qui est un peu celle du monarque providentiel. Un auteur qui reste à suivre.....
Le Langage des Pierres, Robert Carter, Le Près Aux Clercs, 500 pages, 19, 90 €.