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Scénario : Scott Copper, d’après « Deliver me from nowhere » de Warren Zanes
Avec : Jeremy Allen White, Jeremy Strong, Paul Walter Hauser, Odessa Young, Stephen Graham
Distribué par The Walt Disney Company France
114 mn - Sortie le 22 Octobre 2025 - Note : 6/10
La dernière fois que Scott Cooper avat été chroniqué, c’était pour son film d’horreur, « Affamés », qui de prime abord avait laissé une sensation mitigée, sensation depuis revue à la baisse, « Affamés » se révélant plus riche qu’il ne le laissait supposer. Autrement, Scott Cooper, c’est un chef-d’œuvre, « Hostiles » avec Christian Bale, western d’une intelligence rare, sur la naissance des USA via les haines mutuelles blancs et indiens, qui finissent par générer une prise de conscience parmi les plus fortes vues dans un film. Cooper, c’est l’Oscar pour Jeff Bridges, amplement mérité, en vieux chanteur de country désabusé et fatigué, jusqu’à ce qu’une interview demandée par une jeune journaliste, le ramène à la vie. C’est aussi un thriller social dans l’Amérique industrielle sidérurgique qui meurt à petit feu via le superbe « Brasiers de la colère ». Au travers de ces films cités, on peut dresser un profil de Cooper. Et avec « Springsteen : deliver me from nowhere », une nouvelle pierre s’ajoute à cette construction, au détriment parfois du portrait d’un des plus grands chanteurs US.
Alors que sa carrière de chanteur vient de boucler une tournée triomphale, Bruce Springsteen décide de s’extérioriser de ce succès, pour écrire un nouvel album. Mais en même temps, les souvenirs de son enfance ressurgissent, le submergent, et il va s’isoler pour lutter contre ses tourments, pour se reconstruire, et pour retrouver le goût simple de cette musique qu’il idolâtre tellement, loin du succès qui pour lui le submerge, au point d’envahir trop l’homme qu’il souhaiterait d’abord et avant tout rester.
L’album, ce sera « Nebraska », un album unique dans sa conception, sans artifice, brut, 100% créé par Springsteen. On aime ou on n’aime pas, mais l’œuvre est là, un défi de création. Plutôt que de faire un biopic lambda – débuts, carrière, vie actuelle ou fin », il sera ici question de ce moment précis dans la vie du Boss, celui où il s’est replié sur lui-même, s’isolant de tout et de tous, créant une panique chez ses proches, lui luttant contre ses fantômes : un père violent car incapable de construire une vie, les doutes sur ce qu’il devient et son futur, la peur de ne pas savoir ce qu’il souhaite, où il va, et jusqu’à quand… Et là, même si tout cela, à la base, un livre, Scott Cooper s’en empare car cela rejoint ses thèmes de prédilection : le destin d’un individu gangréné par son passé, l’influence d’une forte figure familiale, et cette terreur de ne pas savoir avancer seul, en faisant abstraction de ce qui l’entoure pour mieux se fixer sur son destin. Et dans le cas de « Springsteen : deliver me from nowhere », tout l’enfance du chanteur, ses terreurs liées à son père, donnent de longues séquences d’auto-psychanalyse qui reviennent trop souvent. Soyons réalistes : les enfances meurtries bousillant les vies d’adultes sont légion dans le monde, ici elle s’applique à une star de la chanson, et même si on comprend que « Nebraska » est unique à cause de ces traumatismes, Cooper en oublie parfois de moins appuyer, de moins grossir le trait sur ces phases pour voir apparaitre la création de l’album via le génie de son auteur. C’est le gros bémol d’un film autrement très bon, dominé par des interprétations solides – surtout celle de Jeremy Strong, plus impressionnant que Jeremy Allen White qui est au diapason du personnage écrit qu’il endosse, un tourmenté qui déprime, parfait quand il est le Bruce Springsteen qu’on connait sur scène, et autrement, plus sombre jusqu’à l’overdose quand il est en phase « déprime ». Très bon, mais peut-être donc trop noir pour emporter l’adhésion totale, le(s) moment(s) clef d’une carrière peu(ven)t donner d’autres biopics réussis comme « Un parfait inconnu », « Walk the line », même « Elvis », encore faut-il être équilibré dans le sujet. Par contre, côté ultra positif, on est à des milliards de kilomètres au-dessus de produits sans saveur comme « Monsieur Aznavour ». Juste que pour « Springsteen : deliver me from nowhere », le ténébreux introspectif domine trop pour emporter l’adhésion totale au produit proposé. Mais en faisant un choix de ce qui a de meilleur à retenir, il en ressort un film qui parfois sait être envoutant…
Stéphane THIELLEMENT
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