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  Sommaire - Livres -  G - L -  Les Monarchies Divines 1 : Le Voyage D’Hawkwood
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"Les Monarchies Divines 1 : Le Voyage D’Hawkwood"
Paule Kearney

Editeur :
Editions du Rocher/Jean-Paul Bertrand Editeur
 

"Les Monarchies Divines 1 : Le Voyage D’Hawkwood"
Paule Kearney



10/10

La Fantasy a cela de fécond qu’elle peut allègrement voyager dans tous les registres de l’imaginaire, et c’est ici dans cette fausse Uchronie voilée qu’elle arrive à des sommets. En effet, le cycle de kearney se situe dans une Europe alternative, celle des 15 eme et 16 eme siècles que l’auteur parvient parfaitement à déformer avec son pinceau pour y introduire archétypes et autres contextes sorciers. Dès lors, les règles normatives étant suffisamment brouillées kearney met en place un à un les jalons qui vont permettre à une histoire de s’embraser avec toute la dextérité d’un maître de l’écriture. Tout comme Bakker le fait avec des contextes ressortant de la Bible primitive, Kearney le fait avec une histoire plus récente. Mais le coup de génie de l’auteur est d’avoir su conserver une véracité historique suffisante pour introduire son contexte (les guerres) et son "paratexte" (les archétypes en relation et en m’excusant pour ce nouveau et terrible barbarisme qui heurte tant de belles oreilles érudites) .
Nous sommes en un monde où les antagonismes entre empires se sont exacerbés. Des guerres sont déclarées, d’autres plus ou moins admises, mais en règle générale, le chaos couve sous chaque territoire et sous les formes les plus horribles du religieux. La cité Ramusienne, Aekir, vient de tomber sous les coups des armées du sultan Aurungzeb. Dans le feu, les massacres, les viols et destructions inévitables c’est l’exode des populations aux quatre coins du monde des cinq royaumes connus. Les Inceptines forment dans la ville d’Hebrion un groupement de fanatiques religieux dont la profession de foi n’est ni plus ni moins l’éradication de toute magie sur terre. Le Roi Abeyleyn 4 désespère sur les moyens pour contrecarrer ce pouvoir religieux qui chaque jour progresse dans le royaume, comme le mal insigne préludant quelque futur malheur. Les castes de magiciens pensent au pire et Bardolin le Mage songe à l’exil, un départ qu’il finira par entreprendre avec une jeune lycanthrope chassée elle aussi par la folie de l’Eglise qui monte en puissance. C’est là que le jeune noble Hawkwood va faire son apparition. Arrivé en navire au port d’Abrusio, il va voir son équipage en grande partie arrêté et sa vie mise à mal par le nouvel ordre qui peu à peu se met en place. Un autre continent, territoire vierge de tout pas humain, se trouverait, dit un cousin du roi, par delà les mers connues, et au bout, la mort ou la vie, le retour ou la disparition. Engagé dans ce périple au bout d’un monde encore plat dans la conscience des hommes, Hawkwood va embarquer avec un équipage composé des sorciere et magiciens reclus, rejetés par le nouveau dogme, pour un voyage qui les mènera aux confins des frontières connues, comme si au-delà se trouvait la chute irrémédiable dans les abysses de mille enfers. Sur cette trame fascinante, Kearney brode un récit de haute volée où une narration très élaborée, très descriptive, nous dresse le portrait d’une époque réinventée, avec des considérations socio-religieuses qui, pour peu qu’elles soient "exotiques" dans leur déploiement et à des lieux de nos concepts, n’en constituent pas moins un miroir vivant des vicissitudes humaines et des déboires des états ayant tourné le dos à une laïcité organisatrice pour abdiquer face au dogmatisme d’une religion.

Petite histoire de Kearney

Une fois n’est pas coutume, il va falloir parler du mystère Kearney comme en France il y eut jadis un mystère Steven Erickson. En effet, l’édition américaine ne nous avait pas habituée à pareille attitude (quoique) , mais le fait que la saga de Kearney ait dû attendre sept ans pour voir le bout du nez au pays de la liberté est quand même assez étonnant. Ce natif d’Irlande du Nord s’est vu durant quelques temps ignoré par le gratin de l’édition américaine qui l’avait peut-être un peu facilement dénigré pour d’obscures raisons. Il semblerait même que le fait que le couple Kearney bien que devenus citoyens américains depuis n’ait en rien amélioré cette situation. C’est le Canadien Steven Erickson qui parvint un jour à susciter de l’intérêt pour l’auteur et de fait le sortir définitivement de cet anathème littéraire. Parallélisme des chemins, parcours confondus, il semblerait que Erickson ait subit la même chose mais en notre chère patrie de France. Un premier volume paru chez Buchet Chastel, meilleure vente dans le genre sur plusieurs mois, puis c’est l’interruption soudaine, sans aucune autre raison qu’un changement soudain de politique éditoriale chez l’éditeur. Et depuis, plus rien, en France on fait facilement "Tabula Rasa" pour du beurre, ce qui ne peut susciter que dégoût et ressentiment. Bref, s’il n’y avait pas eu Erickson, inutile de dire que ce pauvre Kearney aurait connu la même chute dans les gouffre sans fonds des éditeurs peu scrupuleux. Alors qu’on attend toujours que la remarquable saga des "Brûleurs de ponts" du grand Erickson reparaisse un jour en France (Ououuuu y’a un éditeur présent ? ) , les Editions du Rocher nous font l’honneur de découvrir enfin une autre grande série de Fantasy entièrement originale et novatrice. Encore un choix judicieux de la part d’Adèle Schnur des Editions du Rocher, qui, après le cycle de Mitchell Graham, provoque de nouveau la même agréable surprise, et hisse de fait sa maison d’édition au niveau de Bragelonne, Atalante, Mnémos ou Fleuve Noir. Un deuxième coup d’essai et un coup de maître pour Adèle, merci encore chère Adèle.........

Des identifications topologiques

Première grande qualité de la saga, les topos usités par la prose parfaite de l’auteur font preuve d’une étonnante familiarité avec les topos de notre histoire. En outre, ces "métaphorisations" de notre géopolitique passée réitèrent à merveille les conflits passés entre orient et occident. Ainsi, les Royaumes de Ramusie correspondent quelque peu à nos royaumes chrétiens de l’époque, Hebrion pourrait correspondre à l’Hébron actuelle, sorte de Jerusalem terrestre, le Royaume de Torun serait un équivalent à la Hongrie, la grande ville d’Aekir à Constantinople, le royaume du Merduk aux Turcs, et la ville de Torunna à Vienne. Kearney parvient à mettre en scène ces royaumes dans un monde en proie aux conflits répétés avec réalisme et force, et les soubresauts politiques rythment les spectaculaires scènes de batailles impliquant charges de cavalerie, scènes de guerres avec force tirs au canon et destructions de villes. Cela renforce la cohésion de sa prose et la dynamique de son intrigue où politique et guerres, géostratégie et batailles sont intimement liées.

Des luttes religieuses

Pouvoir Papal et culte magique sont les deux épigones du monde de Kearney, chacun représentant en quelque sorte les parangon de ce qu’on nomme de nos jours intégrismes et minorités religieuses. Une autre qualité de la saga de Kearney est cette extension des conflits entre royaumes dans le microcosme d’un groupe d’individus qui s’embarquent pour un voyage vers l’inconnu. Ambitions contrariées, piétisme voilé, intolérance religieuse, subterfuges de la magie, rumeurs de conspiration, tous ces invariants socioculturels font preuve d’une écriture travaillée et réfléchie, une écriture qui, tout en se plaçant dans le registre de la grande aventure, n’en distille pas moins de remarquables vues sur les conflits de pouvoirs et, en toile de fond, cette idée de la survivance, que ce radeau de la méduse partie vers l’inconnu symbolise à merveille. Conte sur la lutte des pouvoirs, rivalité entre pouvoirs, cette saga qui compte quatre autres volumes en langue américaine, fait montre d’une grande subtilité sur la quête de factions diverses pour l’hégémonie, une hégémonie qui doit s’installer motivée uniquement par un soucis d’indépendance royale, que cela se fasse au prix de l’intolérance ou de l’égalité, deux modalité interchangeables.
Une vision juste de notre monde mise en métaphore par les besoins d’une Uchronie emprunte de magie et de cette foi naïve typique de l’époque de Christophe Colomb, où le voyage était souvent prétexte à installer et reconduire ce qu’il y a somme toute de plus important : Le Pouvoir. Voilà pourquoi, le pouvoir Papal ayant ses propres limites, les ambitions des magiciens exclus doivent elles être également limitées (les sept arts magiques étant un moyen de diviser la magie pour mieux la dominer) grâce à la verve d’un auteur qui se hisse au niveau des plus grands.........
Encore un choix remarquable de la part d’Adèle Schnur, et encore une preuve de la nouvelle vitalité de la traduction en France dont les choix sont de plus en plus plus pertinents.

Le Voyage d’Hawkwood, Paul Kearney, Editions du Rocher, 370 pages, couverture de Steve Crisp, traduit de l’anglais par Marianne Thirioux, 19,90 €.





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