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"Le Manoir des Chats ailés"
Edwina Von Stetina

Editeur :
Le Pré aux clercs
 

"Le Manoir des Chats ailés"
Edwina Von Stetina



10/10

La technique du journal intime est souvent un exercice difficile voir périlleux en littérature, car sous l’apparence tranquille de la chronique linéaire et monotone il y a souvent un devoir, une nécessité qui est de produire ce souffle magique appelé originalité. Et c’est encore plus vrai quand on arpente les vastes plaines éthérées des littératures de l’imaginaire. Ainsi, une certaine Laura Von Stetina, grande amoureuse des chats (elle en possède 7) décida un jour d’inventer cette Grand-mère, Edwina Von Stetina, naturaliste anglaise de l’année 1875 qui, un jour, se vit hériter d’un Manoir isolé au coeur de la campagne anglaise. Son donateur n’est autre que le mystérieux capitaine Katt, considéré un peu comme un original, voir un excentrique ayant voyagé toute une vie durant dans des pays exotiques d’où il rapportait tout un tas de trésors et secrets. Le récit se transforme en un journal intime où la jeune Edwina relate la découverte extraordinaire qu’elle va faire, nichée au coeur de ce manoir, le plus grand secret de son oncle et en même temps un prodige paléontologique à lui tout seul. Ce journal, dont la chronique s’étend sur une année, va devenir le journal d’une autre Alice au pays des merveille, un autre pays d’Oz, celui du manoir de son oncle défunt où vivent une petite population de chats ailés, Les Flittens, ainsi que les Minis qui sont légions dans le parc de cet ancien manoir. Une lettre posthume de son oncle fera d’Edwina l’héritière d’une quête, celle d’une dernière créature mythique que son oncle n’est jamais parvenu à découvrir. Chatons aux ailes de papillons qui naissent dans des cocons, souris aux ailes minuscules de libellules, ce récit est une pure merveille au-delà de l’affront fait aux règles de l’évolution. A travers le récit intime d’Edwina, Laura Von Stetina nous résume la vie d’un homme ayant ouvert une étrange boîte de Pandore et mis à jour une espèce inconnue, quasi féerique, mais avec le ton et le sérieux d’un naturaliste. Darwin du féerique petit peuple, l’auteur nous fait partager une étrange communion, presque une cérémonie sacrée à laquelle le lecteur adhère immédiatement. Ces Flittens existent de part le monde, et la tache du vieil oncle excentrique fut d’en dresser l’inventaire comme le fit un Darwin ou un Lamarck à une autre époque. Secret de famille, gardé même par le personnel du manoir, l’existence de ces Flittens et des insupportables Minis nous est enfin révélée par ce récit touchant et enthousiaste au possible. Agrémenté d’illustrations de toutes beautés, de cartes et croquis, 100 peintures et 30 croquis en tout, ce petit livre érudit rendra compte de l’existence d’une race à part entière. En 72 pages l’auteur parvient à toucher l’essentiel, à savoir le phénomène de la croyance et y parvient brillamment. Dans ce manoir du 19 eme siècle, Laura Von Stetina réussit à donner un ton, une atmosphère particulière idéale pour introduire ces prodiges anthropologiques que sont les Flittens et les Minis. Invention d’un mythe urbain (les Flittens arriveraient en nos contrées cachés dans des régimes de bananes et souvent confondus avec des araignées) , Le Manoir des Chats ailés fonctionne comme un conte mais narré avec le sérieux d’un naturaliste. Les Flittens ont des ailes de papillons et les Minis des ailes de libellules. Ces dernières chevauchent des coléoptères, batifolent parmi les fleurs et sont d’espiègles farceurs, voleurs et gourmands.
Laura Von Stetina s’invente une grande tante ainsi qu’un journal secret, elle fait en ce sens le même exercice littéraire qu’un Lovecraft. En inventant non pas un livre sacré mais un carnet de bord elle engendre d’une superbe histoire naturelle parallèle à la nôtre comme Lovecraft inventait en son temps une religion et des cultes parallèles à nos religions. Elle donne de fait naissance à un inoubliable conte pour adultes ou pour enfants quelque peu déjà versés dans des lectures plus savantes. Une impeccable férie naturaliste, où, à la suite d’un Charles Fort ou d’un Bergier l’auteur, qui se fait découvreuse en même temps que le lecteur, forge des mythes naturalistes cohérents pour peu qu’on puisse se prendre l’espace d’un moment à croire en ce Manoir mythique, véritable matrice, arche de Noë pour catégories animales paradoxales et inclassables. Darwin et Lamarck en seraient offusqués ou amusés, nous, nous aimerions bien y croire, y croire pour oublier un temps notre fatal déterminisme.

Edwina Von Stetina, Le Manoir des Chats Ailés, traduit de l’anglais par Sylvaine Charlet, 72 pages, Le Prés aux Clercs, 15 €.





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