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  Sommaire - Dossiers -  Utopiales 2004 Partie 1 : rêver et penser, une vision Nantaise

"Utopiales 2004 Partie 1 : rêver et penser, une vision Nantaise"

Emmanuel Collot

Si un terme devait être appliqué à l’événement tant couru sous le nom des "Utopiales", ce pourrait être celui de convivialité. Parallélisme des styles, convergences des genres dits imaginaires, concordances des "temporalités", connexions des affinités, l’édition 2004 des "Utopiales" fut un chaudron de bonnes volontés, diverses dans leurs expressions et uniques dans leurs belles démarches.
C’est que le pari était fort beau et bien employé, de vouloir une année de plus réunir tous ces passionnés des genres de l’imaginaire.

Des Utopies et de leurs dérivés, tendances basses et salutaires espérances

Le thème de l’Utopie fut retenu cette année au sein de la Cité des Congrès de Nantes, qui, il faut l’avouer, présentait un cadre idéal, un "topos de reconnaissances" multiples, que ce soit au niveau d’une urbanité formatée, des artistes peintres exposants, mais aussi et surtout par le jeu des tables de réflexions et autres conférences débat où il était question de démonter ce monstre "Utopie", ressortant à la fois de l’intelligible et du sensible.
Aussi, c’est avec un sentiment de curiosité mêlé à une crainte presque religieuse que le visiteur emprunta les lacets, courbes et sensuels, comme ceux d’une femme, routes des lieux communs menant à un palais silencieux. Tête dans les étoiles et pieds sur terre, le visiteur aura l’impression d’être un marin perdu en quelque mer inconnue, ballotté par des vents favorables, dérivant sur des bandes d’eau se rétrécissant à mesure que le but approche. C’est une mer d’urbanité que le visiteur traversera, entre bâtiments aux formes rectilignes et aux proportions immenses, toits couleur d’ardoise relevant à la fois d’une autre époque et de certains cottages anglais. Mais c’est aussi cette nudité de sols imberbes de toute ordure ou nuisance, cette concordance entre ses lignes modernes et ses bases urbaines anciennes qui font de Nantes une autre ville de rêve, cette autre Italie de la Renaissance, Italie rêvée de Stendhal traversée par les embruns des mers froides et rudes symbolisées par un fleuve dont la marche tranquille simule la vie secrète d’un Dieu de la mémoire. Au bout de ce voyage il y a un bâtiment aux yeux couleurs de nuit, accroupi au bord de ce monde froid et pourtant terriblement séduisant par l’atmosphère bien étrange qui émane de lui et qui lui confère cette aura hors du temps. Oui, Nantes est une ville hors de la temporalité ambiante, trop conventionnelle et actuelle, dissonante et factuelle. Nantes est une ville inactuelle parce qu’éternelle dans son évolution autour de mentalités diverses, des mains et des pensées qui par leur conjointe alliance ont su instaurer une espèce d’harmonie céleste, liant le passé incarné par la plume d’un Jules Vernes et l’encre d’un Hetzel au modernisme d’une ville enfin tournée vers les autres terres, vers d’autres yeux, ceux-là même qui firent inventer ces mondes à la fois anciens et modernes d’un Jules Vernes touché, happé par un baroque irrésistible, presque mythique faute d’être magique. Arrivé au pied de l’édifice, on ne sait pas trop par quelle porte entrer, puisque la devanture du "Temple sacré" est constellée des opales de verres qui sont autant d’ouvertures promises que de faux semblants.
Une fois entré, le promeneur solitaire se trouvera sur une immense agora traversée en ses côtés par deux allées où ce sont les artistes qui auront la part belle et les visiteurs l’embrasement de leur contemplatif..........

Des Arts de l’imaginaires vus sous le Kaléidoscope des lieux divergents et climats inconnus, ou voyages vers "L’Outrepart".

Terme célébré par la langue de Pierre Versins, Outrepart signifie cette attitude sentimentale, cette prostration éternelle de l’admirateur devant la belle prose, devant le dit simplement psalmodié des orateur, conteurs anciens, ces diseurs des grandes épopées de Gilgamesh à L’Odyssée. Mais c’est ce même sentiment intact et entier qui se reproduit au sein des Utopiales, comme si, peu importait finalement les lieux, le geste était reconduit, certes, en un mode plus réflexif, mais avec toute la même ferveur et la même croyance s’emparant des spectateurs. C’est là qu’on pourrait célébrer avec justesse ce moment, cet effet des Utopiales, ce point de contact, cette adhésion à un même projet commun, un même partage.
Or, comment bien célébrer un tel culte liant intellect et affects qu’en ouvrant les rideaux sacrés sur les stances d’un Francis Valéry............

Francis Valéry, le vagabond des rêves

Il vient d’ailleurs, vous dirons certains, ou encore, ses pas caressent le sol d’autres mondes éclairés par d’autres soleils, vous diront d’autres peu avertis de cette merveille qui se nomme Francis Valéry. Francis Valéry est un être à part, oui, une présence, un vagabond dont les yeux se seraient un jour perdus dans la contemplation d’autres mondes, d’autres cieux, avec la certitude de tenir là, enfin, cette bonne vieille "chose en soit", si défendue par le philosophe Berkeley. Mais cette chose en soit , ce secret découvert par Francis Valéry n’est en rien un problème de perception, une mesure du rapport au monde matériel qui nous entoure, entre touché, vu, et présence/absence de l’individu qui connaît le phénomène de la perception. Non, si les yeux de Francis Valéry ont su se saisir de cette chose infime, si Francis Valéry a un don inné pour communiquer, pour transmettre cette jubilation à l’être là au monde bien particulier des genres de l’imaginaire, c’est qu’il est tout simplement porteur, dépositaire, voleur, victime et prophète d’un enchantement hérité de son enfance solitaire. Et nous en venons au phénomène qui se nomme germination. En racontant son histoire, Francis se met à raconter tout simplement l’histoire de tous ces gens qui, bon grès, mal grès, en sont arrivés à cette manifestation, après divers parcours, après diverses péripéties, après la douleur, l’absence, le manque, le pas assez et le trop plein, le vide et la mort, après tous ces affects qui s’accrochent si mal à nos manteaux fatigués pour nous rappeler que tout cela va un jour cesser. Alors on pourra soit se réfugier dans le désespoir Héraclitéen, se perdre dans les fondations à la Parménide, croire au moment qui se fait art selon Goodman, perdre joyeusement et gagner grâce à la fougue vindicative de Nietszche, dans les genres de l’imaginaire il est un fait qu’on retrouve un peu de tout ces fonds communs culturels et en même temps ce manque que nous traînons bien malgré nous. Francis Valéry s’exprime et ses yeux d’enfant nous touchent, mêlant harmonieusement le regard et une parole. Il nous parle de sa difficile entrée dans la vie, de sa découverte du trésor secret caché au fond d’une vieille malle, et ces bon dieu de lieux communs fédèrent le même sentiment d’appartenance, cette fierté de savoir qu’en cette patrie pour les différents, les exclus, ceux qui ne prenaient pas le même chemin que la communauté, il y avait un port d’attache, un havre où nous pouvions tous nous retrouver et échanger, nous épancher et nous concerter sur cet imaginaire si décrié, si rejeté, poison de la raison, ou plutôt autre option extensive d’une pensée qui n’a pas vraiment de compartiment mais fonctionne telle cette énergie noire qui emplie de façon particulière notre univers, entre absorption, et engendrement, mort et vie. Francis parle et nous avons tous l’impression de remonter notre temps le long d’une cordelette d’argent à la recherche de ce moment où tout a commencé, ce moment, entre douleur et plaisir où, sous les alcôves brisées, les colonnes cassées de nos vies nous avons découvert le refuge sacré à partir duquel notre monde s’enflammerait pour supporter l’éternel midi du philosophe. Si le philosophe est un homme qui est déjà mort, l’arpenteur des terres de l’imaginaire est un enfant qui sait qu’il va mourir, mais qui va, vaille que vaille, célébrer au mieux son départ en érigeant un autel sur lequel il brûlera l’évidence du réel et du vivre pour en ériger un bien plus simple consacré à ces genres, qui de la littérature au cinéma, en passant par l’art graphique, porteront les stances de son passage et sa participation. En cela, il est fort comparable au philosophe, il cherche, mais en ayant bien veillé à ôter la boussole de sa sainte raison, et du prêtre philosophe passer au philosophe contemplatif, sorcier et penseur, le philosophe inventeur de chimères, qui pour peu qu’elles ne signifient pas ou peu de choses au regard de la sagesse scientiste du philosophe, n’en sont pas pour autant privées de sens.
Par des paroles simples, un ton de voix qui évoque un enfant sur une île lointaine pas si déserte que ça, Francis nous fait voyager dans le siècle qu’il a "goûté" avec nous, mais à côté, de ces "à côtés" qui font des voix comme la sienne. Il croise timidement ses bras, nous faisant contempler ces bagues arrachées à quelque forgeur de merveille en de lointaines contrées, et on ne peut rester insensible à cette sensibilité qui a eu le courage de s’étaler comme ça, devant la foule impitoyable, ceci pour s’en sortir avec le panache d’un capitaine de navire sans nom, un navire voguant sur l’océan de nos chimériques rêves et créations folles, pages gribouillées avec la patience d’un scribe, psalmodies verbales folles et raisonnées comme les opérations d’un mathématicien, enquêtes surnaturelles pour enfants éternels, Francis ouvrit sa plaie béante ce soir là pour nous faire contempler le ventre de l’écrivain fou, le bohème éternel qui dort sous les étoiles, se nourrit du fruit d’un verger où viennent se cacher autant de fruits étranges que de fleurs anciennes arrachées en des contrées bien élevées, là-bas, en Ulthar.
Oui, ce soir là fut celui du commencement, les trois coups de la grandes représentation, et Francis Valéry en fut le chantre, le rêveur en fait. Alors, perdus et capturés, pris avec plaisir dans ses bacchanales de la raison, nous fîmes révérence à cet homme, incroyablement vrai, entier et sincère dans sa profession de foi, avec cette modestie d’un enfant béni par les bouches sacrées éternellement féminines pour les uns, masculines pour les autres, les deux pour certains. Au bout on ne pouvait se dire en notre fort intérieur, Putain ! Putain ! on t’aime Francis, et merci d’être là, merci de nous dire ce que nous semblions avoir attendu tant d’années, merci de nous montrer que nous avons de l’importance pour toi, merci de nous donner cette eau salvatrice qui nous permet de poursuivre notre chemin avec le monde, avec le réel, sans pour autant s’en contenter. Car voilà ce que nous sommes tous par hasard, quelques vagabonds des étoiles comme toi, assoiffés éternellement après avoir bu au calice de quelque inconnue croisée en des déserts sans noms ou forêt luxuriantes ou en quelque nefs perdue dans l’encre de l’espace. Nous sommes d’éternels nostalgique des jours anciens, des jours sous d’autres cieux où nous pensons tous avoir vécu un jour, suprême hérésie, amusante déraison ou métempsychose volontaire comme remède à l’ennui, qui sait ???????

Pierre Bordage, l’Indien aux yeux de lumières.

J’en étais à mes bienveillantes élucubrations sur le programme à venir, quand je vis paraître sur la scène où tout se passe, la scène où depuis quatre ans défilaient tant de mécaniques biologiques, automates célestes, un Pierre Bordage qui prit alors la parole. En tant que Président de l’Association de l’association du festival international de Science-fiction de Nantes, il se devait de parler, dire les mots justes, indiquer la "jonction" enfin reconduite pour une nouvelle année d’échanges et de communication. Il est apparu comme à son accoutumée, détendu et ouvert. Il portait humblement les cheveux longs d’un sage revenu de quelque lointain enfer ou d’un combattant de retour au grand foyer après son devoir accompli. Pierre eu le devoir d’indiquer la nouvelle thématique de cette année et d’ouvrir officiellement ce festival de toutes les surprises. Il semblerait, quand on se prend à le regarder de trop près, que de lointaines constellations dorment dans le regard de Pierre, des comètes roulant dans les espaces de son imaginaire secret, porteuses du dit de Rohel, de la geste métapsychique des Guerriers du silence, d’étranges facéties humanistes orientales ou encore du dit de cet Emile, ce fils de Fée perdu des conflits vendéens et autres intrigues parallèles dans une France mythique et sorcière. Pierre se devait d’incarner son propre personnage, en vrai et en grand, en petit et en modeste, réalisant dans sa chaire cette interaction entre le plus grand et le plus petit. Réunir les opposés, proposer des chemins de traverses, des ponts, pour faire que le miracle de l’échange se fasse, voilà qu’elle devait être la vertu de ce festival. En bon cavalier de la légende, Pierre su avec quelques mots et cette pure ambivalence de l’enthousiaste sérieux, proposer cette possibilité au travers de plusieurs cultures invitées, une pluralité de langues convoquées à une orgie d’histoires, une vertu qu’il n’imposa pas comme une obligation ni même un devoir, mais une belle volonté, motivée uniquement par la fécondité du rapport donner/recevoir. Et l’entreprise doit être saluée comme une bien belle chose, si peu usité dans une société devenue à ce point égoïste qu’il faille pour le pauvre donner, c’est plus juste, et au plus riche recevoir, c’est son droit. De cette société à ce point déviée de ses salutaires providences que les Utopiales en constituent quelque part le laboratoire symbolique et syntaxique de la reconduction de ce faux contrat social, de cette ineptie éthique, ou en gros ce serait ce bon gros aristocrate obèse en privilèges, et ses succédanés élus qui se devaient de conduire la société. Pierre est un juste un peu perdu, mais dont la droiture n’effraie pas. Il se devait donc d’ouvrir de tels travaux sous l’oeil alerte d’un Dieu hybride, mélange d’Eros, Thanatos et de Set, Dieu du savoir secret. De la faillibilité des utopies, des échecs inévitables de leurs doctrines et idéologies célébrées, Pierre posa la problèmatique Versins de l’inversion des paradigmes "dévaluatifs" du terme évoqué, pour se demander si l’Utopie serait définitivement condamnée en ses vices ou si une vertu secrète serait possible dans l’espace d’une société qui en est encore à se penser et à s’élaborer sur les mots de la pensée en action, la pensée qui chosifie, tisse avec la patience de Pénélope, la tapisserie de ce nouveau contrat social où, enfin, l’individu trouvera son entier, son accomplissement et sa satiété. C’est à ce projet toujours en mouvance, jamais en action, que Pierre Bordage nous invita à travailler. Avec patience et sagesse, impatience et fébrilité de l’amoureux en attente, Pierre posa cette pierre simple et essentielle, celle là même qui donne toute sa portée à ce festival où se fabrique les mondes possibles de demain, et ces tentatives courageuses d’en éviter les terribles écueils, tares de nos imperfectibles individualités. Voilà une bien belle perspective, un hymne sacré perché telle la chouette au-dessus de l’édifice des Utopiales, entre imaginaire et raison, fluidité et fixité. La soirée avait commencé et s’était installée définitivement dans les esprits des arpenteurs des terres vierges de nos "lendemains retrouvés" et nos "hiers inventés". Et c’est bien en cette opération entière et sincère, sous le truchement des arts imaginaires que s’ouvrit l’un des plus beaux moments de ma vie et de celles de tous ces "autres" qui cherchaient et pensaient ne jamais trouver, pêchaient et inventaient les images ouatées et autres constructions narratives de ces "Utopies" entre impossible et possible, vrai et faux. Ainsi, le projet posé, on en distinguait les ailes de la renommée : Mettre en présence de ces constructions narratives et picturales pour rendre compte de ces utopies, ces mondes autrement, ces mondes décalés, peut-être pour souligner sous le jeu de l’entropie, la définitive valeur de penser ces avenirs lointains et impossibles par la sanction de la raison organisatrice et censeur, la raison, autre instrument de notre être en action dans le monde.

Patrick J. Gyger ou le marin des mers lointaines

Il a le regard absent mais la parole d’un artiste, le port d’un marin bléssé, et nul ne sait vraiment quels sont les paysages qui morcellent son esprit au point de le faire goûter à l’âpreté des systèmes utopiques qu’il jauge à l’once du grand Versins dont il a été élu le gardien des ruines de l’imaginaire, cristallisées sur quelques pages arrachées à ces vies "autrements". Tout au plus pouvons nous arguer que ce jeune adepte de la parole mesurée était la personne toute désignée pour conduire cet auguste radeau croisant en quelque mer perdue, et de nous faire contempler à nous, foule anonyme de marins morts qui peuplons les abysses, les soleils noirs des milliers
d’Arcadies. Nature et culture, Gyger nous fait miroiter les nuances des Utopies dépressives et des autres, perchées sur la branche du salutaire, concrétisées par l’urbanité en expansion et ce socialisme en puissance qui doit lentement élever, et la ville et l’individu, et la société et la communauté. Entre ébullition, déviance et libre arbitre, la trilogie composée par l’utopie, la dystopie et l’entropie chaotique, il y a ce moment du kaos et du logos, cette topique, ce moment de la réflexion, et c’est sur cette agora que Patrick Gyger nous convia ce soir de braise et de cendre, ce soir du grand commencement et des travaux intimement liés à son exercice.

Gilles Francescano ou le mécanicien céleste.

Gilles n’est pas un grand bavard et dans son habit couleur de nuit il fait penser à quelque pasteur parcourant d’étranges contrées, charriant avec lui les miasmes des rumeurs anciennes et actuelles, les bruits que font les crayons, pinceaux, piques, marteau et burins sur la matière brute. Il a le regard fixe et attentionné, de ces regards qu’ont les artistes pour leurs élèves, des maîtres pour leurs convives invités qu’ils sont à une grande table où l’on s’emploie à ne parler que d’art. Ouvert et sincère, entier mais réservé, il se présentait comme le conseiller artistique pour ces manifestation, tâche dont il s’acquittera avec l’élégance discrète d’un ami sincère pour ces artistes sans d’autre attache que leur excellence à l’art sacré.
Gilles Francescano, dont nous parlerons plus tard dans la seconde partie de ce tryptique Utopique, est un homme à part, un artiste qui en a fait parcourir plus d’un sur les bords de notre monde. Il est venu aux utopiales pour nous aider à cerner ce que peut être cet art de l’imaginaire si peu honoré dans notre pays. Or, quand y-a-t-il art ? nous demandera Goodman. Quand il y a mise en branle d’un imaginaire touché, épanché soudainement au contact visuel avec une oeuvre accrochée là, simplement, ignorée par les autres, célébrée par celui ou celle qui sera rentré en contact, sera rentré en collision avec cet "organisme", ce composite, inutile ailleurs, remplissant parfaitement sa fonction dans cette cité des congrès de Nantes. C’est que l’utopie ne pouvait être envisagée sans cette partie visuelle, cette mise en image des mots, qu’ils soient d’Orwell ou d’Asimov, en grand et froid, en grand et chaud, en petit mais fulgurant, en petit mais clinquant, les arts de l’imaginaire copient les mondes sécrétés par les plumes, vomis par la pensée, accouchés par la bonne volonté de créer. Et en cela ils ont toute leur importance. Texture, peau, porosité, lissage, couleurs, formes, contorsions des matières, distorsions des corps, combustion des astres, les arts graphiques sont là pour incarner les métaphores et autre archétypes de l’imaginaire au milieu desquels l’homme et/ou la femme se trouvent célébrés ou noyés, transmutés ou dévorés. Une bien grande responsabilité que de cautionner ces artistes de ces "ailleurs", ces "outrepart", ces "jamais" et ces "toujours", autant d’adverbes pour tenter ne serait-ce qu’une fois de dire l’intraduisible de ces oeuvres qui se ressentent tout comme elles peuvent s’analyser, tout en nous échappant, tout en devançant notre recherche et justifier ainsi toute l’excellence des arts de l’imaginaire et ce puits sans fond qui en est la fécondité protéiforme.........

Georges Mérel l’enfant qui aimait les images

Georges est un enfant prodige, un fou, que dis-je, un extraterrestre terrien. Il a fallut qu’un beau jour il tombe nez à nez avec un gnome au sourire facétieux pour devenir définitivement tributaire de la chose dessinée au détriment de la chose écrite, à moins que la première puisse l’avoir entraîner vers la seconde, comme vers une soeur plus timide mais chaleureuse. Il est dit que Georges est un ménestrel à qui on aurait confié la charge d’une librairie, d’une antre bienfaitrice pour ses yeux d’enfant ayant contemplé un jour les plates bandes du paradis et dont la seule unique consolation serait dès lors plus que ces artefacts faits de cases enfermant d’étranges dessins colorés ou noirs, d’étranges gravures qui font mots, des signes dont les images forment vie réinventée, mouvance saccadée et expressivité. Georges est ce conseiller artistique des Utopiales, cet homme qui aurait été dans une autre vie un crayon agile dans les mains d’un uderzo, la plumes pamphlétaire d’un Goscinny, le pinceau chaotique d’un Druillet ou encore le dessein corrosif d’un Raiser. Il se plaît à se croire lui même un dessein et dans ses traits de cartoon en ballade il imprime avec chaque regard qu’il pose sur ces arts la facture de ce fameux "art" qui permet toutes les belles considérations sur ce mal aimé qu’est l’imaginaire si réfractaire à l’art officiel. Georges est un clown heureux, le clown magicien silencieux comme le mime Marceau, expressif comme une Joconde qui sait non pas le secret d’un fameux prioré, loge poétique de Cocteau, chiquenaude métaphysique, mais le secret de l’art, le coin d’un sourire tout simplement, esquisse fragile et timide mais dont la fermeté est reconnaissance et authentification de l’art, quand le portrait n’est plus le portrait mais original, et le modèle le reflet de ce mirage vivant. Georges est un immense génie, savez vous pourquoi ??? Tout simplement parce qu’il est enthousiaste, parce qu’il communique cette envie de voir, de lire, de ressentir, cette envie de se connecter également à la vie par cette connexion à la machine étrange qu’est l’imaginaire. Pour cela nous pouvons lui dire merci, munis de la même envie de faire corps avec le corps imaginaire narré par la machine invisible et silencieuse, cette folle accrochée au coin des lèvres. C’est un peu comme ce baiser accroché au coin des lèvres de la belle Wendy dans la récit de Peter Pan. Cette Joconde, se rendant compte de la belle magie de l’art décida de mettre à jour le beau prodige. Serait-ce enfin ça un miracle ??? Mon ami, il se peut que ce soit ainsi. Et en cela on peut dire que le beau avait fait connaissance avec le vrai en ce tableau de De Vinci, mais cela nous ne nous en rendons pas souvent compte. Mais Georges, lui, apprit un jour le secret véritable de la Joconde, et c’est épris de la même extase qu’il embrasa discrètement de sa magie, les yeux des spectateurs qui se seraient attardés sur ce que Georges a touché des yeux. Vous qui connaissez à présent le véritable secret de la Joconde, gardez bien cela près de votre coeur, mais également pas très loin de votre raison. Vous savez ? La raison ! Celle qui est le lien entre le tout différencié des sensations, des expression de notre "être là au monde". Alors, les Utopiales furent ce breuvage fort et sucré, cet élixir bienfaiteur, et Georges en est quelque part l’heureux coupable discret......

Jean-Marc Ayrault ou un homme d’exception

Il n’est jamais aisé de parler d’un politique, tellement l’assimilation immédiate fait son chemin comme le galop d’un cheval noir vers la forêt des connexions élues, la forêt des affinités reconnues. Ainsi, je me devais de tenter de parler de l’homme en tentant de mettre de côté le politique, ceci pour dire qu’elle fut sa fonction, en quoi sa présence fut une articulation nécessaire pour permettre la sanction de la règle, la qualification, la permission, le mandat, la reconnaissance, la sortie de l’ombre de l’anonymat pour rejoindre la lumière de l’authentique, du viable, du valable. A le voir arriver on aurait pu supposer la froideur et l’indifférence, et pourtant il achemine avec lui cette étrange confiance et ce pari sur le futur qui est assez rare de la part des politiques. Sa poigne dure est celle d’un voyageur affermis et d’un arpenteur des ténèbres du monde à la recherche de la belle et juste lumière de la vérité. Jean-Marc ne s’est pas révélé comme un pur amateur fait pour afficher et vendre une image, non, il est venu pour offrir et partager, chasser l’icône pour en révéler le visage humain. Il a fait donc une introduction générale sur cette merveilleuse histoire des Utopiales, sur cette histoire qui dure depuis quatre années. A entendre son verbe haut et fort, celui de l’orateur passionné par sa vocation, malgré tout ce qui peut en être affirmé, on a l’impression tout simplement de retrouver un ami perdu, un compagnon avec lequel on a manqué jadis une belle fête, mais dont le regard toujours aussi vif comme la glace, mais réconfortant comme un sage, promet cette prochaine fois, cette fois où tout sera possible. Pas de faux espoirs dans cette voix, ni de fausses promesses, l’homme est généreux et nous parle à nous tous, morceaux de cette Europe en construction, de cette belle ville de Nantes, de ce merveilleux archétype mutant à la fois urbain et littéraire, comme si des pages de Jules Vernes se seraient édifiés après écoulement, et sous l’effet du temps, quelques étranges ponts invisibles, anges mécaniques chuchotant l’avenir, sirènes blotties dans les eaux obscures inspirant les amours impossibles et les grandes espérances à ceux qui boivent l’eau sacrée de leurs yeux. Jean-Marc Ayrault était vêtu d’un costume, et pourtant on aurait pu penser au costume d’un lointain navigateur, un Nemo revenu l’espace de quelques heures au port de l’éternité, là où s’édifient les rêves qui font les constructions du réel. Il nous parla alors de cette ville de Nantes avec laquelle il faisait corps, avec laquelle le monde qui la visite chaque année tisse tant de liens invisibles, tant de sonorités secrètes, tant d’harmoniques. Le thème qu’il évoqua dans son discours fut "réflexion". Terme essentiel, action dirimante, des opposés, la réflexion était ce jalon primordial qu’il fallait rappeler. Car, du rêve suscité par le regard sur des "fenêtres cosmologique" au "lire" qui indique le décalage vers ces "autreparts" que laisse supposer l’Utopie, la Dystopie et l’Entropie, il y a cette passerelle belle et audacieuse qui se nomme réflexion. Réflexion sur le devenir ensemble, invention des avenirs salutaires, la réflexion était rappelée pour fonder ce lien reconduit chaque année, sans lequel la fécondation reste de l’ordre de l’impossible.
La question qui, au demeurant, transparaissait au sortit de cette élocution était non pas pourquoi cette présence, mais plutôt parce que, parce que un homme ayant une telle fonction ne pouvait pas se rendre coupable de ne pas affirmer sa conviction sincère et entière, par delà les étiquettes politiques et pour dire son attachement à une pareille cérémonie. Les arts de l’imaginaires étaient dès lors l’affaire également des politiques, et cette démarche fut à juste titre appréciée. Non pas par une espèce de sentiment d’appartenance à un groupement, mais plutôt l’envie de communiquer, le besoin de faire corps, ce besoin qui fait des lucioles les reines de la nuit quand dans leur unique et dernier voyage elles choisissent la lumière la plus forte pour s’y perdre avec la ferveur de connaître là le chemin unique de leur existence éphémère.........

Le voyage, le voyage dans toutes ses expressions n’est il pas également le parcourt d’une trajectoire d’un point à une autre ou à des milliers d’autres rendu possibles par le probable ? Ainsi l’Utopie, thème central de cette année 2004 doit se voir aussi comme un voyage possible, si on enlève à ce dernier terme sa neutralité par rapport à la distance parcourue, pour le considérer comme acte opératoire qui permet de voir les effets du changement dans le déplacement. De fait, Utopie est un effet du voyage, un artefact des possibles, et dans sa non fixité fait comme un récit de Jules Vernes, il passe tel un mirage, une construction de l’imaginaire. Un thème donc qui semble très intimement lié à cette ville de Nantes Et les mots de Jules Vernes en vadrouilles, ces mots qui vivent encore dans les structures pierreuses de la ville, ces mots rêvent déjà à d’autres futurs, d’autres possibles. Lire, voir, regarder, discuter, réfléchir, échanger, les Utopiales forment ce réservoir fécond qu’il faut cultiver avec le temps, parce que la société pour avancer a besoin du carburant de l’imaginaire, il en est son élan vital, sa motivation, son avenir en puissance, son action à venir. Ainsi, en pénétrant dans la ville comme dans le corps d’une vierge on accompli ce même acte participatif, cette action sacrée qui est de tirer à soi les liens futiles et viles que sont un passé esclavagiste, un auteur de "steampunk" avant l’heure qui en est la libération, et un élan vers l’avenir, un avenir fait de mélange entre l’ébène et le marbre, les beaux différenciés dont la fusion est cette action d’édification de la société à venir, qui elle s’édifiera sur ces corps avortés, ces essais urbains ratés que furent les Utopies, ceci pour fonder un jour pas si lointain, la cité de l’idéal mesuré et partagé. En cela, par cette profession de foi non avouée, Les Utopiales tiennent leur pérennité par-delà l’incertain du monde menacé par l’Entropie.
La soirée s’achève et pourtant un feu a été allumé dans la nuit de Nantes, un feu salvateur allumé par des beautés de la mythique Afrique, un feu pour nous dire tous les possibles offerts par le thème le plus fécond au monde : la société et son édification, la société en construction par rapport à ces Utopies impossibles mais pensables car pas vraiment réduites au pur mental, à la supputation intellectuelle. Et c’est sur ces dangers soulevés par le "fictionnel" que s’ouvrit ce quatrième voyage vers les paysages d’ombres et de lumières, les paysages vierges du mental que nous chosifions tous au travers de nos arts et de nos rêves, ces paysages qui nous ouvrent une porte vers d’impossibles extérieurs tout en nous gardant une place dans un monde possible meilleur. Alors, satisfaits mais affamés, nous nous retirâmes entre amis, chaque clan tentant de trouver autour d’un verre en quelque taverne une inspiration, une respiration, bref la futile mais belle folie qui est de pouvoir un instant converser avec Nantes la belle, Nantes la noire, Nantes, le port éternité.
D’une certaine manière nous pouvions vraiment nous penser comme dans la vie.......

J’ai volontairement opté dans cette première partie pour une mise en relief des icônes de cette manifestation, les personnages introductifs de cette belle aventure des Utopiales. La seconde partie dressera d’autres portraits, d’autres histoires, mais également les langues inventées lors de cet évenement, les Utopiales. la troisième partie concernera les interviews, confessions et aveux de ceux qui font l’image narrative et l’histoire secrète, celle de l’imaginaire. Artistes, et écrivains tenteront de raconter leurs oeuvres, de se raconter eux-même, comme toute utopie biologique qui se meut dans la société en mouvement, la société à venir.....


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