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  Sommaire - Livres -  S - Z -  Planète Interdite
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"Planète Interdite "
W.J. Stuart

Editeur :
Terre de Brume
 

"Planète Interdite "
W.J. Stuart



Collection Terra Incognita

Figurez-vous qu’en cette année 2371 un voyage d’exploration est lancé jusqu’à la lointaine planète Altaïr-4, dans la constellation mystérieuse d’Alpha Aquilae, vingt ans après celle du vaisseau-fusée Béllerophon, dont l’équipage était essentiellement composé de scientifiques, et qui n’a plus donné signe de vie. Ainsi, si seulement deux ans passeraient pour les membres de cette étrange équipée, là-bas, sur la Terre, ce serait vingt années de perdu. Lorsque le docteur C.X. Oxtrow, la quarantaine se retrouva parmi l’équipage du Croiseur C57D, il avait pris cette mission comme un exutoire nécessaire au deuil récent de sa femme, Caroline. Mais quand bien même le grade de médecin de bord semblait intimer un certain respect à tous, Oxtrow était toujours pris de la frustrante impression de n’être qu’un étranger parmi les 21 membres composant cette équipée. Mais qui étaient les plus à plaindre ? Cette Terre qui continuait à tourner en rond où ces fous embarqués pour un voyage qui était en même temps une recherche, sur une planète où les attendrait un indicible sans nom, un indicible qu’on ne voit pas mais qui tue. Autant dire que pour le docteur Oxtrow, le commandant Adams, Jerry Forman l’Astrogateur et l’ingénieur en chef Yves Qinn, mis en présence avec l’étrange docteur Morbius et sa jeune et belle fille Altarïa locataires d’une demeure abritant les restes d’une ancienne civilisation hautement avancée, c’est à une confrontation avec la folie pure qu’ils devront faire face. Et au bout, une histoire d’amour…
Planète Interdite. Tout est dans l’énoncé. L’indicible alors se lisait sur ce petit écran où une espèce de lion chtonien géant invisible (Une Chimère) s’introduisait la nuit dans un vaisseau humain mais qui avait les configurations des soucoupes volantes qu’on voit partout à présent, pour frapper et tuer. Dès lors, le ton était donné, effroyablement moderniste, presque criminogène. Un peu comme avec « Le chien des Baskerville » de Conan Doyle. Mais la malédiction à ce niveau n’avait rien de familiale bien qu’entretenue entre les deux derniers membres d’une famille, un père et sa fille, comme un terrible secret, frôlant même un désire d’inceste inconscient. La malédiction ici se lovait non plus dans les manigances d’un travestissement cryptide (le molosse recouvert de magnésite qui venge les pêchés d’une famille riche et maudite dans l’historie de Sherlock Holmes), mais bien dans la sphère du mental, autrement dit : la pensée. La pensée tue, la pensée peut générer de monstres intouchables et surpuissants. Doté d’une telle dynamique cette « Planète Interdite » marqua des générations entières par le simple fait qu’elle venait de cisailler trois choses dans le mythe extraterrestre. Premièrement, que leur histoire pouvait être aussi belliqueuse que la nôtre, voire pire. Secundo, qu’ils n’avaient pas ou peu besoin de nous conquérir, vu qu’ils s’étaient éteints depuis longtemps. Tertio, que le danger ne viendrait plus forcément de leur force armée mais bien d’un point nodal essentiel et qui fait écho au freudisme, à Jung aussi : les forces de l’esprit et leurs pièges. Ce sont ces trois radicalités qui confèreront toute la beauté de cette œuvre unique dans l’histoire du cinéma. Mais bien plus, c’est le fait qu’elle nous parle d’une curieuse manière, à nos mythes, Grecques notamment qui fait que cette histoire ne serait plus à voir ou à lire de façon simpliste. Aussi, cette allusion à celui de Béllerophon par exemple, pour citer le nom de la mission scientifique disparue précédemment, il est fort à parier que ce ne fut pas innocent. Le Docteur Morbius et son orgueil, sans parler de son désire inconscient de garder sa fille intouchée évoque ce personnage grecque qui dans la fable terrassa cette Chimère qui terrorisait un pays entier sur son cheval ailé (Robby Le Robot et son aéroglisseur). Par conséquent, si « Le chien des Baskerville » illustra à merveille l’aveuglement du ressentiment dans l’effroyable histoire des vengeances individuelles ou collectives au cours de l’histoire humaine, « Planète Interdite » nous montre à quel point le manque d’une sagesse dans l’usage d’une supra-science peut engendrer ses contraires les plus terribles. En inversant les rapports pour camper un Morbius/Béllorophon jaloux de sa fille sur laquelle il projette sa pulsion refoulée, tandis que cette Chimère invisible s’occuperait d’incarner son instinct prédateur inconscient, notamment contre l’arrivée de ces jeunes soldats et chercheurs, Wilcox renouvelle un mythe ancien en lui apportant son illustration la plus humaine et épidermique. Le mythe Grecque fait ici relai à Freud, dans un chassé croisé qui bien que naïf démontre combien le genre est doté d’une capacité naturelle à réemployer ces vieilles histoires dans des contextes plus parlant pour notre civilisation. Enfin, s’il est un autre fait à mentionner quant à ce film incroyable c’est bien l’inversion de l’imagerie référentielle. Ainsi, là où on se serait attendu à visionner un design propre à l’ingénierie humaine concernant le vaisseau d’exploration terrien (une fusée), on se retrouve face à une soucoupe volante. L’inversion du rapport aérodynamique, le fait que ce serait l’humanité qui aurait fini par essaimer l’espace par l’usus de soucoupes que dans son passé primitif elle désignait du doigt dans un ciel plus ou moins trouble démontre bien que le cinéma d’alors venait de franchir un cap dans la culture populaire. Comme si, ces OVNI ou UFO finiraient par incarner en quelque sorte notre humanité future remontant le temps pour se voir, comme on peut se regarder dans un miroir magique qui nous renverrait notre visage le plus juvénile, le plus dangereux aussi. Si ce « Planète Interdite » (1956) de Fred M. Wilcox nous entraînait déjà dans les grandes intériorités humaines, il annonçait avec Vingt ans d’avance le biologique invasif d’un Ridley Scott dans son « Alien, le huitième passager » (1979). « Dans l’espace on ne vous entend pas crier ». C’est-à-dire qu’Alien nous parlait déjà de cet indicible si moderne et de ses nuisibles provoquant maladies et épidémies, cette hétérogénéité entre le corps et le gêne ou le virus qui s’insinue (Covid, etc…). On ne le sait pas, on ne peut le montrer du doigt ni crier gare, et seulement le porter en soi quand on a été « incubé » (Les fameux implants ?). Avec le film de Wilcox, c’est le crime qu’on ne voit plus. C’est son impunité, que ce soit dans la psychopathologie ou bien le génocide. Dans cet autre espace, celui du mental, « On ne vous voit pas tuer », « Tuer est Pathologique ou bien télécommandé ?). La teneur est puissamment moderne. Miniaturisation de la prédation dans le biologique (Alien), invisibilité de la préméditation dans l’homicide (Planète Interdite). Les deux films nous informent, les deux films nous préviennent sur les mutations fulgurantes de nos sociétés hautement prédatrices. Mais il est déjà trop tard. Tout comme le design des soucoupes terriennes nous prévient qu’il n’y aura peut-être pas contact, car « ils » nous sont beaucoup plus familiers qu’on ne le pense. Mais « Planète Interdite » est aussi et surtout un livre, ce livre judicieusement réédité par Terre de Brume. Le style de Stuart, magnifiquement retranscrit par la traductrice Nathalie Gara, nous ressert cette histoire dans un phrasé juste et humain, profondément humain. Le locuteur est ici le médecin de bord. Cela a des allures de Star Trek, mais c’est plus dépouillé, solennel, définitif, fatal donc. Il s’y insinue en outre un léger existentialisme, notamment vis-à-vis de la perte d’êtres chers (non repris dans le film) et cette pudeur courageuse qu’il y a à célébrer l’amour des autres sans vouloir se l’approprier ou le détruire (l’attitude du médecin vis-à-vis de l’amour naissant entre le commandant et Altarïa). C’est ce léger écart profondément moral au demeurant, sans jamais verser dans « la moraline » de notre temps autrement plus hypocrite qu’elle laisse faire d’inacceptables choses, qui fait de Stuart un très bon raconteur d’histoires. Peut-être parce que sa plume est dotée d’une sincérité qui survit à toute époque, malgré la naïveté de certains traits, ce côté vétuste, vintage, qui charment encore de nombreux lecteurs. Au final, surgira une incroyable réflexion concernant le fond de cette histoire. Car si, dans cette humanité future, les hommes arborent bel et bien les vaisseaux que jadis ils montraient du doigt dans le ciel de leurs avions à réaction, pourquoi il n’en irait pas de même concernant ces fameux « Krells » ? Le déclin des civilisations, notamment la nôtre, n’y aurait-il pas également une large place dans ce récit selon toute apparence simpliste mais puissamment évocateur. Et comment donc ne pas faire le lien ici avec les théories anciennes sur l’Atlantide, les écrits de Blavatsky qui nourrirent les horreurs du nazisme et du racisme primaire ; Comme si, reprenant soudain les livres de cette dernière nous nous rendrions compte, avec ce Livre/Film en transparence, combien cette Atlantide si célébrée par des générations d’illuminés et des rêveurs infantiles ne fut en fin de compte que seule responsable de sa chute. Et qu’en guise d’hommes-bêtes qui les cernaient ce ne fut que de l’intérieur d’où vint le plus terrible des dangers, cette « bête » folle, sans tenue, insaisissable. Et si ces « Krells » ce n’avait été qu’une autre humanité préludant celle que nous connaissons. Et si cette planète avait été la Terre tout bonnement, notre Terre. Une terre dotée d’une histoire officielle dont personne ne voudrait voir raconter son histoire secrète, plus ancienne, infâme parce que tombée sous la technologie la plus parfaite. Une autre histoire que certains voudraient voir oublier car contenant en puissance toutes les horreurs parsemant notre monde si plein de dieux, comme de vide ? Et si nous avions été punis par l’usage d’une trop grande science dont nous aurions fait un pouvoir sur nos corps, nos esprits, pire, sur les autres. Une punition exercée justement par ceux qui nous avaient crée ? C’est cette puissante interrogation qui nous vient en renfermant ce livre aussi court que sont gigantesques les Eons qu’il soulève. C’est peut-être à une leçon comme celle-là que nous invite ce récit autant délicieux à lire que non dénué de bon sens quand on sait dépister entre les lignes ce que sont ces « Krells » qui nous ressemblent tant. Et si nous étions « punis » sans le savoir car trop aveuglés par nos folies du « croire » et celles du « pouvoir » comme de « l’avoir ». Et si c’était nous, ces Krells du passé ou du futur anéantis par le virtuel ? Quand on voit ce que l’immense Spielberg fit avec le remake d’un film comme « La guerre des Mondes », on reste rêveur quant à la possibilité de voir un jour le même exploit accompli avec ce chef d’œuvre de 1956. Un livre essentiel à lire et relire.

Planète Interdite, W.J. Stuart, traduit de l’anglais par Nathalie Gara, collection Terra Incognita, éditions Terre De Brume, 191 pages, 18.50 Euros.

Emmanuel Collot





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