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  Sommaire - Livres -  G - L -  L’Horreur Tropicale
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"L’Horreur Tropicale "
William H. Hodgson

Editeur :
Terre De Brume
 

"L’Horreur Tropicale "
William H. Hodgson



Ainsi, c’est aux très prestigieuses éditions Terre De Brume qu’il est revenu ici la tache de reprendre le flambeau en republiant un joyau du genre. Par un auteur tout aussi illustre que Lovecraft en son temps et que nous nommerons William Hope Hodgson (1877-1918). Un auteur malheureusement fauché par le destin, lors de cette première boucherie du siècle où un éclat d’obus mis un terme à un auteur majeur dont l’œuvre, si elle s’était poursuivie, aurait certainement constitué quelque chose d’aussi essentiel que celle du solitaire de Providence. Hodgson, c’est un peu le chantre d’un romantisme contrarié, balbutié qu’il put être par une certaine malédiction familiale suivie d’une itinérance forcée (les héritages maudits, etc…) et en même temps imbibé d’un élément qui restera central dans son œuvre : l’eau, la mer, les océans. Mais bien plus, les calamités entités et créatures de la pestilence qu’elle peut engendrer. « L’horreur tropicale » dont Terre De Brume nous fait ici les honneurs d’une fort belle réédition sous l’égide du très compétent Dominique Poisson, son maître d’œuvre qui tient à bout de bras cette usine à rêves depuis plusieurs décennies, nous donne en quelque sorte un concentré de cette plume incroyable. Une plume qui touche toujours au cœur car Hodgson est l’une de ces dernières figures romantiques. Tant par la beauté de ses trames romantiques, comme dans « A la recherche du Graiken » où le fiancé endeuillé brave la fatalité factuelle d’une mort annoncée par la possibilité d’un « lien psychique » qui lui fera rejoindre et sauver sa dulcinée par-delà les océans hostiles, que par les éléments presque « cryptides » invoqués dans beaucoup de nouvelles. Ainsi, si l’élément salin est beaucoup plus impersonnel que chez un Jean Ray et son pôle « Gantois », c’est ce qui en émane, émerge, se débat et « colle » qui fait nous rend si étrangement familier ces « choses ». L’élément climatique semble à ce niveau-ci comme « bâillonné » au profit de cet épanchement « proto-spiritiste » (un lien télépathique) très en vogue à une époque où la guerre annonçait déjà la modernité tentaculaire du génocide planifié. Quand ailleurs (« Une voix dans la tempête), ce même élément climatique s’enfle et emporte tout avec lui. Devenant ainsi un dieu entraînant un naufrage où la survie prend les allures d’une bataille perdue d’avance. Hodgson personnifie cet élément, lui conférant les atours féminins des nuées grecques mais sans aucune autre motivation que d’annihiler ceux qui s’accrochent encore à un restant de stabilité, de solidité. Un élément aqueux rendant presque fou ceux qui osent encore le défier. Ainsi, les créatures de Hodgson proviennent d’une espèce d’océan primitif à la gémellité vertigineuse, une espèce de stase mêlée aux eaux de celui que nous connaissons. Quand ailleurs (« Le réservoir de la peur ») elle provient des remugles d’une humidité putride, les eaux d’un réservoir trop sale d’où se glisse la nuit une chose qui tue, étrangle, un monstre qu’on pense être un serpent mais qui échappe à toute identification. Ici, on sent déjà poindre les enquêtes d’un certain Carnacki. Et une autre récurrence inconsciente familiale à l’image du cheval maléfique chez cet enquêteur du surnaturel (« Le cheval de l’invisible). Et lorsqu’on quitte les terres où se cloître cette eau indicible dans un cluster de l’horreur c’est pour se plonger plus insidieusement dans l’immensité d’un liquide autant malsain que fécond (« A la recherche du Graiken »). On pourrait presque invoquer ici une cartographie du nauséeux car il y a du « localisé » chez Hodgson, on suit un itinéraire quoiqu’invoqué via cette pensée reliée à une autre (la « télépathie » non encore marchandisée). Et quand cet élément fait comme fusion, ébullition, pour y entraîner les nefs qui ont l’audace de le défier, Hodgson y instaure une sorte de singularité primitive transformant « la proximité élémentale » en une sorte de « banlieue marécageuse anglaise » où des choses, plus semblables à des limaces, des escargots, jusqu’à leur forme supérieure (les pieuvres) font le sièges des bateaux transformés en ultimes bastions de liberté surveillée. On s’y bat contre des hordes de rats (« L’Albatros »), on y résiste, on sonne du cor pour appeler à l’aide, quand on ne jette pas des bouteilles ou on harnache quelque oiseau pour porter le message par-delà l’angoisse de l’isolement forcé. La vision qui en résulte demeure néanmoins familière, sédentaire. Car malgré les distances incommensurables, Hodgson nous parle encore et toujours depuis son cottage anglais, comme le fit de ses martiens le sieur H.G Wells. Tellement bien qu’on finirait par croire que toutes ces choses mènent éternellement la même ritournelle à l’assaut d’un foyer familial où hériter est un problème, un danger entraînant des conflits, voire des vengeances, des crimes. On ose à peine y relever ici une « centralité Hodgsonienne » dans laquelle l’auteur énumère les maux, brisures et blessures qui ont entaché un passé qui se traduirait par ces histoires si singulières. Presque à confesse. Ailleurs, la mer prend les allures d’une instance assistant quelque vengeance suite à la maltraitance (le marin de « Le fantôme de Lady Shannon »). Le bateau fait ici figure de maison hantée, de lieu infernal où la farine grime le marin torturé en une espèce de Frankenstein vengeant ce que les maîtres de « la demeure qui vogue » ont pu faire de lui. Toujours cette malédiction du fils déshérité, de l’enfant rejeté, forcé à fuguer, comme le fit très jeune Hodgson. On retrouvera ce même « cluster » dans « La Maison au bord du monde » (Néo, Terre de Brume) où la claustration est renforcée par les assauts des terribles créatures porcines faisant ici figure de rats. Mais sous la forme d’une fin du monde, cela se doit d’être plus grandiloquent, prosélyte, nous sommes au bord du monde d’où surgit pourtant le verbe pure du « story teller ». L’héritage maudit accouche d’un autre héritage, encore plus prestigieux celui-là : l’art d’écrire. Seule exception dans ce recueil, « Eloi, Eloi, Lama Sabachthani » se démarquera de l’ensemble par son ton résolument moderne. Devrions-nous ici relever un autre aspect du déceptif Hogsonien vis-à-vis d’une religion avec laquelle il était aussi en conflit, car bien incapable de guérir son mal. Cette grimace entre-aperçue par le témoin du prodige ne serait-elle pas celle d’une réalité sordide qui absorbe tout ? Notre incapacité autant existentielle que physique à renouer avec un dieu « injoignable » ? La scarification volontaire pour revivre celle du christ semble elle aussi comme interdite, spoliée, et le titre même de la nouvelle comme la réponse à rebours pour un monde où la chair est définitivement condamnée. Avec au bout cette grimace terrible sur un visage qui ne traduit plus celle d’un demi-dieu implorant son père mais bien le cynisme d’un monde où croire est une gageure. Quant au bestiaire Hodgsonien, il se divise entre la faune la plus rébarbative (les rats) et une ménagerie la plus élaborée (gastéropodes géants, pieuvres, hominidés porcins). Mais tous participent à cette même apocalypse de l’héritier déchu, l’interdit de l’héritage mi campagnard mi urbain que dissimule William Hope Hodgson. Et c’est bien cette fragilité sociale toujours en conflit avec une autorité injuste et courroucée qui fait de cette œuvre quelque chose d’aussi grandiose. Avec quelque part ce cri pour s’accrocher encore, chercher l’amour perdu/interdit (« Le Pays de La Nuit », Opta, Néo, Terre De Brume) à l’image d’Orphée et Eurydice, voire l’Enfer de Dante. Sauf que l’Enfer de Hodgson est humide, moisi, collant, valsant, nauséeux, râpant, à l’image de cette mer intérieure, celle d’une pensée restée dans l’abandon des autres, la quête d’un amour improbable et la déchéance d’un héritage légitime. Ce qui renforce ici la figure de l’éternel romantique en la personne d’un homme très beau incarnant la figure du mal aimé. Ce « William » qui d’un seul coup fait écho à notre si navrante modernité où le sexe pour le plaisir est un crime et l’amour un impératif hypocrite, bourgeois, mercantile, quand il ne devient pas tout simplement un hygiénisme communautariste raciste excluant ceux qui n’ont pas les mêmes dieux ou sans dieux, pas de même race, pas le même régime alimentaire ou on ne sait quelle bande dotée de gri-gri pour assurer la descendance de la famille. En refermant ce fort bel ouvrage on regrettera seulement de ne pas avoir eu la chance d’emprunter la machine à voyager dans le temps de Wells. Remonter le fil des existences douloureuses à un moment particulier de la vie de Hodgson pour, par un geste héroïque, lui éviter cet éclat d’obus si injuste. Ceci pour savoir enfin comment se terminerait son histoire à travers toutes ces histoires. Et nous dire en notre fort intérieur que tout écrivain de ce genre est aussi une enquête à lui tout seul. Fascinant. Saluons encore une fois Dominique Poisson, pour nous rendre à nouveau lisible la si belle introduction du grand François Truchaud (1941-2020) jadis rédigée pour le compte des éditions Néo. Dans « A la recherche de W.H. Hodgson », Truchaud nous rappelle combien cet auteur attachant avait autant d’importance que Lovecraft lui-même. Et que nous gagnerions beaucoup à le relire et lire entre les lignes. Un art de préfacier qui n’est pas sans rappeler aussi que Truchaud fut et restera le plus grand traducteur de ces « maudits » que furent Howard, Hodgson, et tant d’autres. Qu’hommage soit ici rendu à l’un des plus grands traducteurs français de ces cent dernières années.

L’horreur Tropicale, William Hope Hodgson, Editions Terre De Brume, traduit de l’anglais par François Truchaud, 127 pages, 15 Euros.

Emmanuel Collot





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