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  Sommaire - Livres -  A - F -  Le Dragon de Lune
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"Le Dragon de Lune"
Vladimir Bogoraz

Editeur :
Editions Callidor
 

"Le Dragon de Lune"
Vladimir Bogoraz




Collection « L’Âge d’Or de la Fantasy »

Youn le Noir, grand Shaman d’une tribu isolée dans les glaces lointaines sait que les « Visages Gris » ne viendront jamais malgré ses suppliques à tous les dieux qu’il connait, malgré ses insultes aussi. Car Youn et sa tribu ont faims, et il sait que les femmes qui vivent séparés de leurs hommes attendent beaucoup d’eux, de leurs chasses, de leurs exploits. Aussi, en cette nuit glacée, il va invoquer Le Dragon de Lune, entraînant tous les siens (les Ankis) dans un très long périple où bon nombre de morts essaimeront leur chemin. La douce Ronta, Yarri le jeune intrépide fugitif et Dina la chasseresse accompliront la grande geste où au bout du périple la lance devra défier Le Rek de Lune, celui qui attend dans la montagne pour révéler les rites de l’amour-sacrifice et le grand duel final sous le lune et la soleil…
Nourris des plus lointaines traditions de ces celtes sibériens, que ce soit les récits oraux des fameux Evenks de Sibérie (Le Preux Sodani, Le Preux Develtchen), mais aussi les traditions orales des Thouktches, l’auteur nous ressert ici une sorte de mixture ingénieuse en phase avec son temps. Mais il a en outre cette audace qui est de laisser le mot finale non plus à la tradition héroïque qui emprisonnerait le lecteur dans une issue imposée mais bien le choix pour ce dernier de lui donner sa conclusion finale en fonction de sa propre vision sur le mythe draconien. Et ce choix est loin d’être anodin. C’est donc bien ce « blanc » qui installe ce roman parmi les récits les plus modernes du genre. Bogoraz le dira lui-même dans son épilogue en fin d’ouvrage. Cette fresque comme beaucoup d’autres n’existe que pour faire l’apologie des révolutions, y compris à l’intérieur des vieilles révolutions. On sent ici les pointes du rebelle au système, notamment au système soviétique qui vaudra d’ailleurs à l’auteur un exil dans la toundra glaciale de la Sibérie. Et de ce Goulag il en ramènera cet incroyable « Le Dragon de Lune » dans une langue affectée d’un certain décadentisme le tout mâtiné des nuances du symbolisme. Car suite à son exil, Bogoraz était devenu l’un des ethnologues les plus réputés au monde. Et cela se sent dans cette histoire qui, sans rien abandonner au pur spéculatif ennuyeux d’une étude sur les premiers peuples, nous parsème le récit d’éléments résolument innovants et modernes. Comme pour indiquer la voie à un imaginaire slave encore trop tenu par la bride et qui ne commencera vraiment à prendre son essore qu’au tournant des années 70. Dans cet univers, on dit « Le Lune » ou « La Soleil », l’inversion féminin masculin permettant justement cette bipolarité fascinante qui indique qu’on est dans un autre rapport linguistique autant que géographique et ethnique. Et pourtant, comme dit un peu plus haut, la fin nous rapproche résolument de notre monde moderne. En rationalisant comme il se doit son romanesque, Bogoraz fait de son dragon une sorte de cryptide à l’image du monstre du Loch Ness ou celui du Lac Champlain en occident. Et au risque d’extrapoler la chose nous serions grandement tentés de deviner dans cette subtile fioriture mythologique quelque « entre-deux » qui bien avant que cela n’arrive délimitait déjà ces deux mondes d’avant la guerre froide. Avec d’un côté l’image du Dragon comme emblème et ciment national des vieilles nations, et de l’autre cette image imminente du cryptide écailleux à tête de cheval en tant qu’objet de la culture de masse prompt à enrichir les petites villes et forger des mythologies campagnardes. Juste assez pour nous le rendre commun, pas assez pour manquer de nous indiquer en blanc ce qui doit achever l’histoire. Car c’est bien « ce blanc » qui fait de l’auteur un initiateur, entre le grand empire et sa bannière du dragon et l’ère soviétique avec ses ustensiles agraires et ouvriers (le marteau et la faucille). Entre le prohibitif establishment communiste et le permissif empire capitaliste où tout devient loisir. Comme d’un révélateur dont la fonction primitive serait d’éveiller le lecteur à l’écriture la plus subversive car détachée de ses modèles. Fonction secrète didactique, cette fantasy préhistorique là dépasse largement le simple amusement pour inviter chacun à s’inventer, tout simplement, à ne plus être tributaire des cadres. Fascinant et plein d’enseignement, ce livre unique est à lire en priorité. Ne serait-ce que pour se rendre compte combien cette « littérature des bords » n’a finalement pas de frontières ni de chaines. Encore une remarquable trouvaille des éditions Callidor, et de son grand maître d’œuvre : Thierry Fraysse. Superbes illustrations intérieures d’Asthenot.

Le Dragon de Lune, Vladimir Bigiraz, Collection « L’Âge d’Or de la Fantasy », éditions Callidor, traduit du russe par Viktoriya & Patrice Lajoy, illustrations d’Asthenot, 285 pages, 20 Euros.

Emmanuel Collot





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