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"Patrick Tatopoulos (Malefique le pouvoir du mal)" de Marc Sessego
SFMAG : Très beau film. Comment es-tu arrivé dessus ?
PT : Mon agent m’a appelé, il m’a dit il y a le réalisateur de « Pirates des Caraïbes » qui voudrait te rencontrer pour « Maleficent ». Et je me suis dit « Maléfique 2 », je ne sais pas. On va t’envoyer le script. J’ai eu l’impression que ça allait peut-être être la même chose que le premier qui était superbe, donc il n’y a pas besoin de quelqu’un d’autre pour réinventer. Et quand j’ai lu le script, j’ai vu qu’il y avait d’autres mondes, on regarde dans une autre direction dans le monde de Maléfique, donc je me suis dit « ça peut être intéressant ». J’ai donc rencontré Joachim, on a bu un café ensemble, le courant est bien passé, ce qui est clair est que la chose qui lui a plu chez moi, c’est que j’ai amené un sketch book, puis j’ai commencé à dessiner des idées et il a craqué. Il a vu que je n’étais pas qu’un designer, je pouvais directement designer avec lui. On a eu un super meeting, et puis on s’est dit OK et on a démarré. Je dois dire que je n’étais pas le candidat typique pour ça.
SFMAG : Qu’est-ce qui t’a plu au niveau du script ?
PT : Moi ce qui m’a plu c’est qu’il y avait un monde de créatures mélangé à un monde surréel mélangé à un monde médiéval, j’ai beaucoup aimé le château, j’ai aimé l’idée qu’il y avait un côté médiéval nouveau. Je savais que le château venait d’être fait, j’ai tendance à avoir beaucoup de texture dans mes films, j’aime beaucoup les choses très texturées et je me suis dit : « tiens c’est intéressant, je peux faire un truc différent cette fois-ci ». L’histoire qu’on voyait les fées, on ne savait pas à l’époque quand j’ai pris le script ce qu’elles allaient être, je pensais qu’elles étaient juste créatures, juste ceci, juste cela, le fait qu’il y ait le phœnix à la fin est quelque chose que je voulais faire. Pour retourner un peu à ce que j’ai fait dans ma carrière, ça a toujours un côté créature mélangée avec des décors, et je me suis aperçu que pour moi il y avait une possibilité de jouer avec les deux éléments. Jouer avec les créatures des fées, jouer avec le phœnix et avoir des décors de château à des grottes, choses surréelles dans un autre monde, un village médiéval à construire, des forces magiques, le château d’Aurore qui était un truc super excitant à faire. Beaucoup de choses, beaucoup d’univers en fait, avec des textures différentes, ça m’a beaucoup plu. Il y a un gros potentiel pour beaucoup de designs.
SFMAG : Comment démarres-tu ?
PT : Ça c’est moi. Il faut que je fasse une petite parenthèse qui est marrante, je l’ai décidé et je l’ai encore plus décidé récemment, après que j’ai eu un contact avec une compagnie qui rachète des accessoires. Ils rachètent des accessoires des anciens films, et je me suis aperçu qu’en fait aujourd’hui, dans le monde du cinéma les trois quarts des choses que l’on fait sont digitales, et digitale ça n’existe pas. Ce n’est pas palpable, c’est quelque chose que tu ne peux pas toucher. La dernière fois quand j’ai fait « Batman », j’ai fait la Batmobile sur un morceau de serviette à Starburck (on rit), quand le réalisateur m’a demandé si je voulais faire le film, je lui ai dit « Putain, oui ! », mais c’est la même batmobile, et il m’a dit « non, non, non, tu peux la faire ! » donc je suis parti à Starbuck et j’ai fait mon dessin. Je lui ai montré le dessin. Ce dessin-là est sur papier et ce papier-là sera toujours quelque chose d’unique, tu vois ce que je veux dire. Déjà le design il est important pour moi, et non seulement je le faisais toujours avant, mais je suis encore plus décidé à le faire maintenant. Quand je commence un film tout est fait autour de dessins, sur papier unique et à partir de ce moment, on met sur ordinateur, on développe, on fait les concepts arts, on fait tout le truc, mais les premiers jets, et même pendant la production c’est toujours dessin, dessin. C’est la seule chose qui restera un jour. C’est la seule chose qui est vraiment palpable, en tant qu’objet unique de ce film. Le reste... Maintenant on travaille aussi avec beaucoup de digital, on travaille constamment en digital, mais j’aime bien toujours commencer comme ça.
SFMAG : C’est sûr que la Batmobile elle est canon.
PT : Ça, ça me fait plaisir de l’entendre. On est vraiment fier de cette caisse, elle est spéciale. J’attends avec impatience la nouvelle. Un des mecs qui a travaillé sur la mienne, il travaille sur la nouvelle, il y a un truc unique quand même sur la batmobile il n’y en a que six qui ont été faites. La batmobile a été l’un des grands moments de ma vie.
SFMAG : Quels challenges as-tu eus toi en tant que designer ?
PT : Le plus gros challenge qu’on a eu en fait, c’est que dès le départ j’ai dû décider avec le réalisateur de travailler sur les fées, c’était quelque chose d’important au départ. Mon plus gros challenge, ça a été ça. Ça aurait pu être fait par le département des costumes et je me suis retrouvé à designer ça pendant des mois. Mon job a été doublé. J’ai fait le monde du décor, mais j’ai fait le monde des fées, le phœnix qui sort à la fin du film je l’ai designé beaucoup plus tard donc ça, ça a été autre chose. Mais les fées… on n’avait pas vraiment une idée claire de ce qu’elles allaient être. On est parti dans des mondes de créatures… moi j’étais vraiment excité au niveau design et on a eu des créatures hallucinantes, puis, j’ai rencontré Angelina, et elle me dit : « Patrick c’est superbe, mais il y a un truc, ces fées doivent me ressembler, elles doivent être comme moi, sinon je ne peux pas me sentir similaire à elles. Comme on dit plus « Primeval ». Et elle a été de l’autre côté en disant il faut qu’elles soient plus humaines. Ça, ça a pris des étapes incroyables, il y avait des visions un peu différentes, le réalisateur avait sa vision, mais ça, c’est normal, c’est inévitable, mais ça m’a forcé à travailler sur ces fées pendant tout le film jusqu’à la fin, jusqu’à ce que le make-up, le maquillage viennent travailler dessus. Et là, j’ai laissé tomber, ce n’était plus mon monde. Les costumes sont arrivés, ils ont pris toutes les influences qu’on a créées, ça a été des mois de développement. Le challenge c’était de ne pas laisser tomber les décors et de faire les fées en même temps.
SFMAG : Avais-tu la liberté sur le film ou y avait-il des barrières ?
PT : On n’a jamais vraiment des contrôles absolus, c’est le seul truc important qu’il faut se mettre dans la tête. Un studio comme Disney… ils ont été absolument géniaux. Sincèrement ça a été un plaisir de le faire avec eux. Les producteurs autour de nous sont des gens intelligents, qui connaissent leur boulot, qui ont des visions, tout le monde a une vision. Mais ce n’est pas devenu un amalgame de visions où tout le monde te dit ce qu’il pense. On parlait, on parlait, ce n’était pas une question de pousser dans une direction ou une autre, le réalisateur, Joachim, c’était lui la personne en charge, mais il y avait constamment des dialogues, quand il amenait des choses, le studio réagissait. Je crois que la chose la plus importante au niveau du développement, du design, c’est quand on a commencé à parler avec Angelina. Elle est l’une des femmes les plus intelligentes que je connaisse, vraiment, incroyable.
SFMAG : Entièrement d’accord.
PT : Je n’avais aucune pré-idée sur elle, mais on a été à fond dans les discussions, les cessions de dessin avec elle, ce n’est pas seulement qu’elle est intelligente, mais c’est sa passion. Elle est rentrée à fond dans les discussions avec le réalisateur, son approche était une approche passionnée, mais aussi celle d’une femme très intelligente. C’est vrai que parfois il y a eu des désaccords entre eux, mais pas d’une manière dramatique juste que je me suis retrouvé à bosser entre les deux pour la vision finale. Mais ça a été une expérience super fun pour moi, différente de ce que j’ai pu faire.
SFMAG : Le décor le plus compliqué ?
PT : Le plus compliqué c’est peut-être la maison d’Aurore au début, pour une raison : un décor gigantesque. Le décor était énorme et truffé de verdures avec beaucoup de plantes. On l’a construit d’une manière traditionnelle, avec des éléments de roches sculptés, le saule pleureur était construit à cent pour cent, mais l’herbe était réelle… beaucoup de fleurs étaient réelles, et tout ça devait être maintenu vivant en fait, alors qu’on filmait avec toutes les caméras, toutes les soirées on était obligé de retirer une grosse portion de l’herbe, remettre de l’herbe ; c’est un décor qui a été très complexe, énorme et à cause de tous ces éléments de naturel mélangés avec de l’artificiel ça a été un truc de fou. Mais la récompense était incroyable pour tout le monde, on a commencé le tournage avec ce décor et ça a amené tout le monde dans un truc tellement énorme, tu rentrais là-dedans c’était tellement phénoménal, l’intérieur où elle habite, faire le design sur un truc comme cela ça a été spécial. Le plus complexe dans un sens c’était la stratégie du monde des fées, ce décor un peu théâtral, c’était un vœu du réalisateur, il voulait quelque chose qui fasse très opéra. Et donc c’était des rochers très plats. Et ça pour les fées, comme on savait qu’il y allait y avoir beaucoup d’effets visuels, c’était de ne pas dépenser une fortune. J’ai donc fait une sorte de décor générique, avec des rochers, des falaises, comme un puzzle en quinze pièces. C’était énorme, dix pieds par trente-cinq pieds et on bougeait tous ces éléments, le tout monté sur des roues et on pouvait créer cinq ou six différents moments. Et ça a été pensé vraiment plus en détail pour utiliser un gros décor et le transformer en dix décors différents, ça a été le truc le plus intéressant.
SFMAG : Quelle est pour toi la plus belle scène vis-à-vis du décor ?
PT : Moi ce qui m’a le plus plu dans le film c’est la série de scènes entre la reine qui écoute le roi, quand on voit sa chambre. Elle descend, va dans cette pièce, tourne la tête dans son dressing, j’ai aimé cet enchaînement de scène. En l’espace de deux minutes, elle démarre de la chambre du roi dans sa pièce, puis elle descend les escaliers, elle passe le pont et elle descend en bas où le gars fait ses trucs chimiques. Ça m’a plus dans un enchaînement de scènes. En fait c’est un moment où j’étais super surpris. Très souvent on rentre dans un décor, on y est, c’est beau, c’est sympa, mais là c’était un enchaînement rapide de quatre ou cinq décors, et ça j’ai trouvé que c’était un moment dans le film, une richesse à regarder parce que ça s’enchaîne et il y a un bon enchaînement organique, qui est sympa, avec les caméras, mais aussi au niveau des décors comment ils fonctionnent bien avec les autres… Ça, c’est ma scène préférée. La scène qui m’a presque donné la chair de poule c’est la scène du phœnix de la fin. Quand il apparaît, parce que ça a été mon bébé, le truc... je me suis battu pour ce phœnix, parce qu’au début ça devait être un dragon… pourquoi un dragon ? Tout le monde fait des dragons, et moi j’ai toujours pensé qu’elle a des ailes d’oiseau et pas des ailes de dragons. C’est une fée, elle peut faire ce qu’elle veut, mais le côté essentiel des origines de ce qu’elle est, c’est le phœnix qui était dans la grotte. Phoenix est à moitié entre un oiseau et un dragon, j’ai trouvé ça beaucoup plus intéressant. Parce que tu ne vois pas des phœnix au cinéma, très peu, et je me suis vraiment battu pour ça. Mon phœnix au final avait un bec plus long, là aussi je ne voulais pas qu’il ressemble trop à un griffon, je me suis battu un peu, mais à la fin on a coupé le bec à moitié de la longueur de ce que je voulais, je voulais que le bec soit un long bec, c’est vachement rare. Et au bout du compte quand il est apparu sur l’écran, après tous les boulots qu’on a faits, j’ai trouvé qu’il était animé superbement, il était impressionnant, et ça m’a vraiment donné la chair de poule. C’est vivant, ça bouge, ça a de la personnalité, un décor tu te dis « ouah c’est bien sorti ». Quand c’est une créature, c’est comme les créatures de « Underworld », tu les vois bouger, j’ai eu ce moment, il ne se passe pas grand-chose, il est tout de même assez statique, mais c’est glorieux, j’ai aimé.
SFMAG : Vous avez vraiment monté des décors ?
PT : Les décors sont fabriqués, ils sont énormes, on a fabriqué énormément, et ça, c’est dommage dans la presse vous n’avez pas toujours accès à toutes ces choses-là. Aujourd’hui on s’y attend. Dans le processus, comme pour les « Avengers » ou n’importe quel autre titre, au niveau du département artistique on crée ces décors, le château il n’est pas construit, c’est nous qui le désignions, donc on le crée en 3D. Les jardins entiers sont faits en 3D, et on donne ce document en 3D, aux effets visuels. Si maintenant je construis un balcon, comme on voit dans le film, je sais que mon balcon va aller parfaitement sur mon château parce qu’il est construit en rapport du château, donc ce que nous faisons, au niveau du département artistique qui a la vision complète du film, je sais qu’en France il y a le chef décorateur, on se perd un peut. Ça n’a pas changé en France, on utilise toujours ça. Le chef décorateur ne fait pas que cela, il s’occupe de tout le monde. Je ne veux surtout pas donner l’impression d’être prétentieux, mais on est avec une équipe énorme de designers qui bossent ensemble pour créer la vision du film. Ça dépasse ce qui est construit et une fois que c’est fait en 3D, le village a été fait en 3D complète avec le château, sur un programme Maya 3D construit à 100 %, et moi je pouvais extraire des parties avec le réalisateur et il me disait j’ai besoin de ça. On construisait ça et avec les autres design3D, on savait que vis-à-vis des autres équipes, tout le travail allait s’intégrer parfaitement. Donc tout commence comme ça. Ça a beaucoup changé depuis l’époque où j’ai démarré, en fait maintenant le département artistique/designer, doit créer le look complet. J’ai travaillé avec des réalisateurs qui ont besoin de très peu, ils veulent tout faire en CGI, c’est plus simple et le cas de Joachim, qui est un réalisateur qui veut du décor. Il y a eu des batailles un peu avec le studio au début, Joachim est un mec avec qui j’ai adoré bosser, car il veut marcher sur le décor. On a vraiment construit des choses énormes. Et ça, c’est satisfaisant. Ce qui m’intéresse vraiment le plus c’est le look du film. L’équipe par exemple qui a fait le jardin d’Aurore était une équipe incroyable, on avait cinquante personnes, des fleurs une par une, les autres mettaient les champignons, des choses que tu ne verras jamais dans le film. Le saule pleureur il est construit, chaque branche est faite à la main, des choses comme ça. On aimerait que les gens puissent le voir. C’est fascinant de voir le boulot et les personnes qu’il y a derrière.
SFMAG : C’est très vieille école
PT : Oui et d’un autre côté tu as un film comme « Le Roi Lion » qui est entièrement digital. Mais de voir que les traditions fonctionnent toujours, les acteurs adorent ça. Les acteurs aiment bien être dans un contexte. Will Smith est allé passer une journée entière dans sa chambre sur « I, Robot », pour ‘sentir le décor’. J’ai eu la même chose sur « Total Recall » avec l’acteur qui a couché deux nuits de suite dans son appartement. Ils aiment ça, ils ont besoin de ça. Si ton appartement c’est un écran vert, euh... bon... OK (on rit), tout est maintenant super intéressant dans le cinéma, mais je crois que l’on ne perdra jamais le côté décor, il y aura toujours un titre de film qui aura ce genre de truc. Mais pour un designer comme moi, peu importe. Disney peut appeler pour faire un film complètement digital, ce qui les intéresse c’est la vision, si c’est construit ou pas, moi j’aime bien les deux.
Propos recueillis par
Marc Sessego
le 13 janvier 2020
Sincères remerciements à Patrick Tatopoulos ainsi qu’à Cassiopea Bassis de l’agence Cartel.
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