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Sommaire - Interviews -  Niko Henrichon


"Niko Henrichon " de Damien Dhondt


Comment êtes-vous arrivé au métier de dessinateur ?

Quand j’étais étudiant. Je suis né au Canada (maintenant je vis en France). À l’époque du collège (ce qui correspond à la fin de votre lycée), entre 17 et 18 ans, j’ai fait un cursus de sciences humaines, cela inclut la géographie, l’Histoire, toutes les sciences humaines. Cela ne me plaisait pas du tout. Je savais déjà dessiner, mais je ne me voyais pas exercer cette profession, même si mes parents m’encourageaient à prendre cette voie-là. C’était plutôt moi qui étais réticent. Je ne connaissais pas trop ce milieu de la bande-dessinée. Au Canada nous n’avons pas vraiment d’industrie de la bande-dessinée comme en France ou aux États-Unis. On connaît l’industrie américaine côté canadien-anglais. De mon côté on connaissait en gros les séries franco-belges connues comme les Schtroumphs, Gaston Lagaffe, Astérix. Mais cela s’arrêtait là. Au collège, pendant que j’étais en sciences humaines, j’ai découvert de la BD pour adultes. J’ai tout découvert Thorgal, Pratt, Moebius, les séries comme XIII ou Blueberry : c’était un monde que je n’avais jamais connu. Cela fait un peu bizarre. Mes parents n’étaient pas lecteurs de BD. On ne baigne pas là-dedans quand on vit au Canada. Je pensais que la BD franco-belge c’était forcément de la BD pour enfants. En réalisant que ce n’était pas du tout le cas j’ai réalisé que je pouvais peut-être en faire un métier. C’était peut-être jouable parce que je savais déjà dessiner. Ensuite, j’ai fait une école d’arts classiques et suite à ça il y avait à Liège une superbe école de BD : St Luc. J’y ai suivi les cours pendant trois ans. En sortant de l’école j’ai proposé mon dossier à tous les éditeurs qui existaient tant en France, en Belgique qu’aux États-Unis et puis bizarrement, c’est un éditeur américain qui m’a donné mon premier contrat professionnel.

Une carrière en bande-dessinée cela se construit petit à petit. Si on veut durer il faut construire au moins une œuvre qui soit un peu marquante. Moi j’ai fait « Pride of Baghdad » : une histoire avec des lions à Bagdad suite à la guerre en Irak qui a un peu marqué le monde de la BD. Grâce à ce livre-là je suis un peu connu par tous les éditeurs, tant dans les comics que dans la franco-belge. Avec un livre comme ça on trouve plus facilement des propositions pour faire des projets de bande-dessinée. Je n’ai jamais fait un livre qui se soit vendu autant. Je ne me plains pas, c’est juste une observation. Ce livre m’a placé comme un auteur important. C’est une œuvre personnelle. J’ai collaboré facilement avec Brian K. Vaughan, qui commençait à l’époque. Aujourd’hui c’est une super-star de la BD. Je le remercie, puisque c’est grâce à lui que j’ai des livres qui se vendent. Chaque fois qu’un livre de Brian a un succès ses anciens livres se vendent un peu et moi cela m’intéresse. Pendant un an on a réalisé 128 pages. Cela s’est fait très très vite. Aujourd’hui Brian K. Vaughan a une telle notoriété qu’il pourrait demander à n’importe quel artiste de dessiner pour lui. Mais il ne travaille jamais deux fois avec la même personne.

Quelle est la différence notable entre la bande-dessinée franco-belge et les comics ?

Mon intervention dans la BD franco-belge a débuté à l’occasion de l’univers des Méta-Barons. Cela ressemblait presque à des comics puisque c’était dans des univers déjà existants. Dans les comics on travaille sur des personnages que l’on n’a pas créés. Dans le cas de Noé c’était un projet où le scénariste est aussi un réalisateur de films. Il avait déjà un projet prêt pour le cinéma. Les personnages existaient déjà dans le scénario du film. Dans le cas de la BD franco-belge classique normalement c’est un scénariste et un dessinateur qui vont voir un éditeur sur un projet. Donc même en franco-belge j’ai un peu travaillé comme sur un comics du point de vue éditorial.

La grosse différence entre les comics et la BD franco-belge c’est la taille de la page. Dans la BD franco-belge il y a plus de cases. La narration est orientée de manière différente alors que les comics c’est un petit format, cela se lit un peu plus vite. Le format cela change la façon de travailler. J’aime bien les deux, mais j’ai tendance à plutôt revenir au comics. Dans les comics il y aussi cette rapidité. Ils sortent régulièrement, c’est mensuel, le fait qu’il y ait des deadlines serrées dans les comics pousse un peu à une production régulière et assez intense.

Comment travaillez-vous ?

Après deux projets dans les comics où un coloriste s’occupait de la couleur, j’ai décidé de faire ma couleur. Cela a tout changé dans l’aspect visuel. Quand on colorie soi-même ses pages il y a une espèce d’homogénéité qui s’installe et cela procure un résultat qui peut être agréable. Je ne suis jamais revenu en arrière.

On commence par un story-board assez bref, version « croquis de la page », très très sommaire. On précise un peu avec ce qu’on appelle un « crayonné ». Aujourd’hui avec le tout digital, ce n’est plus vraiment du crayon, ni de vrais pinceaux. Mais on ne fait qu’imiter les outils traditionnels.

En Europe pour la BD franco-belge je passe plus de temps sur une planche parce que les délais sont plus longs. En gros je fais un album, d’une cinquantaine de pages par année, une page par semaine, alors que dans les comics c’est 20 pages par mois (les pages sont deux fois plus petites). Le public franco-belge est plus exigeant en termes de détail et de décor.

Il s’agit vraiment de deux univers différents. La franco-belge est plus considérée comme un art, tandis qu’on travaille à la pige chez Marvel et DC.

Cependant la saga des Méta-Barons est le plus gros titre vendeur après l’Incal. L’Incal c’est des ventes par millions. C’est un gros avantage. On a déjà un public acquis. On a cherché beaucoup de dessinateurs pour faire les Méta-Barons, mais il y a eu des problèmes de désistements. Moi, j’ai foncé la tête baissée. Cela a été bien reçu, mais cela peut faire peur. Je ne sais pas pourquoi certains se sont désistés. La saga des Méta-Barons est une série qui a eu tout un lot de fiascos éditoriaux. Plein de dessinateurs ont abandonné la série, soit en cours d’album, soit même pratiquement terminée pour des raisons de fiabilité, de deadline.

Est-ce que le dessinateur peut apporter sa contribution au scénario ?

Partiellement, cela dépend du scénariste. On peut proposer des choses. En franco-belge un scénariste est assez cadré dans son scénario. Par contre dans les comics j’ai même reçu des scripts où on me disait « dans les trois prochaines pages tel et tel se bagarrent » (pour trois pages je faisais ce que je veux). Cela arrive fréquemment. Mais dans le scénario des grosses séries américaines, une grosse part de l’écriture est faite par l’éditeur qui donne souvent le début et la fin de l’histoire. Tous les numéros sont reliés. C’est un univers complet. Quand on travaille sur les Avengers ce qu’on fait sur Captain América doit se retrouver dans sa propre série, de même pour Thor. Souvent l’éditeur a un rôle super-important dans les grandes lignes du récit, ce qui n’est pas le cas dans la BD franco-belge. D’ailleurs, je ne sais pas ce que les éditeurs y font.

Il a existé un crossover entre « Les Petits hommes » et « Le Scrameustache ».

Ah, quand même. Là, l’éditeur a travaillé. Il faut tout synchroniser dans les crossovers. Dans l’univers Marvel c’est des dizaines et des dizaines de titres. Par contre pour les comics indépendants c’est pratiquement comme la BD franco-belge.

Pour Marvel les éditeurs se réunissent dans un « brainstorming » et donnent la ligne Marvel pour la prochaine année. Ils font des plans pour savoir ce qu’il y aura comme événements spéciaux où tous les personnages se rencontrent pour combattre un ennemi commun. Le gros des lignes éditoriales de chaque éditeur et chaque sous-éditeur se met en place. Après chaque éditeur fait comme il veut tout en demandant à la permission à la hiérarchie de Marvel Comics. Il faut demander la permission pour tout. Les couvertures sont approuvées par des comités très industriels comme le contrôle, la qualité. C’est très bureaucratique. Ce n’est pas très indépendant comme façon de faire. C’est vraiment super-contrôlé. J’ai l’impression que ce sont les éditeurs qui demandent au scénariste de faire des propositions sur tel personnage en fonction de tel ou tel thème. L’éditeur donne souvent le début et la fin le scénariste met les détails. Dans certains numéros j’ai souvent une première version de script et en cours de route on va ajouter une page qui fait référence à un n° d’une autre série. Ainsi j’ai dû dessiner le baron Mordo, l’ennemi de Docteur Strange, en train de discuter avec Captain América, même si cela n’a rien à voir avec notre histoire. Cela arrive couramment que l’éditeur demande des modifications au scénariste. Il y a beaucoup d’intervention de la hiérarchie dans les comics américains à la différence de la franco-belge où les auteurs sont laissés à eux-même pratiquement, même s’il doit y avoir des corrections de dessin.

Est-ce que vous intervenez dans le design ?

Sur le Méta-Baron il y a des choses que j’ai dû créer sur des vaisseaux spatiaux, sur des environnements. Mais je travaillais sur le 3° tome d’une série de 8. La mise en place visuelle reste marginale. J’ai plus fait du design sur Noé. Le script était écrit. Il y avait des idées, mais c’est un état brut univers imaginaire dans lequel l’image évolue.

En ce qui concerne mon comics impliquant les Skrulls (qui sont présents dans le film de Captain Marvel) il fallait que les personnages soient verts et aient de longues oreilles. Ce qu’il y a de bien c’est que les Skrulls se métamorphosent. On peut faire un peu ce qu’on veut. L’intérêt de la série c’est d’avoir des métamorphoses tout le temps. Je me suis un peu inspiré des Skrulls de Jack Kirby dans les sixties. Mais on a essayé de les faire plus humanisés. L’histoire tourne autour d’eux. Ce sont les protagonistes de l’histoire. Je ne pouvais pas leur donner la tronche qu’ils ont dans les versions « monstres » de Jack Kirby, même si cela reste des bonhommes verts avec de grandes oreilles.

Le scénariste m’a envoyé une histoire qui devait être publiée au moment où les Skrulls se retrouveraient dans le film « Captain Marvel » et il proposait une histoire qui n’a rien à voir avec le film. Le film se passe dans les années 90 et donc il y aura forcément les technologies de l’époque, il n’y aura pas de téléphone portable comme aujourd’hui, tandis que notre histoire se passe maintenant. L’histoire n’est pas reliée, par contre elle peut servir de tremplin pour les gens qui ne connaissent pas les Skrulls. Cela permet de s’intéresser aux personnages par le biais de cette série-là, mais les deux histoires ne sont pas reliées… à moins que je me trompe parce qu’il arrive des surprises quand on travaille chez Marvel. C’est une mini-série en cinq numéros. Je travaille actuellement sur le 3° et je ne sais toujours pas ce qui va se passer dans le 4° numéro. J’ai en gros les grandes lignes de la série. Il est possible qu’il y ait une relation avec Captain Marvel. On m’a dit qu’elle pourrait apparaître vers la fin de l’histoire. Mais je n’ai aucune idée si c’est relié ou non avec le film.

Comment voyez-vous l’avenir de la bande-dessinée ?

On me dit que le marché de la franco-belge c’est le 2° marché après celui des mangas japonais et c’est un marché qui ne perd pas en P.I.B. , même si chaque album se vend de moins en moins. Mais il y a plus d’albums. Quand on prend le chiffre d’affaires de tout le marché franco-belge cela reste élevé. C’est même en augmentation certaines années. Quand un album d’Astérix sort ce titre unique fait monter le marché. Donc pour le marché franco-belge j’aurais tendance à ne pas trop m’inquiéter. Mais c’est compliqué pour les auteurs. Tous les albums qui sortent cela réduit un peu la part du gâteau pour tous les auteurs. Il y aura toujours des séries qui s’en sortiront bien. Si on a un bon album il y aura toujours la place pour qu’il soit reconnu apprécié et puis vendu.

Les comics c’est autre chose puisque c’est vraiment des industries qui sont adossées au cinéma. Marvel est adossé aux studios Marvel. L’animation, les séries TV, les films, les jeux vidéo, c’est énorme. Tout le pôle bande-dessinée Marvel ne représente pas un gros budget par rapport à un seul film Marvel. C’est un peu le petit joueur dans l’univers multimédia du cinéma et des jeux vidéo. Mais il faut quand même qu’il y ait des scénarios, qu’il y ait une base provenant de la bande-dessinée. Tous les derniers films de Marvel viennent des scénarios (transformés) de BD classiques, même des BD plus récentes. Le dessin-animé de Spiderman s’inspirait aussi de différentes séries de Spider-Man du Multiverse. Le jour où le président de Disney (car Marvel appartient à Walt Disney maintenant) dira que Marvel perd de l’argent (c’est vrai que ce n’est pas forcément rentable) ils vont juste engager des gens qui vont faire des storyboards, qui vont écrire des histoires et on va se servir de ça pour faire les scénarios de films.

Comment voyez-vous l’avenir de la BD en ce qui concerne l’évolution technique ?

Quand j’étais à St Luc (en 1997-2000) il n’y avait même pas d’ordinateur. Les ordinateurs sont arrivés à l’école en 2001-2002. À l’époque il n’y avait même pas de tablette digitale. Dessiner avec une souris c’était super-compliqué. Donc, personne ne le faisait. Les couleurs cela pouvait se faire, mais c’était moins précis.

Dans le cas de Noé et des Méta-Barons c’est des vraies planches. Dans le cas de Noé j’ai tout fait en manuel. Je faisais mon croquis manuel. Je le scannais, je l’agrandissais et je redessinais dessus sur une vraie planche carton. Dans le cas des Méta-Barons, je dessinais sur la tablette, j’imprimais ce que j’avais fait sur la tablette et je corrigeais à la main graduellement étape par étape. Pour les premiers comics que j’ai faits c’était hallucinant. Une fois les planches dessinées je les envoyai par la poste à un lettreur aux États-Unis (à l’époque j’habitais au Canada). Il me renvoyait les planches lettrées pour que je les encre sur place pour les bulles . Je ne pouvais pas encrer et puis après mettre les lettrages par-dessus. Il devait lettrer et placer les bulles pour que je puisse encrer dans ce qui restait de place dans la case. Ensuite on renvoyait par la poste les planches à la femme qui les scannait et renvoyait cela au coloriste. C’était toute une logistique super-compliquée. On envoyait des planches par Fedex. Cela coutait une fortune. Maintenant tout le monde s’envoie les planches par e-mail. Tout se fait à distance, ce qu’à l’époque on n’avait jamais rêvé. Déjà pour scanner quelque chose en haute résolution c’était super-compliqué.

Le digital et les tablettes numériques changent beaucoup de choses. Les jeunes s’y mettent facilement. Les soixantenaires ont beaucoup plus de mal à s’y adapter, quoiqu’il paraît que Moebius s’y soit mis en fin de carrière. Beaucoup d’auteurs d’un certain âge resteront au tout manuel durant toute leur carrière. Personnellement je vais jusqu’à l’encrage et à la finition. Je pense que de plus en plus de gens vont s’y mettre.

Bibliographie de Niko Henrichon :
 L’aéropostale Mermoz livre II (soleil)
 Deadpool Marvel Now (Panini)
 Docteur Strange (Panini)
 Docteur Strange Legacy (Panini)
 Fables (Panini & Urban Comics)
 Hostile (Dupuis)
 Méta-baron 3 & 4 (Humanoïdes Associés)
 New Mutants (Panini)
 Noé (Le Lombard)
 Pride of Baghdad (Panini)
 Tribute to Popeye (Éditions Charette)

Lire 2800 chroniques de films dans le livre d’Alain Pelosato :
123 ans de cinéma fantastique et de SF : Essais et données pour une histoire du cinéma fantastique 1895-2019




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