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Scénario : Nick Schenk
Avec : Clint Eastwood, Bradley Cooper, Laurence Fishburne, Dianne West, Andy Garcia.
Distribué par Warner Bros. France
116 mn - Sortie le 23 Janvier 2019 - Note : 8/10
Le dernier film d’Eastwood, « Le 15.17 pour Paris » avait fait dégringoler de son podium le dernier des plus grands du cinéma hollywoodien. Celui qui nous avait donné des œuvres et chefs-d’œuvre tels que « Impitoyable », « Million Dollar Baby », « Gran Torino » et « American Sniper » avait livré avec ce faits divers tout juste digne d’un faits divers, une œuvre anecdotique si ce n’est pire. A faire reconsidérer les moins bons de ses films tels que « Pink Cadillac » par exemple, c’est dire. Et voici qu’aujourd’hui, après en plus des années d’absence devant la caméra, Clint Eastwood revient et en réalisateur et en acteur pour « La mule » et à 89 ans, il démontre un savoir-faire et une intelligence toujours aussi impressionnants. Ouais, « Le 15.17 pour Paris » est oublié, voire mort et enterré, c’est sûr.
Earl Stone est un horticulteur de plus de 80 ans, qui n’a vécu que pour son métier, négligeant sa famille au plus haut point – ratant le mariage de sa fille par exemple -, ne vivant que pour ses concours de fleurs, ses virées avec les potes, ses plaisirs d’égoïste de pur américain dont la réussite sociale balaie tout le reste. Mais aujourd’hui, Internet est là, son entreprise périclite, et Earl doit tirer le rideau. Méprisé des siens, pris à la gorge financièrement, il accepte pourtant un job un jour : convoyer au travers des USA une « marchandise » dans son pick-up, lui qui n’a jamais eu un seul PV de sa vie, et qui à son âge n’éveillera aucun soupçon. Le 1er voyage se passe bien, les barons de la drogue sont contents, tout comme Earl qui voit une grosse somme lui tomber du coup dans les poches comme il n’en n’a jamais vu jusqu’ici. Et l’aventure se renouvelle. Earl découvre de nouveaux plaisirs, renoue un peu avec sa famille, continue son activité du moment comme si de rien n’était, solde ses crédits et autres contentieux, et en parallèle, retrouve sa femme, dresse un bilan de sa vie d’avant et de celle d’aujourd’hui… En parallèle, les trafiquants s’inquiètent de ses libertés de traitement de ses missions, la justice américaine cherche à coincer cette « mule » qui approvisionne si bien certains coins pourtant surveillés. Et Earl de faire un faux pas le jour où lui est annoncé la mort imminente de son ex-femme. Le vent va alors tourner, mais peut-être est-ce ce que souhaite ce vieil homme fatigué…
Portrait d’un américain tel que le pays veut en montrer, « La Mule » remet également les pendules à l’heure sous l’œil d’Eastwood. Certes, le scénario est là, écrit par l’auteur de « Gran Torino » déjà bien ciblé sur les fausses qualités de « l’American Way of Life » et ses vrais défauts, tout comme ici. Mais aujourd’hui, il y a un artiste de 89 ans, un homme qui aime profondément son pays, mais qui se joue de ses clichés, qui n’hésite pas à retourner comme un gant les sacro-saintes images parfaites d’une Amérique datée, qui n’arrive pas à avancer. Et de ce fait, d’en oublier l’individu, qualité qu’Eastwood a souvent mis par contre en avant dans ses films, lui qui est plus individualiste qu’autre chose, mais dans la meilleure des définitions. Earl Stone a vécu pour l’Amérique, mais a sacrifié tous ses proches. La rédemption arrive paradoxalement avec une activité hors-la-loi, mais qui lui donnera de derniers moments d’humanité sans pour autant lui octroyer une impunité totale. Tour à tour drôle, violent, et émouvant – et sur ce dernier point via de petites scènes de trois ou quatre phrases mais à la puissance indéniable, comme le dernier face à face avec Bradley Cooper, et cette allusion à sa fille, un sujet que seuls les 2 hommes connaissent… -, « La Mule » n’est pas non plus aussi « grand » que « Million Dollar Baby » ou « Gran Torino », il y a des moments quand même un peu trop « simples », pourrait-on dire. Mais il n’empêche que le film via son interprète, dresse un portrait très réussi d’une vie consacré aux idées reçues, à ce qu’on doit être dans ce pays et pour ce pays, au détriment du reste plus personnel et bien plus important. Et on comprend pourquoi Eastwood a voulu repasser devant la caméra, pour ce qui sera son dernier rôle, l’histoire d’une vie ratée comme souvent dans ses films, et il en restera ainsi. Car comme il le dit pour « Bird »en citant Scott Fitzgerald, « Il n’y a pas de second acte dans la vie d’un américain »… La boucle est ici bien bouclée.
Stéphane THIELLEMENT
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