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  Sommaire - Dossiers -  Section 13

"Section 13"


Réalisateurs : Stéphane Payen, Jérôme Gluzicki Saisons : 1 Nombre d’épisodes : 10 Diffusion : Crime District Année : 2013

Diffusée un peu à la sauvage sur « Crime District » durant l’année 2015, « Section 13 » (à ne pas confondre avec son homologue américain très CIA, « Section 13 », avec Tom Welling), ne nous a offert qu’une seule et unique saison. Alternant entre des histoires de possession (Séance avec le diable) épisodes convoquant Ovnis et Marie Céleste réinventés (U390-Le navire fantôme), faits divers à la Jean Ray (La maison de l’apocalypse), fictions cryptides (« La bête humaine ») et légendes urbaines (« La route maudite »), cette série free-lance avait pourtant tout pour plaire. Une introduction façon série criminelle d’investigation (la femme assise devant son ordinateur introduisant l’histoire devant caméra), des spécialistes affairés à divers points de l’enquête (toxicologie, etc.), les témoignages de certains protagonistes, des vidéos live visant à dynamiser le contexte, une intention de créer une tension dramatique, les bandes annonces essaimant le net d’alors généraient une réelle volonté de fédérer un public somme toute assez large. Mais là où était sa force, cette série y cultiva malheureusement aussi sa plus grande faiblesse : la volonté de creuser le côté rationnel de la chose jusqu’à ses limites, quitte à décevoir son public. Section 13, malgré sa belle dynamique, demeure une série télé « ampoulée ». Il en ressort que ces histoires semblent trop handicapées dans leur contenu par une volonté presque inconsciente de demeurer dans l’entre-deux, et qui jamais ne parviennent à décoller. On aurait presque l’impression de visionner de réelles histoires policières, s’il n’y avait à la fin ce doute qui fait qu’on aimerait y croire, mais qu’en même temps cela nous est interdit par une espèce de sacro-sainte prévention vis-à-vis du surnaturel. Frustrant.
Alors voilà, Section 13 est trop pudique, trop condescendant aussi. Ce qui forcément ne laisse pas ou peu la place à un réel souffle fantastique. Victime d’une culture policière par trop terre à terre, gangrenée par des comédiens et comédiennes qui bien que pleins de potentiel ne parviennent pas à communiquer ce « délice du doux mensonge introspectif en cours », « Section 13 » a du supporter des écueils dépassant de loin les compétences de ses réalisateurs. Et c’est bien dommage. En poussant jusqu’à ses limites un travail d’investigation par trop professionnel, cultivant à outrance une étrange obsession française à préserver un cadre rationnel pour ne laisser en quelque mots qu’une petite part au doute, au rêve, Section 13 manque de près l’exploit. Surfant sur les séries en semi-réels dont les Américains nous abreuvent depuis des années, et il faut le reconnaître avec un réel problème de déperdition de qualité au fil des saisons chez eux, « Section 13 » met les pieds dans ce qui se fait de pire. Et en même temps, il serait malhonnête de dire qu’il ne s’agit là que de la mauvaise volonté télévisuelle. Lointaine héritière de « L’inspecteur mène l’enquête » des années 80, ce Cluedo à la Française où on faisait participer et de vrais policiers et les téléspectateurs à l’enquête, « Section 13 » peine à dépasser ses aïeuls. Pourquoi ? Parce que personne n’y croit au final. Et la chose se ressent malheureusement.
En définitive, nous dirons que « Section 3 » est une série française qui s’efforce d’y croire, malgré le clivage rationnel de mise dans la quasi-totalité des fictions françaises. Avec peut-être un manque de conviction de la part des enquêteurs et un peu trop de sous-entendus de la part des acteurs qui devraient rester "dans la fiction" et non pas faire du "hors champ". Notamment lors de certains plans séquence où les téléspectateurs se surprennent à remarquer au fil des dialogues et interviews des regards et focales qui auraient plus gagner à rester fixes, concentrés, c’est à dire "hantés" par ce qu’ils avaient vécu et non pas mobiles et donc pas assez sincères, comme s’ils voulaient en dire plus que les règles du fantastique ne l’édictent pour une bonne transmission du "frisson surnaturel". Cette difficulté à diriger comme il se doit des acteurs afin d’obtenir des effets « pris sur le vif » participe aussi de se désamour du public. Dommage. C’est à ce niveau-là que se joue la crédibilité d’une telle série.
Cependant, et malgré ses défauts et manques, cette série a eu l’avantage de démontrer que nous pourrions faire comme d’autres, mais que notre culture policière culturellement trop ancrée dans le rationalisme pêche par cette absence de folie et de déraison propre aux fictions anglo-saxonnes. Et voilà le malus. « Section 13 » semble se retenir là où à un moment donné tout devrait basculer pour brusquement reprendre le fil de l’histoire, mais selon un discours qui sème le doute, une enquête qui connaît une faille. Comme sut si bien le faire un Joss Whedon dans sa série X-Files. On ne bascule pas dans « Section 13 », parce qu’on hésite, on a peur, on préfère mettre en avant cette retenue trop française. On veut garder un contrôle sur l’histoire qui ne devrait pas avoir de mise ici. On trahit le genre en voulant le raccorder obligatoirement avec une tradition dite rationaliste. C’est l’omission de cette gymnastique-là qui participe beaucoup de la frustration du téléspectateur. Mais l’audace était là. Dommage que ça n’ait pas pu creuser plus dans le campagnard que dans un urbain auquel il manque du baroque, du gigantisme, du décalé et de la grandiloquence pour bluffer totalement les spectateurs. Pas mauvais en somme. Manque une réelle motivation scénaristique et cette immersion totale faisant que tous les acteurs vivent leur rôle et non pas s’en acquittent comme d’une besogne, ou pire, comme d’un effet d’annonce qui avorte le mystère.

À une époque où beaucoup auraient aimé voir une Ovidie dans un remake de la série télé « La poupée sanglante », ou une Clara Morgane dans le reboot de « L’île aux trente cercueils » voire du chef-d’œuvre cinématographique de Jean Rollin, « La rose de Fer », il est à regretter que la production audiovisuelle française se montre aussi limitée. Avec le récent « Rendel » de Jesse Haaja, les Finlandais ont prouvé que munis d’une simple panoplie de motard customisée, quelques effets fumigènes bien séquencés, des projecteurs savamment placés, des entrepôts désaffectés loués pas cher et un masque stylisé on pouvait faire des films de super-héros sans avoir peur de la comparaison avec les blockbusters ni celle de se faire assimiler à une civilisation libérale promulguant des modèles libéraux. Mais alors qu’est-ce qui nous arrive ? Un complexe culturel inavoué ? Un manque de savoir-faire ? Une peur pathologique de nous faire américaniser ? Ou bien cette volonté sous-terraine de maintenir un modèle rationnel, vaille que vaille, un modèle qui ne parvient d’ailleurs même pas à se renouveler alors que nous devons avoir vingt ans de retard sur beaucoup d’autres pays ? La réponse saute aux yeux, mais nous laisserons les plus audacieux le loisir de la faire sortir du lot à une époque où on n’a pas le droit de critiquer. Section 13 est donc une série ratée, mais l’exemple même que l’élan artistique existe. Une série à laquelle il manque de la cohésion, des soutiens, un véritable pari et un enjeu. Dépourvue de tous ses apports, « Section 13 » n’a pas d’âme, ce qui fait qu’elle se confine à du pur anecdotique. Mais l’idée reste belle, et au fil des épisodes on est parfois pris par ce sentiment, mieux, cette volonté d’une libération d’avec une fiction outre Atlantique qu’on subit depuis trop longtemps. Ne manquaient que du style et des astuces pour nous éviter cette inévitable frustration. Bravo quand même. Bien tenté. A voir.

Emmanuel Collot

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