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  Sommaire - Dossiers -  Mélanie Fazi - Un amour infini

"Mélanie Fazi - Un amour infini"

Emmanuel Collot

Adossé sous de vastes portiques, je demeure en des édifices silencieux, là où humidité et obscurité se marient à merveille pour faire un empire dont les murs suintant pleurent les larmes passées et dont les gouttes à gouttes qui plongent dans quelques flaques sombres évoquent ma mélodie, ma mélopée, ma ballade triste. Or, je me dois de déposer sur les feuillets fatigués, léchés par quelques souffles anciens, les souvenirs de ma mémoire vagabonde, et vous parler de cette étrange Colombine qu’un jour en mon arrogance vaillante je m’étais supposé capturer. Voleur de mots, vandale des souvenirs, je me promis alors de gagner l’autre monde et de boire ces lignes étranges et confuses alignées, serrées. De ces lignes noires qui font les arcs de lumières de mes songes solitaires je m’efforcerai d’en ôter l’ornement pour tenter de me saisir de l’ineffable, vaille que vaille, mon coeur de paille mouillé par les larmes de mes yeux aux reflets de métal, froids et vif sous les caresses de la lune qui, fugace, se glisse parfois dans les entrelacs de mon royaume lisse aux éternels tours et contours.

Laissez moi donc vous parler de l’auteur de ces nouvelles et de ces deux romans extraordinaires, laissez moi un peu évoquer pour vous cette étoile au regard triste, qui, doucement, étire sa prose timide porteuse de torrents entiers, oscillant entre horreurs morales et tendresses du toucher, jubilation et réserve, ces flots d’hémoglobine bleue, sang de mon âme. Melanie, c’est cette douce personne qui écrit depuis un certain temps des nouvelles qui, curieusement, m’entraînent dans les corridors oubliés de mon enfance perdue et les horreurs de ma fuite loin du foyer, loin de ma famille. Chère Mélanie, je t’ai lu, ai célébré ton verbe, ta prose fleurie, certe un peu bavarde , mais tellement bien trempée dans le puits de la tendresse des premiers et derniers jours qui préludent tant à notre arrivée en ce monde de morts et en ce départ, plus mort que les morts. Ainsi, ne pouvant me résoudre à acheter tes livres, O douce poésies chères à mon coeur, j’ai le soir volé le fruit de ton pacte avoué avec cette chère Perséphone dont j’ai bu le coeur en mes nuits brûlantes, ces nuits où je me souviens de toi, de ma fuite, de mon malheur et de mon refuge où je suis confiné, fatalitas......

Dans la Cité, là-haut.....

Alors un soir d’encre, un soir perdu, j’ai gagné, tel l’animal souterrain, l’asphalte incertain, fixe et froid, superficiel et dangereux, et j’ai grimpé sur le toit de mon monde qui était le parquet du monde des hommes, et je me suis mis en quête de tes écrits. Passé plusieurs rues en ce Boston où j’ai choisi de me condamner, j’ai longtemps cherché l’église, le couvent, le temple sacré, le lieu des livres. Accompagné par mon armée miaulante, mes frères de griffes et de crocs, sous le chant de lumière triste des étoiles, j’ai gagné l’antre obscure des livres célébrés. Et en cette ruelle plus obscure encore, j’ai crevé le mur jouxtant cette forteresse, perçant le corps chaud, assemblage de béton et autres éléments viles pour faire mon propre chemin, la voix salutaire vers toi, ma tendre amie. J’ai dû tuer un gardien que la fatale destinée à dressé sur mon chemin, et j’ai encore vu son âme se déployer et prendre son envol pour les autres seuils, ma seule consolation de tueur innocent. La tristesse avouée me rappelle encore cet homme au visage si tranquille qui, gentiment voulu me prévenir, m’arrêter avec cette gentillesse rare des hommes à la belle volonté. J’ai pleuré pour cet homme qui tomba trop tôt et que je ne voulais pas tuer, mais dont le contact sur ma personne maudite a proféré le sort ultime et fatal. Alors, renonçant à me laisser souffrir encore une fois sur ma malédiction refoulée, tel un fou en manque de sa drogue, je t’ai cherché, fouillant comme le sauvage terrible du lendemain des grandes batailles, pour de ses mains avides s’emparer du butin convoité. J’étais dans mon droit, car j’avais choisi de gagner la surface pour te chercher, l’amant sa fiancée ou le mari la bague pour l’élue de son coeur. Fourrageant les plaines livresques, baignant dans une marée de livres renversés, j’ai fini par poser ma main gantée et tremblante sur les trois livres de toutes mes espérances, surfaces lisses se réchauffant sous la paume des mains. "Chère Mélanie, je vous ai enfin retrouvé", m’étais-je exclamé, saisissant avec bonheur ces trois livres, éternités silencieuses, paroles solidifiées, réceptacles de ton âme délicieuse, pensées immortelles gravées, accrochées par la plume assassine, lettres pendues les unes à côté des autres, serrées, associées. Et je me perdis alors, le coeur léger, portant fière allure, le verbe altier, sur le chemin du retour, suivi de mes légions de boules de poils, amis fidèles, frères aux multiples vies. Je descendais alors sentiers escarpés, plaines noires inconnues, passant par grottes, gouffres et cavités souterraines, trames, indices secrets du chemin sacré qui me mène à mon antre enterrée. Si Boston savait ce qu’elle enferme en son ventre, malicieuse dame, je pense que la vie s’y réfugierait et ma tranquille solitude abolie.

Mais je suis le seul à connaître le passage, seul à oser ouvrir cette porte rouillée au cimetière. D’ailleurs qui oserait ??? "Nul ne sait où va se jeter cet escalier aux si larges et fragiles marches, gémissant par vent ou par pluie une étrange psalmodie faite du fer agonisant dans son inertie dérangée et de quelques génies ivres" , ne cesse de s’écrier le vieil homme faisant la visite du vieux cimetière de Galloway-Gog aux touristes avides de pittoresque, et même les enfants, les rats, les curieux ou les éventuels pillards ne s’y fraient guère un chemin. Ce qui ne peut que me contenter..........

Traînant ma vieille cape sombre, sobre et côtelée de velours, j’ai l’air d’un monarque à la recherche de sa couronne ou d’une vieille à la recherche de son passé, c’est tout comme. Et c’est en descendant les innombrables marches aux dimensions cyclopéennes que je me supris à lire ce premier livre, au hasard, pressé de te lire, tel un voleur.

Trois Pépins du Fruit des Morts.........

Annabelle est une jeune adolescente décrite de si belle façon, dans sa rage et son refus de grandir, sa pugnacité aussi de ne croire qu’aux contes et légendes, que de toucher Perséphone, une déesse antique au coeur infécté par le mal aux coeur des choses, provoquera l’inévitable douleur de la rencontre, pire, du touché. Mélanie, tu m’entraînes dans ton prodigieux sortilège qui se fait paysages mordorés, soleils blancs de l’hiver et douce amertume de vouloir pour cette enfant demeurer en un éternel présent, éternité langagière que tu assènes à ceux qui te lisent avec la délicatesse d’une poupée orientale. Ne jamais faillir, ne jamais vieillir, mourir à la vie pour être dans la vie, éternelle, belle et jeune. Voilà que folie !

Et pourtant tu es une artiste Mélanie. A te lire on t’aurait pris pour une fée facétieuse qui, l’espace d’un instant, se serait amusée à grimer un tableau de Masson en aquarelle peinte sous la viole triste d’un musicien frappé d’aboulie. Etrange et beau jeu de correspondances entre trois âmes perdues, trois êtres qui se cherchent pour finir par se perdre et gagner en même temps. De cette mère en quête de son enfant fugueuse, cette enfant alors dans son devenir de femme, et cette déesse en souffrance qui ne peut plus que communiquer la douleur dans ses prodiges, Mélanie tire trois portraits délicats et beaux. Par delà les identités individuelles et les rôles respectifs de ces acteurs touchants, tu dresses de délicates perspectives sur le monde, la vie, la mort, le devenir, dans des couleurs presque surréalistes. Au final, en te lisant, chère Mélanie, j’ai eu l’impression de lire un traité de poésie philosophique où il est question de croyance, de cette chose en soit dont tu me parlais tant, de l’illusion que constitue la servile foi et de la beauté de poétiser cette douce illusion. Mais le tout est servi selon un mode opératoire tel, que les définitions s’annulent en silence, sans effusions aucunes, et que les énigmes demeurent.

Je me souviens, Mélanie, je me souviens de ces soirs éclaboussés d’argent, où, tels des enfants, nous lisions sous le grand saule ce livre de Lucrèce "De la nature" , et tu me disais combien il était beau de "créer de la croyance" pour peupler nos absences d’éternité, et incarner enfin ce "Dieu futile" dont tu me parlais tant.

Comme il est beau de te lire, me dis-je, accoudé sur l’une de ces grandes marches, les cris diffus des chauves-souris pour seuls échos. Une lumière étrange baigne ces lieux, et cela est si doux à mes yeux, et cela donne une telle couleur à tes livres. Ainsi, tel l’enfant, je crois en toi, naïvement je l’avoue, sincèrement j’en suis fier. Ecriture sans revendication d’identité, pure de toute saisie, libre comme ces flocons de neige, cristaux fragiles qui disparaissent, ne laissant que la trace d’un regard sur le beau ineffable mais furtif....

Arrivé au bas de ces milliers de marches pour géants, passant par les mines creusées par les temps en trous noirs sans fond, yeux noirs creusés par des larmes des géants, je fouille dans ma besace de charbonnier, celle là même avec laquelle je me suis un soir enfui loin de toi, et j’en sors Serpentine, étrange et beau livre éclairé d’un visage pris ailleurs, sous d’autres cieux. Je le prends et, tout en suivant les entrelacs serrés, boyaux et chemins sinueux, je poursuis mon épopée du retour tel Ulysse en parcourant ce second moment, cette nouvelle parenthèse........

Serpentine ou l’artefact de ses pensées cristallines........

La mort anonyme, la mort discrète, de cette mort qui se fait compagne de ceux qui n’ont plus d’identité, Mélanie dispense de sa plume subtile, pareille à la buée des matins frais, son verbe tendre et affecté mais dur comme l’oeil d’un sage qui a trop deviné l’infamie, mais la voilant de son ton rassurant et paternaliste. L’indifférence, indécente et arrogante, est le panache des forts, des privilégiés en règle générale, et l’anathème du pauvre, de l’exclus, de l’incompris. Les fins de tes nouvelles sont comme d’immenses chants qui vont en diminuant, pour enfin finir comme les tragédies antiques par le choc viscérale et violent, mais sans trop d’effusion de sang, moralement, tension psychique qui va vers son éclatement ultime et imparable. Mélanie est vêtue comme ces vagabonds, elle les accompagne ces "hors du monde" . C’est que Mélanie aime les marginaux, ces réfractaires, ces non droits que la société ignore si vaillamment. Elle s’en fait leur chantre, leur historienne. Que ce soit dans cette boutique de tatouages où entre cet étrange personnage si "Différent" , ou cette Matilda adulée par cette "autre" en marge, Mélanie traite de personnages de chaire. Comme il est bon de lire cette évidence qui n’est pas une sinécure. Car, encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Mais à te lire, bien chère amie, je me dis que ton art Hyper-réaliste gagne à une certaine popularité, comme fut celle de Bradbury, célébrée à juste titre s’il en faut, comme le poète rêveur mais aux personnages si réalistes dans leurs sentiments grandiloquents et si magnifiquement incohérents dans leurs effusions. Mélanie, bien chère Mélanie, je te lis et de mes mains énormes et bleutés par mon mal, je devine bien entre les lignes l’horreur du réel et cette folle subsistance de l’impensable au travers des psychologies de tes personnages. Qu’importe dès lors Arbres dévoreurs et autre archétypes se dessinant dans notre monde, le délectable dénouement apporte consécration à ton écriture et naissance à ton existence en tant que pure romancière. Tes histoires se déroulent à la première personne. Parcours solitaires, être angoissés, décalés, schémas intimistes de nos errances, tous nous nous retrouvons dans ces histoires, moi le premier. Que les topos (lieux) que tu décris soient des plus étranges ou banals, tu y introduits tes touches de magies pour frôler l’ineffable. Metro (Petit théâtre de la trame) , Station de service (Nous reprendre à la route) , magasin de Tatouages (Serpentine) , tu nous esquisses des lieux communs dans lesquels des êtres vont connaître la germination, l’éclatement, l’incendie de leur être entier. L’adolescence et l’enfance mises en scène (Mathilda, Le faiseur de pluie, Ghost Town blues) nous parlent du quotidien assaillit soudain par l’irrationnel, le merveilleux, l’inconcevable et cet effroi des grands gouffres qui sous tendent le sol de notre réalité, la peur sans hémoglobine, si ce n’est ce bleu de la frayeur, purement cérébrale. Ainsi, je te lis et je constate que tu as su enfin mettre hommes et Dieux sur le même socle, propices aux mêmes épanchements, peurs, transformations, l’esprit en lutte avec leur propre passé, traces indélibiles.....

C’est cet égalitarisme strict existentiel dans lequel tu te permets de produire tes prodiges, entre la terreur et le merveilleux, éclairés par les scintillements lointains de quelques prodiges exotiques, un peu à la manière de Beaudelaire et Clarck Ashton Smith. J’en arrive à ce point final de ce recueil de nouvelles courtes, longues, mais affectées par ta douceur cruelle et cette attention aux marginaux qui dorment en chacun de nous. Arrivé au bout de mon parcours, je me trouve devant la fosse béante de mon antre, royaume souterrain, empire des profondeurs, au fond de cette verticalité des parois jaunies par les révolutions sismiques anciennes et tumultueuses.

Je me jette dans ce vide expiatoire, Je n’ai pas peur du vide, et des vents des anciens Dieux et des antiques soupirs de ceux qui ont aimé je fais mes ailes invisibles. Ma cape longue et ample se gonfle, découvrant mon pantalon de clown, quadrillé de couleur, à la face des invisibles, et mon pull de laine blanche sans tache qui s’accroche à ma peau pour l’en protéger de la morsure glaciale, futile sensation que je ne crains point. Tu as vu ? je suis toujours le même, fidèle.....

Je tombe en cercle et mes doigt produisent des arcs de lumières, corolles bleutés, pour faire de ma chute un souffle chaud. Je plane doucement jusqu’au sol de mon terreau, là où je gît, là où je soupire, là où mes rêves ne sont que pour toi.

Mes ailes de velours me font atterrir doucement sur un sol chargé de poussière, de mémoire lourde. Là mes bottes noires soulèvent un peu de l’éternité qui s’en va voler un peu aux quatre coins de cet aérodrome aux lumières tamisées.
Je cours, quelques bonds de mes bottes de sept lieux et je me hisse dans ma salle de lecture, ma salle préférée, la salle de pierre où le ciel percé du monocle lunaire me contemple, échoué sur les roches déchiquetées, lointaines, ouvertes comme un abcès infecté. En bas, aucune autre lumière hormis les réverbères qu’éclairent des lucioles capturées, cette pièce ni froide ni chaude, toujours sous ce ciel qui est de nuit, jamais de jour, étrange prodige, miracle de la lunaison sacrée.

Assis alors sur l’antique fauteuil qu’un jour j’ai rapporté de quelques décharges anciennes où il avait été abandonné, je sors de mon sac, tel un père Noël triste, le doux bloc de feuilles à la couverture si agréable, qui me rappelle tant de chose à moi, le solitaire sans mémoire, moi le proscrit volontaire.........

Arlis des Forains, une biographie........

Les cercles blancs de mes yeux si peu humains, ces yeux de faune de marbre dont les orbites brûlent du même feu blanc depuis mon malheur, ma naissance, se voilent des oeillets translucides, eau sacré, larmes salées. Je découvre cette histoire dont tu t’es admirablement acquittée à en conter les nuances, les joies et les peines. Je lis et je me mets à pleurer........

Arlis est cet enfant recueillis par des Forains, encore un errant pour lequel tu t’es attachée à faire une histoire entre deux mondes : notre urbanité défaillante et cette faerie que tu grimera habilement d’une fantasy noire et ancienne. Arlis est un garçon de onze ans recueilli par une troupe de Forains hétéroclite encore nourrisson. Le grand Emmet et lindy (immortels quelque part) qui en sont les dirigeants, Katrina, la femme aux serpents et Aaron le colosse. Or, Arlis est troublé, il est sans identité véritable, sans autre famille ou origines que cette troupe merveilleuse qui a des aires de La monstrueuse parade, et qui témoigne dans ses tribulations des influences poétiques et narratives un peu à la manière de Steinbeck et son "Des souris et des hommes" ou les récits sur l’enfance si cher au grand Ray Bradbury.

Mélanie, un peu comme King, tu engendre d’un topos, lieu central de ton intrigue, où tu vas emprisonner ton histoire merveilleuse et terrible. Bailey creek, c’est un peu ton Maine à toi, élection de la rencontre entre Arlis et la belle autant que mystérieuse Faith (Foi littéralement) , fille du pasteur et passeur avec des dons de sorcières qui ouvrent des portes entre le monde d’Arlis et celui des ténèbres, celui de l’au-delà. Alors Arlis connaîtra des rencontres autres comme l’inquiétant Seigneur des moissons et son armée silencieuse, des fantôme comme celui de la silencieuse Rosie. Les fantômes du passé refont surface et les anciennes blessures également, je sais ce que c’est.
Ainsi, du retour à la religion de la terre, au culte du père Epouvantail, renaissent les malheurs passés. Et c’est dans ce terrible sortilège, dans cette histoire qui fait un requisitoire à la magie et les dangers de son exercice que tu insinus tes prodiges délicats. L’enfance et ses rêves, l’enfance et ses passions innocentes. A mesure que le sortilège déploie ses arcanes secrètes, tu tisses, habile joueuse, les affres individuels et les parcours qui ont mené à cette troupe d’artisans du prodige. Et cet Arlis devient la pierre angulaire, témoin, victime des sorts de cette Faith, Faith la diseuse, clef de son propre pouvoir demeuré trop longtemps caché en des profondeurs mystérieuses de son être.........

Roman sur l’enfance et le passage, la transformation inéluctable, mais également roman sur la magie et ses pièges, ton livre, ma douce Mélanie, est un honneur à ce que nous fûmes jadis l’un pour l’autre. Sauf qu’entre nous c’était vrai et récirproque, pas d’autre maléfice que cette tranquille compagnie que nous trouvions l’un chez l’autre. Voilà pourquoi je n’étais, ne suis pas et ne serai jamais étranger à moi même, car tu as franchis ce fleuve qui sépare les âmes solitaires des constellations bienheureuses pour établir un pont de lumière entre eux, et tu m’as tendu cette main à moi, l’enfant triste, l’enfant à la peau bleu, l’enfant qu’on ne doit jamais toucher, Elektro, l’enfant dynamo, mon nom de cirque, mon panache, ma malédiction, et la fortune de mon patron.

Aussi, effleurant les roches froides, caressant les parois lisses et monotones de mon antre solitaire, je pense à toi et ne perds pas le souvenir de notre amour, un amour infini.
Te souviens tu de l’automne glorieux en son commencement ?
Te souviens des ailes innombrables déchirant le ciel bleu à l’horizon ?

De cet été éternel et chaud et de ces senteurs subtiles de la lavande dispensées par les arbres aux branches légères ?

Moi je n’ai pas oublié ce temps, cet instant, où toi Colombine, c’était ton nom de scène, encore toute peinturlurée du blanc de ton costume, tu es venu à moi. Et en un geste souple et élégant tu m’as enlacé, douce amie, pour, de tes lèvres de rubis, déposer le premier et le dernier baiser après lequel tous les autres paraîtraient fades. Tu m’as aimé, tu m’as embrassé. Et en touchant ma peau de la soie de tes lèvres, cette peau maudite et bleue, tu n’es pas tombée foudroyée, mais tu m’as contemplé avec ce sourire qu’ont les fées. Tu es la seule qui a supporté ce contact, cet acte qui veut dire immolation pour tous les autres. Oh mon doux amour, comme tu me manques et comme je souffre de ne plus te voir, voir tes yeux, profonds comme les galaxies, ces yeux où vont mourir les soleils et constellations enflammées, lac sublime aux ondes légères et aux profondeurs silencieuses.

A présent, je vis avec ton souvenir et j’en fais ma religion, mon espoir. Ton baiser m’accompagnera tout le long de ma vie de reclus et je mourrai de ta présence absente. Il est tard, la lune s’abîme dans les nuées de la nuit d’encre, la terre dort et j’ai froid, si froid. Mais de savoir que tu penses à moi rallume quelque brasier, quelque part en mon âme tourmentée par tous ces morts involontaires que j’ai dû engendré, et ces morts que les monstres qui se nomment hommes m’ont fait porter.
Quand à toi, douce amie, s’il te prenait l’envie le soir d’errer comme ces ombres célébrées par ta plume, ne m’oublies pas, et souviens toi, si quelques chats accompagnés par la silhouette immense d’un vagabond aux yeux irradié de flammes blanches passent dans ta nuit pour troubler l’onde de ton lac. Ne prends pas peur alors et lances ce sourire de poupée, ce sourire d’enfant triste que tu assènes si bien comme les plus belles des prières et les plus vrais des miracles. Le soir, quand dans de profonds bois je choisis de me perdre, et que les Dieux me permettent de discuter avec le Dieu Pan aux mélodies et harmoniques anciennes, je clame mon amour et, avec quelques étincelles nées du bleu de mes mains, j’en fais scintiller l’éclat à la face du ciel, signaux de reconnaissance à la belle Colombine qui m’a aimé et ne fut point châtiée........

Devines-tu, le soir, sous les plaintes des lointains engoulevents, l’écho de mon tourment, la psalmodie de mon silence ?

Mes larmes sont pour le souvenir de ton visage, poupée de chiffon aux yeux couleur galaxie. Long est le chemin qui nous sépare physiquement, mais de loin en loin notre légende a perduré pour inscrire son histoire sur la toile transparente de l’éternité........

Emmanuel Collot


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