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Angoulême, c’est un peu le festival de Cannes de la bande-dessinée.

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On y court, s’y bouscule, s’agglutine, se chamaille, se frotte. On s’y aime, on y baise ou on fait l’ascète. On s’y déteste et parfois même on s’y insulte. Une fois de plus, cette nouvelle année a été marquée du sceau de l’infamie, et quelle infamie : Richard Corben.
Nouveau lauréat de la ville qu’aurait pu célébrer un Baudelaire dans l’un de ses poèmes éthériques, ou dans les vers croquemitaines du magnifique Prévert, le géant Corben crée la polémique, là où elle n’aurait pas eu lieu d’être.
Issu de l’underground, au même titre que les Chris Foss, Peter Elson et tant d’autres illustres artistes un peu trop vite oubliés, Corben fait partie de ces légendes que l’on nomme peu mais dont on s’inspire beaucoup sans l’avouer vraiment. Devrait-on citer le porno-fantasy "Den" ou l’adaptation monstrueusement belle et colorée de "La chute de la maison Usher de Poe ? Devrait-on évoquer ses multiples apparitions au sein des très défunts magazines que furent Metal Hurlant, Epic ? Le fait est que Corben est partout, Corben est copié par tout le monde, jusqu’à un certain James Cameron et son "Avatar" qui s’est sans doute souvenu de ses colories saturées à l’extrême faisant éclater les règles de d’un genre qui d’un seul coup s’allume comme une chandelle grotesque dans la noirceur académique du monde artistique.

Après des décennies de reniements et de railleries, de désapprobations et de relégations, Richard Corben est justement récompensé sur la scène la plus prestigieuse du huitième art. L’occasion est choisie ici pour se souvenir encore de sa fantasy baroque et bariolé où le nu grotesque et viril culbutait ces filles sans âge aux allures de poupées gonflables tombées de nulle part. De ces feux, de ces cieux. De ces déserts presque palpables et de ces soleils qui flamboyaient de plus belle manière qu’ailleurs. De ce temps où il était bon de rêver et de bander, de fantasmer et d’aimer aussi, bien avant que l’on vienne nous dire comment pisser ou faire l’amour. Bien avant ce moyen-âge où on ameute la police pour chasser les prostituées, quand c’est contre la misère qu’il faudrait se battre.

Cette parenthèse Richard Corben" vient donc à point ici pour nous arrêter un peu dans ce monde insipide et oser prononcer en silence ce "merci" un peu gêné, dans une république qui vient de défendre une fois de plus sa particularité laïque et égalitaire, en des temps où il ne fait pas toujours bon de désirer, quand des femmes se font outrager pour des désires non partagés.

Et comme le disait le très regretté Moebius : « Richard ’Mozart’ Corben s’est posé au milieu de nous comme un pic extraterrestre. Il trône depuis longtemps sur le champ mouvant et bariolé de la BD planétaire, comme la statue du commandeur, monolithe étrange, sublime visiteur, énigme solitaire  ».

Avec ce prix impromptu, on peut dire que la France est encore un pays libre de penser, un pays libertin autant que libertaire autant que protecteur. Un pays enfin qui sait reconnaître l’art iconoclaste et sincère d’un magicien des couleurs et des formes qui à l’unisson forment d’incroyable mélodies amoureuses et sexuelles. Une mélopée où corps et esprits s’abolissent dans une impossible fusion de chairs dévorantes nous permettant un temps d’oublier ce néant que l’on peuple de tant d’entités sans réponses, que de désirer dans ce réel parfois sordide en devient indécent alors qu’il devrait être naturel.

Bravo.

Emmanuel Collot