Je suis toujours hasardeux et toujours nécessaire parce que je suis l’Histoire et la marche du temps. Je m’appelle Laquedem, Fussgänger, Ahasvérus, Cartaphilus, Luis de Torres, Omar Ibn Battûta, Hiuan-tsang, Démétrios ou Ragnar le Savant : les hommes sont des poètes récités par le destin.
Ahasvérus fut cordonnier dans la ville de Jérusalem occupée par les Romains. Puis il devint portier chez Ponce Pilate. C’est ainsi qu’il assista à une scène où Myriam de Magdala vint plaider auprès de Ponce Pilate la cause d’un condamné à mort. Un condamné... Barrabas ? Non, pas Barrabas... l’Autre.
Or, Ahasvérus fut un ami d’enfance de Myriam et il éprouve à présent pour elle une passion non-partagée. L’affection qu’elle porte au condamné apparaît donc comme suspecte à Ahasvérus. Lorsque le Galiléen passe devant sa boutique en portant sa croix, Ahasvérus lui ordonne de ne pas s’arrêter et de continuer à marcher.
La réponse de l’homme à la croix est énigmatique : « Je marche parce que je dois mourir, Toi, jusqu’à mon retour, tu marcheras sans mourir. »
Ahasvérus entra alors dans la troupe de Barrabas, agitateur politique et bandit de grands chemins. Il devint, lui aussi, pour quelque temps au moins, un voleur et un brigand. Plus tard, soldat, marin, commerçant, Premier ministre, banquier, voyageur, philosophe, diplomate, explorateur des deux mondes, séducteur professionnel, écrivain, et même prêtre, il devait prendre bien d’autres visages et exercer bien d’autres métiers. Ils ne le changèrent pas beaucoup.
Il a combattu à Massada. Il portait le nom de Cartaphilus lorsqu’il était l’amant de Poppée l’épouse de Neron, celui de Démétrios lorsque Alaric s’est emparé de Rome, celui de Ragnar Lodbrok lorsque les Vikings découvrirent l’Amérique cinq siècles avant Colomb. Il fut aussi interprète sur la Santa Maria et de retour en Espagne, il attira l’attention de l’inquisiteur Torquemada.
Il fut l’adjoint de Fouquier-Tinville. C’est sous le nom de Simon Deuz qu’il livra la duchesse de Berry à la monarchie de juillet et sous celui de Maurice Sachs qu’il se mit au service de la Gestapo.
Wou Tc’eng-en en fit le personnage du « Singe pélerin » dans « La Pérégrination vers l’Ouest ». Alexandre Dumas lui donna le nom d’Isaac Laquedem, tandis qu’Eugene Sue lui procura sa dénomination désormais légendaire : « Le Juif errant ». Cependant, Chateaubriand ne comprit jamais qui était réellement son domestique Julien Potelin.
Faisant intervenir des personnages historiques des plus pittoresques comme Pauline Bonaparte et Saint-François d’Assise cet ouvrage, à la fois audacieux et subtil, relate le parcours du Juif errant qui a accompagné deux millénaires de l’Histoire de l’humanité.
Damien Dhondt
Auteur : Jean d’Ormesson _ Histoire du Juif errant _ Edition Gallimard, Collection Folio _ janvier 1993 _ Réédition, poche, 600 pages _ 9,80 euros