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  Sommaire - Dossiers -  Carrie Fisher

"Carrie Fisher"

Emmanuel Collot

Il y aura toujours une princesse quelque part dans notre coeur. Hommage à Carrie Fisher

 

On ne sait jamais comment dire la douleur quand quelqu’un de chez nous a quitté la vie. Et lorsqu’il s’agit d’une personnalité publique on a toujours peur de mal faire, peur de ne pas avoir su faire passer ce qui dépasse la contingence pour nous abîmer dans la facilité commerciale et tapageuse de la simple opinion voire du portrait complaisant.

Née le 21 octobre 1956 de l’actrice Debbie Reynolds et du chanteur Eddie Fisher, Carrie a su vite faire son choix entre deux grands rôles au cinéma : « Carrie » dans le film de Brian De Palma, et « Princesse Leïa » dans « La guerre des étoiles-un nouvel espoir » de George Lucas. Un choix qui l’a mené au panthéon d’un genre qui, à l’époque, était souvent réduit aux vieux serial de Flash Gordon en noir et blanc.

Mais 1977 n’était pas une année comme les autres ; et ce générique réalisé par un certains John Williams avait quelque chose qui devait marquer durablement les mentalités. Le triomphe sera au rendez-vous, aussi monumental qu’une fresque baroque et antique, mais mâtinée d’effets lasers, de créatures et d’une philosophie sous la forme d’un christianisme bouddhique mêlé d’éléments empruntés à la culture japonaise médiévale, au moyen-orient, faisant de cette saga quelque chose de peu commun dans un cinéma de science-fiction arrivé à bout de souffle parce qu’incapable de se renouveler.

Puis, il y eut l’année 1980. Et une bande-annonce passée à la télé, durant quelque émission de télé où deux jumeaux russes lançaient la plus formidable suite cinématographique jamais vue. Le mythe de l’enfant prodigue se muait en un incroyable conte sur le passage si difficile de l’enfant à l’âge adulte, un enfant qui commence à prendre conscience du mal qui l’entoure, et des combats à livrer, à commencer avec lui-même. Et il y avait toujours cette princesse, cette fille à la coiffe étrange qui dans le premier volet avait tant séduit l’adulte qui n’était pas encore là et l’enfant qui s’éveillait au songe de l’amour. Mais sa tenue à elle avait changé aussi, comme si elle suivait elle aussi le même rite de passage avec l’apprentissage de la responsabilité en même temps qu’une certaine autonomie. La princesse tout de blanc vêtue se muait en une incroyable femme en pantalons capable de donner des ordres mais aussi de s’émouvoir entre deux scènes d’action. Le froid de la neige évoquait le froideur du passage à l’age adulte et ses inévitables déceptions comme de ses espoirs secrets.

Nous étions Luke, encore enfermés dans le songe du jeune chevalier qui méconnaît son destin et qui cherche à se venger. Nous étions ce solitaire biker contrebandier nommé Yan Solo, toujours sans le sou et endetté, mais avec le coup de poing ravageur et le sourire intéressé. Il y avait ce premier baiser, cette première tendresse qui passait si bien dans ce vaisseau qui évoquait si bien la légende de Jonas et de la baleine. Puis ce second baiser de la fin du film offert à cet adolescent qui venait de franchir le seuil de l’âge adulte et qui devait être rassuré sur la fin symbolique de sa main comme relais masturbatoire à une vie d’adulte où il aurait à faire des choix et à se réaliser seul face au néant. Le rite parfait se construisait, la légende personnelle prenait corps, et en même temps tout cela nous aidait quelque part à vivre, à nous affirmer, à nous apprendre à évoluer.

Jeune enfant encore je me souviens être allé en plein mois d’octobre avec ma mère dans cette petite salle où on passait encore un film sorti l’été, mais qui jamais ne perdait de sa magie, de son impact sur l’esprit de celui ou de celle qui se hasardait à aller le voir et partager ce rituel de passage si important pour un enfant. La beauté d’une princesse s’épanouissait là, devant un écran, et on se demandait pourquoi il nous fallait comprendre quelque chose à cela.

Ce fut peut-être lorsque Solo se vit cryogénisé qu’il fallut comprendre ce quelque chose qui échappait aux adultes. Comme d’un processus enfermant le grand amour dans cette solitude du cercueil de verre, comme si ce baiser fatale donné et offert dans le corps de la grande baleine signifiait que nous vivions dans un monde encore plus étrange où un vrai et grand amour pouvait se voir interdit, comme de se retrouver cryogénisé. Ce n’est que bien plus tard qu’on se rend compte alors de la puissance symbolique d’un mythe cinématographique, et on le fait souvent quand c’est trop tard ou plutôt quand on sait que les événements sont irrémédiablement fatales dans l’espace d’une vie souvent trop courte pour dire au bon moment ou retenir comme il faut les amours qui comptent le plus. Car, quelle autre chose pouvait pouvoir signifier cette scène de la séparation glaciale entre Leïa et Solo que l’impossibilité de dire à temps ces mots qui comptent le plus et notre si décevante impuissante à être plus forts que le destin ? Et il y avait en même temps ce « je sais » lancé avec arrogance par ce Solo prêt à se faire congeler. Comme un pari sur l’avenir, malgré tout.

Voilà donc qu’un film coûtant des millions de dollars et générant une marque de jouets nous parlait tout simplement d’amours perdus, impossibles, ratés, manqués, pour un tas de raisons, mais aussi à cause d’une vie qui parfois va contre toute espérance de concrétiser un vrai amour. Peu importe que l’autre se consolera mieux et plus vite que soit. Voilà donc que derrière le spectacle anodin d’une saga de science-fiction on devinait des significations psychanalytiques plus profondes, des symboliques où la mystique n’était là que pour combler le vide d’un sentimentalisme interdit par le consumérisme barbare de nos sociétés.

Leïa, Luke et Solo : la princesse, celui qui a une bonne étoile et le grand solitaire. En inventant cette constellation sentimentale dans les dénuements d’une histoire tout aussi fatale, Lucas nous parlait d’une histoire éternelle sous les oripeaux faussement rassurant du conte de fée noir pour adulte, toujours entre noirceur et lumière, jamais de victoire de l’une sur l’autre. Un peu à l’image de cette vie où, tombés seuls depuis l’inconnaissance, nous passions une existence entière à nous chercher derrière ces dieux absents et silencieux, et cette science qui manque tant à nous sauver pour enfin offrir à l’humanité l’accès à son dernier stade d’adulte responsable et sage.

Puis, trois ans plus tard, voilà que « Le retour du jedi » débarquait dans les salles. A la froideur de la séparation, de « L’empire contre-attaque » et son cortège de mauvais chois et déceptions, nous passions à une ère plus tropicale, érotique, où les noces attendaient le couple qui après avoir été maudit se verrait béni. Nous y retrouvions notre princesse tentant de remonter un temps impossible et sauver ce grand solitaire qui se mourrait, congelé dans sa solitude. Mais la fatalité triomphait encore, et la princesse tombait sous le jougs d’un dictateur. Le reptilien (Jabba The Hut) asservissait la fille de l’homme, tout comme la jeune femme dans la vie courante jouait de son corps à cœur perdu dans un rôle de danseuse de cabaret pour renouer avec cet ancien amour. Le rite de passage se poursuivait. Et le conte sur la perte définitive de notre innocence s’intensifiait à l’aune d’un âge adulte plus sombre qu’il n’y paraissait alors. Le dénouement était à la mesure des lois du conte. La jeune femme redécouvrait son premier grand amour perdu (Solo), et le jeune Jedi (Luke) enfin guéri de son œdipe s’en allait pour cet arrière monde du conte où le corps faisait fusion avec l’esprit, vers les étoiles. Le vagabond devenait un sédentaire et le rêveur un sage. Le processus était parfait, la geste accomplie, le boucle bouclée.

Et nous nous disions alors que cette saga n’aurait jamais besoin de suite. Car ce qu’elle contenait, était tout ce dont nous avions besoin de savoir dans notre propre vie. Que même s’il n’y aurait jamais de Soraya, Yoko, Rachel, Aurélie ou Maria, dans nos vies si solitaires il y aurait toujours cette princesse qui nous parlerait et nous aiderait à bien vivre et mourir, une voix qui dans l’absurdité d’un monde sans dieu nous rassurerait de temps en temps. Cette princesse là, on la rencontre parfois dans nos vies, brièvement, ou pour un temps plus ou moins long. Qu’elle soit une jeune fille rangée, une délurée avide de plaisirs ou simplement une fille de la nuit, cette princesse là nous la trouverions toujours de façon parcellaire dans les regards de ces femmes qu nous avons tant aimé ou aimé l’espace de quelques minutes. Et nous dire finalement que, quand bien même nous échouions à retrouver cet amour perdu dans un retour impossible au passé, le fait d’y penser ne serait-ce qu’un seul instant dans nos cercueils de verre nous permettrait enfin de nous exclamer « au diable les dieux », tant que nous avons pour souvenir un visage fait de tant de visages, une femme faite de temps de femmes, de la Muriella délurée d’un Robert Ervin Howard à celle d’une Leïa libérée de la tutelle patriarcale du conte de Georges Lucas. Tout en sachant paradoxalement et intimement que, dans sa réponse atone et aphone, ce même dieu absent nous approuve comme de la chose la plus sure et la plus réelle dans un monde où nous passons plus vite que nous ne comprenons pourquoi nous sommes finalement si seuls.

Et nous dire que de conte il ne demeurera toujours que celui écrit de la main des hommes, pour réinventer celui qui jadis fut écrit par une main qu’on aime dire invisible afin de nous rassurer sur cette éternité pour laquelle on tue depuis trop longtemps, une éternité qu’on devrait peut-être rechercher dans la sincérité d’un ou plusieurs amours.

Tu n’es jamais partie cette nuit là, tu as simplement franchi la porte de l’inconnaissable pour nous sourire encore, et nous rappeler à tous et à toutes que tout comme il y aura toujours un prince pour éveiller la princesse qui dort il existera toujours cette princesse qui se tient quelque part, dans nos coeurs si solitaires, et qui nous aide à marcher malgré les difficultés et malices du mal.

Ta mère t’a suivi, comme d’une éternelle amie, dansant avec toi sous la pluie. Elle ne supportait plus cette pesanteur et ces salauds avides de sens et de règles, elle avait soif de grâce, cette grâce que seules sont capables de comprendre ceux qui ont aimé être libres. Car n’est-ce pas ça aussi une vie, danser malgré la pluie, chanter notre joie malgré la pluie acide qui veut nous ravir nos coeur, nos espoirs, notre créativité, notre liberté ? Chanter sous la pluie...

Je t’aime, comme je t’ai toujours aimé, comme j’ai jadis aimé. Et si j’écris c’est pour me souvenir de ça et vous remercier à toutes de m’y avoir aidé malgré tout, malgré la fatale pesanteur d’un monde forcément décevant car malade de sens...

Je te dirai donc seulement ça, comme tout amoureux devrait le dire un jour lors de la séparation si injuste d’avec celle qu’il aime : Je sais.

Alors, peut-être que même dieu sourira à ça, quand ses plus décevants adeptes en sont incapables car dans la nuit en pensant être dans la lumière.

Emmanuel Collot

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