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"FUTUR.RE "
Dmitry Glukhovsky

Editeur :
L’Atalante
 

"FUTUR.RE "
Dmitry Glukhovsky



La terre du futur s’est muée en de gigantesques mégapoles où la population s’y entasse par trillions. C’est que cette société nouvelle n’a plus qu’un seul problème : l’ennui. En effet, suite à une avancée technologique considérable dans la recherche sur le génome humain, les hommes sont devenus immortels. Aussi payent-ils cette immortalité par la Loi du Choix. En cas de grossesse, les parents doivent soit avorter soit consentir pour l’un des deux à une injection ramenant sa durée de vie à dix ans à compter de la naissance de l’enfant ; Cet état de fait a généré de nombreux rebelles. Mais l’Etat quasi concentrationnaire a comme souvent inventé une milice, Les Phalanges, chargées d’appliquer la loi par tous les moyens. C’est de ce sale boulot dont nous parle l’un de ces membres les plus zélés, Matricule no 717. Vivotant dans un habitacle de deux mètres sur deux, Matricule 717 aurait pu se contenter de son quotidien ultra violent au service de l’Etat si le deal que lui proposa un beau jour un sénateur ne vint couper court à sa besogne. En voulant éliminer un partisan de l’abrogation de la Loi du Choix, Matricule 717 ne se doute pas vers quel bouleversement le mènerait cet acte.
Les Russes commencent à faire entendre leur voix dans la science-fiction, et cela se sait. Depuis 2005, date de la publication en Russie du désormais célèbre « Après Metro 2033 », lancé en France en 2010, on n’entend plus parler que de lui. Et ce n’est pas sans raison si même dans notre pays cet écrivain sulfureux suscite autant de passions. Peut-être ce côté révolutionnaire que les Russes semblent partager avec la France, sans parler d’un étatisme qui a mis beaucoup de temps à émerger, surtout en Russie. En outre, pour un pays ayant connu tous les affres du pouvoir totalitaire qui de l’empire au communisme, en passant par l’invasion nazie, a su générer de ce qu’on pourrait nommer, faute de mieux, « cet ilotisme russe » si difficile à cerner mais qui ne passe jamais inaperçu, l’audace littéraire rejoint ici quelque peu l’ambition politique.
Déjà enrichie d’une brillante plume en la personne de Sergueï Loukanienko et sa fantasy urbaine (la saga Daywatch) publiée en France alors qu’on ne connaît toujours pas ou peu Charles de Lint et Emma Bull, la fiction Russe avait donc commencé à séduire les lecteurs. Romanesque débridé, l’oeuvre de Loukanienko marqua l’esprit des lecteurs peut-être parce qu’elle était sans complexe ni appréhension. Et de fait, elle se hissait au rang des meilleurs américains. On retrouve un peu de ça dans FUTU.RE, mais en des directions différentes, si ce n’est opposées. Si avec Loukanienko le mythe libérait l’esprit des lecteurs d’un univers un peu trop comprimé, et consacrait un divorce nécessaire d’avec ce réalisme russe sordide néo-politique à tous les étages qu’on retrouve dans une très large partie de leur littérature, et c’est là une première, avec Glukhovsky on semble assisté à un procès avorté. Le mythe et le totémisme animalier de Loukanienko consacrait une dissidence fortuite pour un Etat-Nation ayant très souvent combattu religions et mythes de par le passé ou nom du même instrument étatique. Bref, sans vraiment le revendiquer, la saga de Loukanienko libérait un imaginaire Russe des ornières hyperréalistes d’un passé basé sur un réel social sans concession. Le fantasme était instillé, manquait un véritable manifeste. Glukhovsky et sa prose corrosive vient donc bien à point pour effectuer cette seconde opération culturelle. Or, là il ne procède pas comme tout à fait comme un Orwell trop complaisant, au mieux le fait-il comme un Kubrick et son film « Orange mécanique », mais de l’intérieur, comme dit. Le malade, ce n’est plus le marginal ultra-violent, c’est l’affreux sbire de base, l’exécuteur des basses œuvres d’un pouvoir non seulement aveugle mais totalement amnésique.
Loukanienko pénétraient le béton du pays anciennement communiste pour y insuffler une bulle d’air nécessaire, une certaine fantasy qu’on qualifierait de conjecturale, une jubilatoire aparté faisant renouer le peuple avec des racines très anciennes, ce chamanisme d’avant, avec une part importante donnée à la lutte entre ombre et lumière. Glukhovsky ouvre les projecteurs du passé, et convoque furieusement les idéologies passées sur la scène criarde de son utopie sauvage.
Avec Dmitry Glukhovsky nous n’avons donc pas une simple utopie, ou dystopie, ce serait trop facile. Renouant avec l’utopie politique à la dure façon Georges Orwell, Glukhovsky change de locuteur, il fait venir la critique de l’intérieur même du système. Et c’est là qu’on pourra clamer au génie, car l’auteur n’a pas d’idée à donner, pas de vraie solution, juste raconter la prise de conscience d’un homme détestable car enfanté par le système. Ici, on peut cerner un premier trait typique de l’auteur. En nous racontant la génération d’un monstre par des digressions progressives il nous convoque symboliquement les coupables du communisme, ce système qui dut être le pire afin de vaincre la folie brune allemande. Mais il ne le condamne pas. Comme un mur qui tombe, et pourtant laisse sa trace mémorielle, il nous conte la césure du cocon de terreur qui a fait de lui ce bourreau sans cœur, cet assassin sans scrupule. Et c’est cette transition entre l’homme qui se réapproprie lui-même et un système absurde qui confère au récit sa puissance et son impact.
Ensuite, le second trait marquant de cette œuvre c’est peut-être cette manière de nous faire ressentir le poids et la virulence de cette utopie à la Russe. Bien loin de ne faire que dans la retenue anglaise à la Orwell, Glukhovsky nous la joue comme un Dostoïevski. Il use du paroxysme de la situation pour nous dépeindre ses personnages sans aucun fard ni ornements, brut de coffrage, plus réalistes que le contexte qui les fait agir. On découvre alors des personnages frôlant la caricature dans leur violence, leur expressivité à la manière russe, avec cette note d’ironie légère qui en font un peu plus que des sujets subissant mais bien des acteurs de leur propre monde, aussi fou et fantasque soit-il. L’excessif rejoint le carcéral du milieu dans lequel ils vivent, et au fil de ces quelque 700 pages on sent qu’un autre combat se joue.
Convoquant les anciens systèmes politique dans cette espèce d’utopie négative, Glukhovsky entame un exorcisme improvisé, forcément avorté car sans autre solution que la violence. Le combat, la lutte, on retrouve ici tout ce qui fait l’âme russe, violente, sincère et sans concession, à vif, mais en des démêlées si nouvelles pour le lecteur occidental qu’on a l’impression de lire quelque chose de nouveau. Le mot est jeté, la fiction russe marque le ton, fait sécession, elle nous raconte enfin l’intérieur du grand corps malade au bout duquel chantent pourtant les trompettes d’une rédemption. Dès lors, nous ne lisons plus pour avorter de quelque chose, nous lisons pour comprendre le monstre qui endosse le manteau de l’idéologie, de son révolutionnaire bestiale, de sa pugnacité à s’en défaire comme ce forcené toujours prisonnier de quelque chose, du système, du climat, de la mafia. Ce fou ivre de cet humanisme qui peine à venir mais qui est une perspective vraie pour la Russie que nous connaissons malgré ses dernières claustrations totalitaires ; et on se dit alors qu’on a lu un chef d’œuvre. En un mot : fascinant !

FUTU.RE, Dmitry Glukhovsky, traduit du russe par Denis E. Savine, éditions de l’Atalante, 736 pages, 27 Euros.

Emmanuel Collot





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