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  Sommaire - Livres -  M - R -  Perdido Street Station Tome 1 et 2
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"Perdido Street Station Tome 1 et 2"
China Mieville

Editeur :
Fleuve Noir
 

"Perdido Street Station Tome 1 et 2"
China Mieville



10/10

Mégapole de toutes les conjectures, lieu de tous les paradoxes, Nouvelle-Crobuzon est une ville-monstre, une construction grotesque accrochée sur la croûte aride d’un monde situé nulle part. Nouvelle-Crobuzon est une nouvelle Calcutta, entité improbable des pires bassesses et des plus grands prodiges. C’est au beau milieu d’une population bigarrée et hétéroclite où se côtoient le biologique et le métal, où les Cactus bipèdes, les humains, les Vodyonoï (des crapauds géants) , les Khepri (scarabées humanoïdes) et quelques autres improbables créatures issues de quelques hasardeux Vortex, que va se faire une rencontre qui va bouleverser le monde clôt de Crobuzon. Cette rencontre sera celle du Dr Isaac dan der Grimnebulin, un scientiste exclus et sa femme artiste Khepri avec Yagharek l’homme-oiseau mutilé qui placera tous ses espoirs de retrouver ses ailes dans la science prodigieuse du médecin magicien qui a aboli toutes les lois de la physique. Mais comme la bonne vieille histoire le veut, de se faire dieu tel Faust ne pourra découler que des événements fâcheux qui répandront leurs maléfiques engeances parmi les rues tentaculaires de cette cité de tous les absolus. Errance folle servie par une écriture en rupture avec les conventions du genre, Perdido Street Station nous contera cette geste au pays de l’absurde et de l’extravagance. Course contre la mort (les Gorgones avaleuses d’esprit) , voyage dans un monde inconcevable qui a pourtant sa propre logique et dont le ventre recouvre autant de merveilles (l’araignée géante qui veille sur la toile du monde, le géant mécanique hantant la décharge) que d’horreurs, le récit de Miéville entraîne le lecteur dans un voyage au fond d’un abîme dont il semble qu’on attende toujours l’aurore. Entre ordre totalitaire (le parlement et sa terrible milice) et des populations constituées en castes où chaque rue, chaque quartier a un visage, le monde de Crobuzon semble se déliter sous une lumière mordorée salie par les fumées d’une industrialisation qui paradoxalement participe au prodige. Cela donne un ton très fin des temps mais figé comme une nature morte dont il est impossible de déceler la fin tellement on a l’impression d’admirer l’éternité d’un monde où le monstrueux étend sa gangrène, véritable foire aux atrocités, mais un monde où végète à quelques pas le merveilleux. Inclassable autant que familière l’œuvre de Miéville est une véritable oeuvre de peintre. Hommage et défit à l’oeuvre de Mervyn Peake (1911-1968) , Perdido Street Station semblerait être un fragment arraché au château de Gormenghast. Vole symbolique et en même temps germination en un autre lieu, un autre temps, cette histoire confère au récit de Peake l’immortelle fécondité d’un mythe du grotesque dont les racines peuvent prendre en n’importe quelle terre dès lors que cette folie architecturale et ethnique est servie par une écriture de qualité. A la lecture on aura l’impression de traverser une autre Calcutta, ville monstre de toutes les tératologies. Nouvelle Crobuzon étend ses pétales fanées sous un ciel ancien et usé, le tout constitue l’une des plus incroyables créations littéraires. A part Peake les références sont innombrables. Ainsi la scène de la foire de Mr Bombadrezil qui est un écho à La Foire des ténèbres de Bradbury et au Cirque du Docteur Lao de Charles Finney, une scène qu’aurait pu écrire un Victor Hugo sous LSD en composant Notre Dame de Paris. Osseville, Le Marais des blaireaux, Les filles de la lune, A l’abondance des lieux aux noms plus pittoresques les uns que les autres pour "dire" ce monde se succèdent des images qui font que les pensées prennent vie et les corps et visages de multiples significations. On pensera à Vance pour le bigarré et l’aspect ethnologique d’une faune aux mille visages et à Dick pour certains passages véritablement surréalistes (la longue scène a partir de la page 222 du tome 1) . Aventureux, amusant, délirant, le récit de Miéville est une vaste métaphore humoresque et poétique pour reprendre les mots de Graham Green a propos de Peake mais on y ajoutera cette extension de l’humaine condition à des niveaux cosmiques, cette humaine condition rompant avec toute référence anthropomorphique où le grotesque et le monstrueux n’ont plus les mêmes référents et le beau emprunte d’étranges détours. Ce récit monstre s’universalise et en même temps s’identifie avec son illustre prédécesseur. Chef-d’œuvre de fantasy ou tout simplement de la littérature mondiale ? A lire absolument.

Emmanuel Collot

Perdido Street Station ( deux volumes) , China Miéville, Editions Fleuve Noir (Coll. Rendez-vous Ailleurs) , traduit de l’Anglais par Nathalie Mège, 368 et 454 pages, 21 Euros par volume





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