« Le pays peut bien s’enfoncer dans l’ignorance et dans l’apathie, la Terre peut bien se consumer dans ses propres émanations, l’expansion de l’univers peut bien se résoudre dans le néant, tout ce qu’on veut savoir c’est : qu’est-ce qu’il y a ce soir à la télé ? »
Ils nous observent ! Qui ça ? Les dangereux descendants de Big Brother ? Non, les extraterrestres avides de spectacle plus ou moins bas de gamme, ce qui constitue leur façon favorite de lutter contre les affres d’un ennui vertigineux, pascalien. Depuis des décennies, la Terre constitue un des shows de télé réalité les plus populaires de la galaxie. Stupides, primaires, arrogants, obsédés… nous autres terriens constituons un programme de choix, que les producteurs aliens piochent dans nos tribulations et dérives sexuelles, politiques ou religieuses. Mais voilà, il n’est de mauvaise compagnie qui ne se quitte, et l’audience galactique est en chute libre. La dure loi du marché étant ce qu’elle est, la Terre est donc promise à la destruction lors d’un dernier épisode mémorable. The show must go on comme on dit dans la profession.
Un seul homme, bien malgré lui, peut encore sauver la planète et ses milliards de « Terricules ». Scénariste has been travaillé par une libido dévorante, obsédé par la fascinante et inaccessible Amanda Mundo, le médiocre Perry Bunt va en effet lever le voile sur le terrible sort qui nous attend. Hélas pour l’humanité, Perry n’a pas grand chose d’un héros, mais il faudra bien faire avec, car il est notre dernier espoir… celui d’imaginer le programme époustouflant qui épargnera la destruction de ce gigantesque parc d’attraction qu’est la Terre.
Prenez un peu des ingrédients de Truman Show et de Men in Black (ils nous observent à notre insu, ils sont parmi nous), le tout passé à la moulinette d’un humour échevelé à la Douglas Adams façon Guide du routard galactique ou Robert Sheckley et vous obtenez Prime Time, un modèle de SF jouissive et réflexive post- postmoderne, dont l’esprit est assez semblable à L’Univers de carton de Christopher Miller. Tout en jouant des poncifs de la SF, Jay Martel – scénariste de son état – égratigne à souhait le système hollywoodien et l’industrie du divertissement, ce que Guy Debord appelait la « société du spectacle ». Un slogan pour Prime Time ? Une saine lecture sur et dans un monde de fous !
Hervé Lagoguey
Prime Time, de Jay Martel, (Channel Blue, 2012), traduit de l’anglais par Simon Bouffartigue, Éditions Super 8, mars 2015, 484 pages moyen format, 19 euros.