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  Sommaire - Livres -  G - L -  LEGENDE Edition du 30 ème anniversaire
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"LEGENDE Edition du 30 ème anniversaire "
David Gemmell

Editeur :
Bragelonne
 

"LEGENDE Edition du 30 ème anniversaire "
David Gemmell



Dross Delnoch est un symbole, en même temps que le dernier bastion de l’empire des Drenaïs.
Protégée de six remparts, la forteresse est à présent connue comme le dernier obstacle aux redoutables envahisseurs Nadirs qui ont fait tout tomber sauf cette place forte réputée imprenable. Or, voilà qu’un demi-million de soldats Nadirs l’assiègent. Et que recommence l’éternel combat de David contre Goliath. Est-il déjà trop tard, ou bien un certain Druss, un ermite retiré de l’histoire des hommes, loin dans les montagnes, pourrait-il encore faire basculer la fatalité ?
A la tête de quelques milliers de guerriers retranchés dans cette forteresse, Druss se prépare à tenir un siège qui pourrait bien avoir raison de lui. Mais jamais de sa Légende...

Un beau jour, un journaliste de 28 ans tomba malade. Et dans l’attente de savoir si son cas serait fatal ou anodin, il se mit à écrire durant deux longues semaines. Le résultat fut « le siège de Dross Delnoch », long récit plein de verve mais aussi de tous les lieux communs d’un genre ralliant Tolkien à Howard dans une sorte de nébuleuse très convenue, pour ne pas dire pontifiante. Puis, apprenant qu’il avait eu de la chance, qu’il vivrait, ce journaliste décida de laisser tomber la chose durant quelques années. En reprenant plus tard son récit écrit sur le fil du rasoir, voilà que ce même journaliste crut bon de le remettre en forme, le rendre plus subtile, l’agrémenter de certaines choses pour en enlever d’autres. Et cette histoire eut enfin un nom : Légende. Et ce journaliste devint une légende à son tour, sous le nom de David Gemmell.

De la fable de l’écrivain providentiel à la critique lucide d’une œuvre pour ses réelles qualités littéraires, il y a souvent cet espace du flou, du vague, qui souvent fait la différence entre un chroniqueur littéraire du dimanche au service d’une icône auto-proclamée, voire fabriquée, et quelqu’un qui s’efforce d’être sincère au possible afin de rendre compte des qualités intrinsèques d’une œuvre, eu égard à la gloire qu’on lui a accordé ou pas. Or, on ne pourra être que sincère, quand on se hasarde pour la première fois à commenter un livre comme « Légende ». Certes, le livre n’est pas exempt des défauts inhérents à ce genre de registre, comme la nostalgie passéiste (le colonialisme anglais), ou des réflexions sur le décadentisme justifiant la lutte entre les civilisation. Mais là est le secret d’un romanesque sans concession. Pas de moralisme patenté, pas de bon goût pour plaire aux bien pensants. Tout y est radical, sans pitié, un peu à l’égale d’une existence où, somme toute, nous sommes tous et toutes des dupés, et par les dieux et par la société. Non, la vertu d’un romanesque comme celui de Gemmell est de remettre l’homme au centre des choses ; un peu comme sut le faire jadis un certain Homère dans ses récits. Et à partir de ça, se poser les questions qui comptent vraiment, sur la vie, la mort, l’amour, le destin, et surtout sur les causes perdues. Mais surtout, surtout, que ce tout combiné confère aux lecteurs cette satiété, cette impression de s’être repus à une source rare, celle de l’aventure. La peur de mourir, l’épée de Damoclès au-dessus de la tête, vous fait faire parfois de grandes choses. Or, David Gemmell décida un jour d’écrire, et c’était d’un art dont il s’acquitterait avec maestria.

Ainsi, dans cette histoire David devient Rek, son beau père Bill, Druss, sa femme d’alors (Valérie), Virae. La peur du noir c’est la peur de la mort, le courage du porteur de la hache, c’est l’espoir. Tout se fait symboles, tout fait sens en même temps ; et à mesure où on suit les lignes de ce récit on pénètre totalement dans un univers découpé au couteau, oui mais d’un couteau dont on aurait oint la lame de multiples teintes de peinture. Car Gemmell, c’est avant tout un styliste, peut-être l’un des derniers, un conteur ensuite, un monstre qui domine l’édition mondiale qui même après sa mort brille toujours au panthéon des plus grands du genre.

L’édition du trentenaire que viennent juste de sortir les éditions Bragelonne, encore plus belle que la précédente, nous rappelle donc dans ce bel ouvrage bibliophile combien il est important de relire cet immense écrivain. Agrémentée de quinze illustrations sous la férule nostalgique du couple Collignon/Graffet, ce nouveau collector nous présente en outre quelques nouveautés non négligeables.

Tout d’abord, un chapitre inédit de l’auteur, sorte de flash back nostalgique sur Druss et sa quête de Rowena, son premier et seul véritable amour de jadis. Le ton, très solennel, préfigure déjà le maniérisme propre à Gemmell qui est de toujours installer le compromis dans les situations les plus extrêmes. Cette façon très anglaise d’amener à la grande quête constitue une sorte de manifeste à son propre romanesque.

Ainsi, si Druss est bien Bill, le beau père de David Gemmell dans « Légende », c’est lui qui dans cette très courte histoire le projette dans la grande aventure. Rowena incarne cet amour impossible, désincarné, en même temps que ce choix définitif pour la liberté, une liberté que seule l’aventure permet. Ainsi est-il préférable pour devenir écrivain de ne suivre que la liberté au détriment de l’idéalisme amoureux.

Enfin, si c’est bien dans les situations les plus désespérées que commence les plus merveilleux des récits, c’est parce que du marasme naît l’espoir, parce que tout est enfin possible. Et on devinera peut-être là une vieille récurrence propre à l’ilotisme anglais et à cet héroïsme insouciant qui est de lutter contre plus grand et plus fort que soit pour finir même par vaincre. L’allusion à l’héroïsme anglais de la seconde guerre mondiale, bien que fortuite, est à signaler. Vieux leitmotiv Gemmellien, l’aventure n’est permise que parce qu’elle est magnifiée par ce vieux pathos grecque né avec Homère ; Gemmell s’en est sans doute souvenu pour faire toujours décoller ses récits les plus simplistes vers les grandes épopées, allant de l’intimiste ordinaire à une espèce de sauvagerie communicative faisant enfin tomber les solitudes comme les grandes menaces extérieures. C’est un peu cela, le sentimentalisme Gemmellien.

Le religieux, avec la fameuse « Source », est également une judicieuse invention de l’auteur. Nourrie du bon vieux anglicanisme rédempteur, cette manière de conquérir le monde, et de l’explorer de façon onirique, est une autre manière de le valider, et de juger de la valeur des individus. Du coup, Gemmell n’a pas besoin de beaucoup développer ce système, il est trop imbriqué dans le mythe universel et personnel pour pouvoir être calibré comme une vulgate idolâtre fourre-tout. C’est ce côté intimiste, interpersonnel, qui fera tout le succès d’une œuvre envoûtante en diable, mais interrompue trop tôt.

La Postface de Stella Gemmell est en cela exemplaire dans le fait qu’elle reconnaît à l’homme cette si belle folie à édifier des châteaux de sable qui, même s’ils sont éphémères, permettront toujours aux lecteurs de passage dans un monde encore plus insipide de se rassasier un peu de ce rêve continue qui les enchante depuis maintenant trente ans. Dross n’est pas tombée, mais Troie était déjà tombée. On pardonnera en outre à celle qui a si bien poursuivi l’oeuvre de son mari ce crime de lèse majesté qui est de penser un seul instant que Druss n’était pas une armoire à glace. Car si Rek est bien ce Gemmell en jouisseur poltron et fragile à une certain moment de sa vie (ce « poseur » comme disait l’auteur), Druss, comme le fut jadis Conan, est bien ce géant musclé que l’auteur finira par devenir aux détriments d’un Howard mort à la naissance.

Personnage central et initiatique, le guerrier ou barbare, est loin d’être cette chose étrange et réactionnaire qu’on fustige souvent comme telle, qu’il soit en pagne ou mieux doté de broderies et de parures à l’anglaise. L’intellectualisme de bas étage et les jeux de rôle sont passés par là pour nous montrer une fois de trop que la critique spécialisée n’a toujours rien compris à ce qu’était et signifiait le côté athlétique, et donc surhumain, de ce genre de personnages dans la littérature de genre, beaucoup trop confondu avec son illustration historique, ses extrapolations mythologiques (Hercule) et ce « réalisme light and slim si branché » qui exaspère plus qu’il n’éclaire ce qui reste un archétype de la littérature populaire. Un barbare est un Hercule sans pouvoir divin, mais un peu plus qu’un homme ordinaire, autant en muscles qu’en vertus cardinales, du moins dans sa définition primitive. Et c’est tout.

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas être doté d’un pouvoir (Elric, Hawkmoon, etc...) tout en présentant des tares physiques ou des infirmités, voir une anorexie psychopathologique. Ce qui fera toujours de Druss quelque chose d’autre qu’un simple homme portant l’étiquette de héros, pour les mêmes raisons invoquées plus haut mais aussi pour ce caractère légendaire attaché à sa réputation passée. La seule exception à la règle étant ici l’exemple des personnages de Michael Moorcock, dernier élan barbare au genre n’ayant pas besoin de gonfler des muscles pour démontrer sa condition barbare, quand bien même nous nous trouvions en pleine utopie façon Renaissance.

Sword and Sorcery à l’anglaise, l’oeuvre de Gemmell ne peut être comparable qu’à celle d’un Howard, tout simplement parce qu’elle se situe dans une sorte d’utopie moyenâgeuse où l’auteur nous raconte la grande aventure où, entre quelques têtes coupées et un brin d’ironie, on pense à faire son thé. Il n’y avait qu’un anglais pour penser un tel romanesque ralliant tous les lecteurs, peut-être parce qu’à la base il y a la même passion que celle qui jadis fit faire à un certain Robert Howard cette utopie plus ancienne, quelque part entre la préhistoire et l’âge de bronze.

Mais là où, curieusement, les deux plumes se rejoignent le plus, c’est dans la même inventivité et la même radicalité dialogique. Elle sera cependant plus extensive chez Gemmell qui aime toujours mettre en scène ses personnages de façon dépouillée, détaillée, dans le fil d’une quotidienneté plus chamarrée et besogneuse. Howard l’élude, pour la simple raison que Conan n’a pas de réel passé, ni projet ou dessein particulier, et encore moins le besoin de montrer ses petites faiblesses comme chez Rek, juste un compte à régler qu’il n’explique jamais, sans carte ni boussole. Il suit son instinct alors qu’un Druss défend des valeurs « endormies ». Mais sont-ils en fin de compte si différents l’un de l’autre que cela ? Druss est plus moderne.

Le DVD fourni avec cet collector est à ce propos plein d’enseignement. On y apprend que Louis Lamour était l’auteur fétiche de Gemmell. Et on comprendra mieux pourquoi au regard de ses personnages très vivants, à l’instar d’un Howard voir même d’un Ron Hubbard (1911-1986) et ses héros post-apocalyptiques (Jonnie Goodboy Tyler), si on met de côté l’aspect idéologique et sectaire. Et on revient une fois de plus à cette ramure secrète, « vitaliste », propre à la littérature américaine. Suivant les pas d’un Mark Twain, ces auteurs incarnent bel et ben une manière d’écrire à part entière où l’homme est replacé au centre de toutes choses, même si le surnaturel y a également sa place. Comprenant ça, Gemmell s’est demandé un jour s’il ne nous manquait pas des héros dans un monde de plus en plus aseptisé, absorbé par l’individualisme et l’insensibilité. Judicieuse idée qu’il a eu.

En refermant ce beau livre, on ne pourra pas s’empêcher d’éprouver une douce petite envie de pleurer, quand on sait que David Gemmell n’écrira plus pour ses lecteurs avant très longtemps. On n’est jamais vraiment mort quand on est un écrivain. C’est peut-être là leur seul panache devant la fatale existence.

So long, Master. And thank you so much.

Légende, David Gemmell, Edition du trentième anniversaire enrichie d’un chapitre inédit, Bragelonne, traduit de l’anglais par Alain Névant, illustrations intérieures par Stéphane Collignon et Didier Graffet, postface par Stella Gemmell, DVD interview de David Gemmell, 479 pages, 50 Euros.

Emmanuel Collot





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